Loyers Covid et fermetures administratives : arrêt de la Cour de cassation attendu le 30 juin 2022

Publié le 04/07/2022 Vu 1 149 fois 0
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La Cour de cassation rendra sa décision le 30 juin 2022 concernant l’exigibilité des loyers dus aux bailleurs durant les périodes de fermetures administratives des commerces liées à la pandémie de Covid-19.

La Cour de cassation rendra sa décision le 30 juin 2022 concernant l’exigibilité des loyers dus aux baille

Loyers Covid et fermetures administratives : arrêt de la Cour de cassation attendu le 30 juin 2022
La Cour de cassation, saisie par un locataire commercial, a rendu sa décision le 30 juin 2022 et a donné sa position sur l’exigibilité des loyers appelés par les bailleurs durant les périodes de fermetures administratives des commerces liées à la pandémie de Covid-19.

Le pourvoi n° M 21-20.127 concernait les loyers commerciaux dus par un gestionnaire de résidences de tourisme, la société ODALYS RESIDENCES, pendant la crise sanitaire. L'arrêt faisant l'objet du pourvoi avait été rendu par la Cour d'appel de Grenoble, statuant en référé, du 1er juillet 2021 (Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 1er juillet 2021, n° 20/03802).

 

La Cour de cassation a eu pour mission de statuer sur les moyens de défense soulevés par le preneur :

 

1) Les mesures prises par les autorités publiques écartent-elles le droit commun de la relation contractuelle ?

  

2) L’interdiction de recevoir du public constitue-t-elle :

 

a) un cas de force majeure invocable par le locataire ?

 

  • Pour mémoire, la position de la Cour d’appel de Paris :

 

Dans le cadre d’un litige opposant des copropriétaires bailleurs impayés de leurs loyers face à leur exploitant de résidences de tourisme, notre cabinet a fait juger par la Cour d’appel de Paris, statuant en référé, que (Cour d'appel de Paris, Pôle 1 chambre 2, 2 juin 2022, n° 21/19284) :

 

« Sur la force majeure liée à la pandémie de Covid-19

L'intimée se fonde sur l'article 1218 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, relatif à la force majeure en matière contractuelle, estimant que la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 doit être qualifiée d'événement de force majeure.

Il convient de relever que ce texte n'est applicable qu'aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, et qu'en l'espèce, la majorité des baux litigieux ont été conclus avant cette date, de sorte qu'ils sont soumis à la loi ancienne, soit à l'article 1148 ancien du code civil, ce qui est toutefois sans incidence sur le présent litige. 

Il est en effet rappelé que le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. La force majeure se caractérise par la survenance d'un événement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible, rendant impossible l'exécution de l'obligation. Or, l'obligation de paiement d'une somme d'argent est toujours susceptible d'exécution, le cas échéant forcée, sur le patrimoine du débiteur. Elle n'est, par nature, pas impossible : elle est seulement plus difficile ou plus onéreuse. 

En l'espèce, il convient d'ajouter que si la chute d'activité et les pertes subies par l'intimée, en lien avec la crise sanitaire, sont incontestables et établies, celle-ci ne justifie pas avoir été dans l'impossibilité totale de régler les loyers dus aux intimés, alors qu'elle a disposé d'une importante trésorerie grâce au prêt garanti par l'Etat de 27,6 millions euros qui lui a été accordé, ainsi qu'en attestent les pièces qu'elle produit. 

Faute de justifier d'une impossibilité d'exécuter son obligation de règlement des loyers, elle ne démontre pas le caractère irrésistible de l'événement lié à l'épidémie de Covid-19. »

 

La Cour d’appel de Paris a rappelé que le gestionnaire de la résidence de tourisme avait perçu un prêt garanti par l’Etat (PGE) et ne justifiait donc pas d’une impossibilité d’exécuter son obligation de paiement des loyers aux bailleurs.

 

En effet, le prêt garanti par l’Etat (PGE) doit permettre de couvrir les besoins de trésorerie de la société impactée par la crise sanitaire et particulièrement le paiement des charges fixes, dont les loyers (voir notre précédent article : « COVID 19 : GESTIONNAIRE DE RÉSIDENCE DE TOURISME ET PRÊT GARANTI PAR L’ETAT »).

 

b) Un manquement du bailleur à son obligation de délivrance justifiant que le locataire se prévale du mécanisme de l’exception d’inexécution ?

 

    • Pour mémoire, la position de la Cour d’appel de Paris :

 

Dans le cadre d’un litige opposant des copropriétaires bailleurs impayés de leurs loyers face à leur exploitant de résidences de tourisme, notre cabinet a fait juger par la Cour d’appel de Paris, statuant en référé, que (Cour d'appel de Paris, Pôle 1 chambre 2, 2 juin 2022, n° 21/19284) :

 

« Sur l'absence de délivrance des locaux par les bailleurs

Aux termes de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et de l'en faire jouir paisiblement pendant la durée du bail.

La société Reside Etudes Apparthôtels soutient que les bailleurs ont manqué, même sans faute, à leur obligation de délivrance des locaux loués puisqu'elle a été contrainte de fermer ses établissements en raison des mesures adoptées par le Gouvernement pour lutter contre la propagation du Covid-19, ce qui justifie la suspension des loyers, l'exception d'inexécution prévue par l'article 1219 du code civil pouvant toujours être opposée.

La résidence litigieuse, Monceau Bois Colombes, est une résidence de tourisme, ce qui n'est pas contesté par les appelants.

L'article 10, I bis, 2°, du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, créé par le décret n° 2020-604 du 20 mai 2020 (article 7 c), prévoit expressément que « sauf lorsqu'ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier, les établissements suivants mentionnés au livre III du code du tourisme ne peuvent accueillir de public : [...] les résidences de tourisme ».

Ce texte, en vigueur jusqu'au 2 juin 2020, a été abrogé à cette date.

L'intimée soutient que le décret n° 2020-604 du 20 mai 2020 a confirmé rétroactivement la fermeture des résidences de tourisme à compter du 14 mars 2020 jusqu'au 2 juin 2020 mais elle ne précise pas en vertu de quelle disposition une telle rétroactivité aurait pu être ordonnée.

Aucune disposition du décret ne prévoit une telle application rétroactive, laquelle paraît en outre difficilement concevable s'agissant d'une fermeture d'établissement, qui ne peut par définition valoir que pour l'avenir.

La période de fermeture n'a donc été que de 14 jours sur cette période du 20 mai au 2 juin 2020.

L'interdiction d'accueil du public a en revanche été clairement posée par le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, à son article 41, I, 2°, pour la période du 1er novembre au 14 décembre 2020 inclus.

Mais contrairement à ce que soutient l'intimée, aucune interdiction ou fermeture n'a ultérieurement été prévue, pour la période du 19 mars au 19 mai 2021, le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021 étant taisant sur ce point.

La résidence objet du litige a donc bien fait l'objet d'une mesure de fermeture administrative mais pendant une durée limitée d'environ deux mois.

En tout état de cause, pendant cette période, les bailleurs ont continué à mettre les locaux loués à la disposition de la société Reside Etudes Apparthôtels, laquelle n'invoque aucun manquement de leur part à leurs obligations de mise à disposition de locaux et équipements conformes à la destination contractuelle. Les locaux permettaient d'exercer l'activité prévue aux baux, ce qui n'est pas contesté.

La fermeture administrative de la résidence de tourisme d'affaires, imposée par les mesures législatives et réglementaires de lutte contre l'épidémie de Covid-19, n'est pas le fait des bailleurs qui, pour leur part, ont continué à remplir leur obligation de délivrance.

De même, la diminution de la clientèle liée au contexte sanitaire est étrangère à l'obligation de délivrance du bailleur.

La demande de suspension du paiement des loyers sur le fondement de l'article 1719 du code civil n'est donc pas fondée, l'obligation de paiement n'étant pas sérieusement contestable. »

 

La Cour d’appel de Paris a considéré que pendant la période de « fermeture administrative » (interdiction d’accueil du public), les bailleurs avaient continué à mettre les locaux loués (appartements) à la disposition du gestionnaire de la résidence de tourisme, qui n’invoquait aucun manquement de leur part à leurs obligations de mise à dispositions de locaux et équipements conformes à la destination contractuelle.

Selon la Cour, les locaux permettaient d’exercer l’activité prévue aux baux.

De même, la baisse de la clientèle liée au contexte de la crise sanitaire est étrangère à l’obligation de délivrance du bailleur.

 

c) Une perte de la chose louée, au sens de l’article 1722 du code civil, permettant au locataire de solliciter une réduction du montant des loyers dus ?

 

  • Pour mémoire, la position de la Cour d’appel de Paris :

 

Dans le cadre d’un litige opposant des copropriétaires bailleurs impayés de leurs loyers face à leur exploitant de résidences de tourisme, notre cabinet a fait juger par la Cour d’appel de Paris, statuant en référé, que (Cour d'appel de Paris, Pôle 1 chambre 2, 2 juin 2022, n° 21/19284) :

 

« Sur la perte de la chose louée

Aux termes de l'article 1722 du code civil, applicable aux baux commerciaux, si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.

L'intimée soutient que la pandémie de Covid-19 et les mesures adoptées par le Gouvernement pour lutter contre sa propagation constituent une destruction momentanée de la chose louée par cas fortuit au sens de ce texte, ce qui justifie une exonération du paiement des loyers depuis le 2ème trimestre 2020 à titre de réduction du prix du bail.

Il est constant que la destruction de la chose louée peut s'entendre d'une perte matérielle de la chose louée mais également d'une perte juridique, notamment en raison d'une décision administrative et que la perte peut être totale ou partielle, la perte partielle pouvant s'entendre de toute circonstance diminuant sensiblement l'usage de la chose.

La perte partielle de la chose louée n'est pas nécessairement définitive et peut être temporaire.

En l'espèce, la société Reside Etudes Apparthôtels a subi une perte partielle de la chose louée puisqu'elle n'a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative, l'absence de toute faute du bailleur étant indifférente.

Il existe en conséquence une contestation sérieuse sur son obligation au paiement de l'intégralité des loyers pendant les périodes de fermeture administrative.

Cependant, il a été vu précédemment que ces périodes de fermeture n'ont pas excédé deux mois et que, hors fermeture, aucun texte, qu'il soit issu du droit commun des obligations ou des dispositions dérogatoires de la période de crise sanitaire, n'autorisait la société Reside Etudes Apparthôtels à suspendre le paiement des loyers, étant rappelé que les aides de l'Etat aux entreprises ont eu pour objet de les soutenir dans le respect de leurs engagements, notamment à l'égard de leurs bailleurs.

L'obligation de règlement des loyers pesant sur la société Reside Etudes Apparthôtels n'est donc pas sérieusement contestable, étant à cet égard relevé que celle-ci propose elle-même désormais, dans le cadre de la conciliation en cours, de régler 70 % du loyer annuel des années 2020 et 2021, reconnaissant ainsi le principe de son obligation.

Elle sera dès lors condamnée au paiement de provisions au titre des loyers dus et impayés, sous déduction de deux mois de loyers correspondant aux périodes de fermeture, pour lesquels la contestation est sérieuse. »

 

La Cour d’appel de Paris a considéré que la destruction de la chose louée peut correspondre à une perte matérielle mais aussi à une perte juridique, notamment en raison d’une décision administrative, et que la perte peut être totale ou partielle.

Selon la Cour, l’exploitation de la résidence de tourisme a subi une perte partielle de la chose louée puisqu’elle n’a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa festination pendant les périodes de fermeture administrative (environ 2 mois).

Il existe donc selon la Cour une contestation sérieuse sur l’obligation de paiement des loyers du 20 mai 2020 au 2 juin 2020, et du 1er novembre au 14 décembre 2020 inclus.

NB : selon notre cabinet, la période de fermeture administrative pour les résidences de tourisme s’est appliquée du 21 mai 2020 au 1er juin 2020 inclus et du 1er novembre au 14 décembre 2020 inclus.

 

La position de la Cour d’appel de Paris, statuant en référé, n’est pas partagée par celle des juges du fond du tribunal judiciaire de Pontoise qui ont écarté l’application des dispositions de l’article 1722 du code civil aux conséquences de la crise sanitaire dans le cas de loyers commerciaux dus par un gestionnaire de résidences de tourisme (Tribunal judiciaire de Pontoise, 13 juin 2022, n° 22/01033) :

 

« Sur l’application de l’article 1722 du code civil

Selon cet article, « Si pendant la durée du bail la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le locataire peut, suivant les circonstances, demander une diminution du prix ou la résiliation du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement. »

Il est de principe qu’il y a perte de la chose louée lorsque sa destruction matérielle est effective et définitive, mais également lorsque son usage ou sa jouissance conformément à sa destination sont devenus impossibles.

En l’espèce, si la destruction matérielle de la chose louée n’est pas invoquée, la défenderesse soutient que la jouissance des locaux conformément à leur destination est devenue impossible. Toutefois, le paragraphe III « Destination des lieux » des baux prévoit que le preneur « exercera, dans les locaux faisant l’objet du présent bail, une activité commerciale d’exploitant avec la fourniture de logements meublés et services para-hôteliers », et ces baux ne prévoient nullement un taux d’occupation minimum. Ils n’ont pas davantage subordonné le paiement des loyers à un taux de remplissage. Or il a été constaté que la jouissance de la résidence n’était pas devenue impossible, seul le taux d’occupation ayant été temporairement réduit.

Dès lors, l’article 1722 précité du code civil, qui ne peut s’appliquer qu’à une situation irréversible, ne peut servir de fondement à une suspension du paiement des loyers.

Il convient de rappeler à cet égard que le législateur n’a pas entendu suspendre l’exigibilité des loyers commerciaux pendant la crise sanitaire. L’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit seulement l’absence de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages et intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation de garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents aux locaux professionnels et commerciaux. »

 

Ainsi, les juges du fond du tribunal judiciaire ont considéré que l’article 1722 du code civil (destruction de la chose louée) ne pouvait s’appliquer qu’à une situation irréversible et ne pouvait donc servir de fondement à une suspension du paiement des loyers commerciaux.

 

 

"7. Par application de l'article 4 de la loi n° 2020 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur l'ensemble du territoire national.

8. En application de l'article 3, I, 2°, du décret n° 202-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité.

9. Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis.

10. Par suite, cette interdiction a été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.

11. L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.

12. Ayant relevé que les restrictions résultant des mesures législatives et réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire n'étaient pas imputables au bailleur et n'emportaient pas perte de la chose, la cour d'appel, saisie en référé d'une demande en paiement d'une provision, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable."

 

Ainsi, la Cour de cassation a considéré que la mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée (article 1722 du code civil) et n’est pas constitutive d'une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance (article 1719 du code civil). Un locataire n’est pas fondé à s’en prévaloir au titre de la force majeure pour échapper au paiement de ses loyers.

En conclusion, les propriétaires bailleurs sont en droit de réclamer le paiement de 100% de leurs loyers pendant la crise sanitaire (COVID-19).

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