La démission du polytechnicien franco-ivoirien a été annoncée le 7 février 2020 avec pris d'effet au 14 février.
Alors qu’il avait magnifiquement redressé la banque, cette affaire de filatures mal réalisées aura eu raison de son poste. Retour sur cette affaire hors du commun qui s’inscrit plus largement dans une guerre économique que se livrent Crédit Suisse et UBS Union des Banques Suisses.
Tidjane Thiam rejoint le Crédit Suisse pour redresser la banque
Si la Suisse est réputée pour ses innombrables établissements bancaires et gestionnaires de fortune, les banques UBS et Crédit Suisse sont de très loin les deux géants du pays.
Ces deux banques leaders et rivales se livrent une guerre sans merci dans le secteur très rentable et concurrentiel de la banque privée.
UBS
Née de la fusion de six banques suisses de gestion de fortune, UBS est officiellement fondée en 1862 avec la création de la Banque de Winterthour. L’Union des Banques Suisses est dirigée depuis 2011 par M. Sergio Ermotti, ancien de l’américian Merril Lynch et de l’italien UniCrédit.
Leader mondial dans la gestion de fortune, elle a géré plus de 3 101 milliards de francs suisses d’actifs financiers en 2018. Implantée dans 50 pays, elle emploie plus de 60 000 personnes dans le monde.
Les sièges sociaux de cette société des services financiers se trouvent à Bâle et à Zurich, haute place de la finance internationale où siège également la banque Crédit Suisse.
Crédit Suisse
Autre éminent membre des Bulge Brackets qui regroupe les plus grandes banques d’investissement au monde, Crédit Suisse est fondée en 1856.
Employant près de 65 000 salariés à travers le monde en 2015 lors de l’arrivée à sa direction de Tidjane Thiam, ce dernier réorganise la banque passant de deux divisions à cinq et réduisant les effectifs de près de 20 000 personnes.
Alors que le Crédit Suisse était dans une position très inconfortable en 2015 en raison d’une hypertrophie de sa banque d'investissement, d’actifs toxiques et de scandales financiers, Tidjane Thiam redresse le Crédit Suisse malgré des doutes et une chute du cours en bourse à l’hiver 2016.
Aussi, il réduit les effectifs de la branche banque d’affaire, développe de branche gestion de fortune, augmente les fonds propres ainsi que son activité en Asie.
La banque a affiché de bonnes performances en 2018 avec un bénéfice net de 2 milliards de francs suisses et le premier semestre de l’exercice 2019 fut encore meilleur.
Dans le même temps, les parts de marché d’UBS ont été progressivement rognées.
Débauchage d’Iqbal Kahn et filatures de détectives privés
Aussi, pour contrer ce concurrent de plus en plus gênant, UBS profite de tensions entre Tidjane Thiam et Iqbal Kahn, alors responsable de la gestion de fortune de Crédit Suisse.
Alors que ce dernier était pressenti pour succéder à terme à son directeur général, il est débauché par UBS et nommé au poste de co-Président de la gestion de fortunes à UBS en juillet 2019, peu de temps après l'annonce des très bon résultats semestriels de Crédit Suisse.
Face à ce départ brutal chez son concurrent le plus direct, Crédit Suisse craint alors une fuite de talents et de clients.
Pour minimiser ce risque, il est décidé de mettre sous surveillance Iqbal Kahn et certains salariés par l’intermédiaire d’une agence de détective privés.
Malheureusement pour Crédit Suisse, Iqbal Kahn découvre qu’il est sous surveillance et dépose plainte auprès de la police. UBS va alors largement exploiter cette affaire de filatures pour mener des actions d’influence sur l’opinion publique à l’encontre de sa rivale.
Le Crédit Suisse tente de répondre tant bien que mal et Tidjane Thiam reconnaît que ce type de pratiques est courant dans le secteur de la finance.
Démission de Tidjane Thiam à la suite de cette affaire de surveillance
Bien que Crédit Suisse ait tenté de contrer cette campagne de communication, les flux ininterrompus de révélations par les médias suisses sont finalement venus à bout de Tidjane Thiam.
Et c'est la « bande des quatre » dans son intégralité qui quitte Crédit Suisse :
- Tidjane Thiam, Directeur général
- Pierre-Olivier Bouée, Responsable des opérations et considéré comme le responsable des filatures, a démissionné à l’automne
- Peter Goerke, Responsable des ressources humaines
- Adam Gishen, Responsable de la communication, du marketing et des relations avec les investisseurs
Certains actionnaires de référence de Crédit Suisse comme Harris Associates portaient Tidjane Thiam en haute estime et ont demandé le départ du président du Conseil d’administration Urs Rohner.
Cet évènement majeur dans le monde de la finance suisse et plus largement au niveau mondial, nous rappelle les réalités de la guerre économique que se livrent les entreprises entre elles.
Recours à des détective privés pour surveiller des concurrents
Si le recours à des détectives privés est chose courante dans la collecte d’informations stratégiques, rappelons que les enquêteurs doivent faire preuve d’un professionnalisme à toute épreuve et n' accepter que les missions légales, au risque de se mettre en porte-à-faux vis à vis de la loi.
Par ailleurs, relevons qu'en plus d'être légitime et légale, chaque mission de détective doit préserver la vie privée des personnes visées par l’enquête (art 9 du code civil).
Dans le cas présent, si le risque de débauchage massif du top management de sa division gestion de fortune était réel et aurait constitué une concurrence déloyale conformément à la jurisprudence en la matière (art 1240 et suivants du code civil), nous pouvons légitimement nous interroger sur la nature exacte de la mission.
Enfin, relevons que le recours à des acteurs de référence est primordial, gage de sérieux et d’efficacité.