Â
I – Des certitudes
En premier lieu, l’interdiction de conclure des ruptures conventionnelles concerne le salarié au cours des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à l’accident ou à la maladie professionnels. On sait en effet que suivant l’article L 1226-9 du Code du travail, « l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie ». Et la chambre sociale de la cour de cassation fait une interprétation restrictive de ce texte, estimant qu’en dehors des cas limitativement prévus par la loi, une rupture du contrat ne saurait être envisagée (V. pour exemple l’interdiction de conclure une rupture amiable durant la période de suspension du contrat de travail liée à un accident professionnel : Cass soc. 4 janvier 2000. pourvoi n° 97-44566 – V. dans le même sens : Cass soc. 29 juin 1999. pourvoi n° 96-44160). On voit difficilement la cour de cassation faire une interprétation différente de l’article L 1226-9 susvisé suivant qu’il s’agisse d’une rupture amiable ou conventionnelle.
Cette position de la jurisprudence doit logiquement trouver application s’agissant des femmes enceintes ainsi que des bénéficiaires de congés de maternité (C trav art L 1225-4). On notera d’ailleurs que les dérogations à l’interdiction de licenciement sont identiques à celles prévues par le législateur dans le cadre de l’accident et de la maladie professionnels (faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement : C trav art L 1225-4 al 2). Ce faisant, on notera que la jurisprudence étend  la notion de « salarié protégé » (V. dans le même sens la circulaire DGT n° 2008-11 du 22 juillet 2008 à l'attention des agents chargés de l'homologation des ruptures conventionnelles invitant ceux-ci à vérifier notamment « que la rupture conventionnelle ne s'inscrit pas dans une démarche visant à contourner des procédures et des garanties légales (périodes de protection de l'emploi, accident du travail, maladie professionnelle, maternité, maladie de droit commun, procédures de rupture pour inaptitude médicale… »).
La rupture conventionnelle doit également être bannie dans le cadre d’une inaptitude physique à l’emploi consécutive à une maladie, à un accident du travail ou une maladie professionnelle. En effet, ce mode de rupture ne saurait se substituer aux obligations de l’employeur, et ce même si le salarié était demandeur à cette procédure. Au milieu d’un droit qui se veut protecteur des salariés, quel serait l’avantage pour ces derniers de formaliser une telle convention ? Après tout, la rupture conventionnelle n’a pas été mise en œuvre pour permettre à l’employeur d’échapper à ses obligations en matière de reclassement ! La Cour d’appel de Poitiers vient de nous rappeler ce principe récemment : « l’existence de l’obligation de reclassement à la charge de l’employeur fait obstacle au contournement de cette obligation par le recours à la rupture conventionnelle » (CA Poitiers. Ch soc. 28 mars 2012. RG n° 10/02441)
II – Une interrogation
A côté de ces certitudes, on peut légitimement s’interroger sur les possibilités de conclusion de ruptures conventionnelles avec des salariés en maladie prolongée ou dans le cadre d’absences répétées pour maladie. Dans une circulaire administrative du 17 mars 2009, l’administration soutient que « dans les cas de suspension ne bénéficiant d’aucune protection particulière…aucune disposition n’interdit aux parties de conclure une rupture conventionnelle » (circulaire DGT 2009-04 du 17 mars 2009 relative à la rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée). Et pourtant, le doute est permis. En effet, on sait que la jurisprudence a fixé une multitude de conditions pour envisager le licenciement d’un salarié dans le cadre d’une maladie prolongée ou d’absences répétées pour cause de maladie (notamment, respect des clauses de garanties d’emploi prévues par les conventions collectives, nécessité de remplacement définitif du salarié, absence de précipitation de l’employeur – V en ce sens : Cass ass plén. 22 avril 2011. pourvoi n° 09-43334, Cass soc. 7 juillet 2009. pourvoi n° 08-42957, 12 octobre 2011. pourvoi n° 10-15697, 26 janvier 2011. pourvoi n° 09-71907).
Dans ces conditions, il paraitrait pour le moins téméraire de faire abstraction de l’ensemble de ces conditions par le biais de la rupture conventionnelle. En aucun cas, la rupture conventionnelle ne saurait constituer un coup de baguette magique permettant de résoudre l’ensemble des problèmes voire d’éliminer les dispositions protectrices prévues par la jurisprudence (V. d’ailleurs la position de la cour d’appel d’Amiens suivant laquelle il ne saurait y avoir de rupture conventionnelle avant la visite médicale de reprise qui met fin à la période de suspension du contrat de travail par le constat de l’aptitude à la reprise : Amiens. 11 janvier 2012. RG n° 11/00555).
La prudence est donc de mise. Et ce d’autant que l’erreur pourrait être fatale pour l’employeur. En effet, est nulle sur la base de l’article L 1132-1 du Code du travail la sanction, le licenciement ou toute « mesure discriminatoire, directe ou indirecte » prononcée à l’encontre d’un salarié « en raison de son état de santé ». Et à l’article L 1132-4 d’ajouter que toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ce texte « est nul » (V. d’ailleurs en ce sens : CA Poitiers. Ch soc. 28 mars 2012 prec). Cette dernière précision n’est pas sans intérêt, sachant qu’en cas de nullité, « le salarié a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent » (Cass soc. 30 avril 2003. pourvoi n° 00-44811) …
François Taquet, Professeur de Droit social, Avocat, Conseil en Droit social
(que je remercie pour m'avoir autorisé à publier son article sur ce blog)