Alors que les grands projets se multiplient, les modalités contractuelles qui les accompagnent évoluent, dans le but d’optimiser l’emploi de l’argent public et la qualité du service rendu.
21,3 milliards d’euros c’est la somme investie chaque année par les organismes publics (État et collectivités territoriales) seulement pour le secteur des travaux ! Le BTP représente à lui seul 40 % de l’intégralité des marchés publics passés tous les ans, un chiffre stable depuis une décennie.
Si la personne publique est un client historique du BTP, les contrats de construction publique sont en train de connaître des évolutions importantes. En voici quelques clés de compréhension.
La personne publique, le « bon client » du BTP
De la plus petite commune française faisant travailler les entrepreneurs locaux jusqu’au Grand Paris Express (GPE), plus grand chantier urbain d’Europe, les organismes publics sont et restent un client important pour tous les acteurs du secteur — quelle que soit leur taille. « Le Grand Paris Express représente 50 % de notre activité de génie civil en Île-de-France », témoigne par exemple Guillaume Sauvé, président d’Eiffage Génie Civil, dont l’entreprise s’est vue attribué l’un des plus gros lots de ce projet titanesque, le chantier 1 de la ligne 16. Même son de cloche du côté de Vinci Construction, pour qui l’activité est restée soutenue dans les travaux publics ces dernières années malgré la crise sanitaire, en grande partie, là encore, grâce au Grand Paris Express. Par la démesure du GPE et sa complexité, ce chantier public contribue effectivement grandement au dynamisme économique de la région : près de 4500 sociétés au total y ont œuvré jusqu’à aujourd’hui.
Quelle qu’en soit l’ampleur, cette relation commerciale abondante est encadrée par des procédures qui s’adaptent à des environnements et des contraintes, tant juridiques et pratiques, de plus en plus évolutives.
Les délégations conjointes par partenariat public-privé
Institués en France par une ordonnance du 17 juin 2004, les « partenariats publics — privés » (PPP) sont inspirés d’une forme de contrat inventé en Grande-Bretagne. Ils permettent à un organisme public de confier la conception, la réalisation, la maintenance, le financement et éventuellement l’exploitation d’un ouvrage public à un opérateur privé — le plus souvent un groupe du BTP. Les avantages du PPP sont clairs : un seul contrat global pour déléguer l’intégralité d’un projet à une seule personne privée, ce qui permet d’optimiser l’ingénierie, les travaux, mais aussi les coûts et les délais. De plus, c’est le constructeur qui se charge de financer le projet, en général accompagné d’un fonds d’investissement ou d’une banque.
Ce recours de la puissance publique à des compétences privées s’inscrit d’ailleurs dans une continuité historique qui remonte à la Rome antique, fondée sur le constat que l’État a besoin du concours du privé pour bâtir, aménager et rénover des infrastructures — ponts, routes, chaussées, canaux… En France, dès le début du XIVe siècle, l’île du Palais est concédée à Paris pour y façonner la place Dauphine. Puis viennent au fil des siècles les faubourgs Saint-Honoré, Montmartre, le Canal du Midi mais aussi le pont Marie, qui porte d’ailleurs le nom de son entrepreneur !
Au total à ce jour, plus de 250 PPP ont été signés en France, dont certains pour des ouvrages majeurs : les lignes à grande vitesse Bretagne — Pays de la Loire (Eiffage) et Tours — Bordeaux (Vinci), le « Balardgone » (Bouygues), le nouveau Palais de Justice de Paris (Bouygues), la rénovation de la Route Centre-Europe Atlantique (Eiffage)…
Mais depuis quelques années, les PPP n’ont plus le vent en poupe. La Cour des comptes avait ainsi appelé, dans son rapport de décembre 2017, à mettre fin à l’usage du partenariat public-privé « en raison de son coût et de son insoutenabilité financière ». Le bât blesse également du fait de la rigidité extrême de certains contrats PPP. « Nous n’avons pas toujours pu choisir l’architecte et avons dû introduire dans le contrat la possibilité d’avoir accès au plan des bâtiments », témoigne ainsi Marie-Luce Bousseton, directrice de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, à propos du nouveau Palais de justice parisien, dont le chantier a coûté 2,3 milliards d’euros, et pour lequel le ministère de la Justice doit désormais débourser… 86 millions d’euros de loyer annuel. Une perte de contrôle de l’administration sur ses propres bâtiments et des coûts exorbitants qui ont eu de quoi agacer les agents de l’État. Des raisons qui expliquent, sans doute, la désaffection progressive de l’État à l’égard des PPP.
Mais les collectivités locales, elles, n’ont pas du tout l’intention de laisser tomber les partenariats publics-privés, au plus grand bonheur de certains groupes du BTP bien positionnés pour ces plus petits contrats locaux. « Cette typologie de projets convient parfaitement au groupe Fayat dans un contexte où ce sont les collectivités territoriales qui sont aujourd’hui plutôt demandeuses des PPP », indique Philippe Serain, directeur PPP et Concessions chez Fayat. « En outre, ces projets ne dépassent généralement pas les 100 millions d’euros, ce qui correspond à notre cible de business ».
L’avenir du partenariat public-privé se fera donc avec des projets de moindre envergure, mais tout aussi intéressants d’un point de vue technique et financier. Pour les projets les plus ambitieux en revanche, c’est a priori vers les contrats de conception-réalisation que les espoirs se portent désormais.
La conception-réalisation, avenir de la construction publique ?
Les contrats de conception-réalisation ne sont pas nouveaux, mais le recours à cette forme de marché pourrait se multiplier dans les années à venir. Ainsi, dans le cas du Grand Paris Express, si les premiers appels d’offres du GPE se contentaient de déléguer uniquement les travaux aux entreprises du BTP, cela s’apprête à changer. La Société du Grand Paris (SGP) va en effet utiliser une des exceptions à la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique (dite « loi MOP ») et confier aussi bien la construction que les études (architecture, ingénierie…) aux entrepreneurs. Une solution mûrement réfléchie par l’organisme public, qui en attend réduction des coûts et des délais des chantiers, mais aussi émulation de l’innovation entre candidats. « À cause d’une aversion au risque grandissante et de la loi MOP, les cahiers des charges produits empêchent l’émergence de solutions alternatives qui pourraient pourtant avoir un intérêt économique, technologique, écologique et social », analyse John Tanguy, responsable innovation à la SGP.
En effet, les contrats de « co-réa » vont associer « beaucoup plus tôt dans le processus de conception » les entreprises, comme l’expliquait Thierry Dallard, ancien président du SGP. Ce qui signifie que les constructeurs vont devoir faire preuve d’une grande agilité et mettre à profit leurs expériences et expertises très en amont de la procédure. « Nous sommes susceptibles de proposer des variantes aux projets envisagés initialement, visant notamment à les rendre moins coûteux, et à les réaliser plus rapidement », indique Pascal Hamet, directeur de projet sur la ligne 16 du Grand Paris Express. « Comme nous pilotons la conception et la réalisation, cela nous permet d’avoir une vision intégrée des deux phases, et donc d’en assurer logiquement l’optimisation. Nous pouvons aussi proposer des méthodes plus innovantes que celles imaginées au moment de l’appel d’offres ». Aussi bien le maître d’ouvrage que l’entrepreneur vont devoir être à l’écoute l’un de l’autre.
Un dialogue qui devra également être renforcé afin de clarifier certains points en amont des contrats, notamment la question du transfert des risques, dont les entrepreneurs redoutent qu’ils leur soient incombé en même temps que la conception et la réalisation du nouveau métro. Un point particulièrement sensible pour les acteurs du BTP, surtout pour un chantier aussi compliqué que le GPE — au cœur de la métropole francilienne, avec des aléas géotechniques importants et une forte dimension politique et sociale… Un équilibre devra donc être trouvé pour que chacun assume les responsabilités de son ressort. « Le point essentiel pour arriver à l’équilibre souhaitable est que nous ayons la certitude, lors de la signature des contrats, de pouvoir résoudre ensemble les difficultés, c’est-à-dire de disposer de structures et de processus souples de règlement des litiges », estime Guillaume Sauvé. Un équilibre complexe, mais nécessaire à trouver pour que les contrats de conception-réalisation actuels et futurs se fassent dans les meilleures conditions, aussi bien pour la personne publique que l’opérateur privé.