Les bailleurs ont le droit au paiement de leurs loyers commerciaux pendant la période Covid-19 :
Pour mémoire : Cour d'appel Grenoble 5 novembre 2020
Un propriétaire avait acquis deux appartements dans le cadre d’une vente en l’état futur d’achèvement, au sein d’une résidence de tourisme.
N’étant pas payé de ses loyers pendant la période COVID-19 notamment, le propriétaire bailleur a réclamé leur paiement en justice à son exploitant de tourisme.
Devant la Cour d’appel de Grenoble, l’exploitant de résidence de tourisme avait soulevé plusieurs arguments : exception d’inexécution, force majeure, fait du prince, application de l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020.
Par un arrêt du 5 novembre 2020, la cour d'appel de Grenoble avait balayé tous ces arguments et avait fait droit à la demande de paiement des loyers du propriétaire bailleur, ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts (voir notre article intitulé "COVID-19 : LA COUR D’APPEL DE PARIS CONDAMNE LE LOCATAIRE À PAYER LES LOYERS").
Très récemment : Cour d'appel Paris 3 juin 2021
Devant la Cour d'appel de Paris, une société titulaire d'un bail commercial à destination de supermarché à dominante non alimentaire a soulevé plusieurs arguments pour suspendre le paiement des loyers pendant la durée du confinement dans l’attente d’avoir une « meilleure visibilité de la situation » : destruction de la chose louée, exception d'inexécution, force majeure, bonne foi.
Le bailleur a proposé à son locataire un échelonnement du loyer, puis lui a adressé un commandement de payer visant la clause résolutoire.
Sur le fondement du bail commercial, le bailleur a fait pratiquer une saisie-attribution, auprès de la banque de la locataire, pour un montant de plus de 40 000 euros, correspondant au loyer dû pour le deuxième trimestre 2020.
La locataire a assigné la bailleresse devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris pour obtenir la mainlevée de la saisie, au motif qu’elle a été contrainte de fermer son magasin, suite aux décisions administratives intervenues dans le cadre de la période d’urgence sanitaire.
Par jugement du 20 janvier 2021, le juge de l’exécution de Paris avait ordonné mainlevée de la saisie attribution pour les mois concernant la période de fermeture du magasin.
Mais, par arrêt du 3 juin 2021, la Cour d'appel de Paris a écarté un par un les arguments de la locataire et a infirmé (annulé) le jugement du 20 janvier 2021 :
- Sur la prétendue perte partielle de la chose louée (article 1722 du code civil) :
Selon la locataire : la perte de la chose louée n’est pas uniquement de nature matérielle, ont été assimilées à la destruction de la chose louée la perte économique, la perte partielle et la perte de jouissance momentanée, telle qu’une interdiction administrative d’exploiter ou la fermeture par arrêté administratif d’un centre commercial ou d’un local, cette perte peut ne pas être définitive ou totale, la notion de « destruction partielle » peut couvrir l’hypothèse d’une fermeture administrative entraînant la perte totale de la chose louée, mais momentanée, la situation résultant du confinement s’analyse en cette perte partielle et justifie la suspension des loyers pendant cette période, suspension qui ne doit pas s’entendre comme un simple report mais comme une dispense de leur paiement.
Selon la Cour d'appel : il résulte de l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période et des dispositions et de l’article 4 de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, relative au paiement des loyers (...) afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 :
- que le législateur a pris en compte les conséquences pour bailleurs et preneurs de la fermeture des commerces pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, excluant de ce fait l’application à cette situation de l’article 1722 du code civil,
- que si ces dispositions avaient pour objet, notamment, d’éviter l’acquisition, au profit des bailleurs, de clauses résolutoires, elles n’ont pas eu pour effet de suspendre l’exigibilité du loyer dû par un preneur à bail commercial dans les conditions prévues au contrat.
La Cour ajoute qu'il importe peu à cet égard que la locataire ne réponde pas aux critères d’éligibilité prévus à l’article 1er de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, permettant à certains preneurs de bénéficier de son article 4.
- Sur la prétendue exception d’inexécution (article 1719 du code civil) :
Selon la locataire : elle était fondée à opposer au bailleur l’exception d’inexécution dès lors que celui-ci a manqué objectivement à son obligation de délivrance, même en l’absence de défaut fautif d’exécution ou de force majeure empêchant le bailleur d’exécuter son obligation de délivrance, ce manquement la dispense corrélativement de payer le loyer pour la période correspondante.
Selon la Cour d'appel : aucun manquement à son obligation positive de délivrance ne peut être imputée au bailleur En effet, le bailleur n’avait pas pour obligation, en l’absence de stipulations contractuelles particulières, de garantir la commercialité des locaux, ceux objet du bail ayant été mis à la disposition du preneur, lequel admet que l’impossibilité d’exploiter qu’il allègue était le seul fait du législateur.
- Sur la prétendue force majeure (article 1218 du code civil) :
Selon la locataire : si elle admettait qu’elle n’était pas dans l’impossibilité de payer pour une raison de force majeure, elle soutenait que celle-ci résidait dans l’impossibilité pour le bailleur de fournir un local exploitable, laquelle corrélativement délivrait le preneur de son obligation de payer le loyer.
Selon la Cour d'appel : outre ce qui a été dit plus haut et à supposer que l’état d’urgence sanitaire constitue un fait de force majeure, le bailleur a fourni un local en lui-même exploitable, étant rappelé que le preneur reconnaît qu’il n’était pas dans l’impossibilité d’exécuter son obligation de payer le loyer de sorte qu’il n’est pas fondé à invoquer à son profit la force majeure.
- Sur la bonne foi (article 1104 du code civil) :
Selon la locataire : elle soutenait avoir multiplié les propositions à son bailleur et s’être heurtée, malgré ses nombreuses tentatives pour trouver une solution amiable, au comportement rétif de ce dernier, que la saisie est intervenue pendant l’état d’urgence sanitaire, à peine trois semaines après la réouverture des magasins, que la mise en oeuvre, sans discussion judiciaire préalable, d’une mesure d’exécution est en elle-même révélatrice d’une exécution de mauvaise foi du bail.
Selon la Cour d'appel : par lettre du 27 avril 2020, le bailleur avait proposé de différer le règlement du loyer d’avril 2020 pour le reporter sur le 3° trimestre, voire sur le 4° trimestre, proposition refusée par le preneur, de sorte que la société Foncière a tenu compte des circonstances exceptionnelles et manifesté ainsi sa bonne foi, alors que, de son côté, le preneur n’a pas adressé au Préfet du département de la Savoie de demande de dérogation, ni mis en oeuvre pendant la période considérée des activités de livraison ou de retraits de commande, ce qu’il a mis en place ultérieurement.
- En conséquence :
Par arrêt du 3 juin 2021, la Cour d'appel de Paris a infirmé (annulé) le jugement du juge de l'exécution du 20 janvier 2021 et, statuant à nouveau, a :
- Validé la saisie-attribution en date du 2 juin 2020 à hauteur de la somme de 28 233,69 euros ;
- Condamné la société locataire à payer à la société bailleresse la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (honoraires d'avocat) ainsi qu’aux dépens (frais d'huissier de justice) de première instance et d’appel.
Cette décision de la Cour d'appel de Paris, qui confirme la jurisprudence de la Cour d'appel de Grenoble, est très encourageante pour les bailleurs en résidences de tourisme qui ne sont pas payés de leurs loyers (vigilance : à ce jour, la Cour de cassation ne s'est pas encore prononcée sur l'obligation du paiement des loyers COVID-19).
En conclusion, les propriétaires bailleurs apparaissent en droit de réclamer le paiement de la totalité de leurs loyers pendant la période COVID-19.
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