Si une marque est classiquement comprise comme un nom ou un logo, en pratique de nombreux autres signes peuvent être déposés en tant que marque.
On parle ainsi notamment de marque de position pour désigner une marque qui est caractérisée par son emplacement particulier sur un produit plus que par son seul aspect visuel.
L’exemple typique est l’apposition de la couleur rouge sous les semelles des chaussures Louboutin, dont l’enregistrement en tant que marque a d’ailleurs été contesté avant d’être finalement admis suite à une décision du Tribunal judiciaire de Paris.
Si ces signes peuvent souvent être attractifs commercialement pour une entreprise, leur enregistrement en tant que marque est toutefois particulièrement compliqué car les signes de position font l’objet d’un examen plutôt sévère par les offices de propriété industrielle.
Une décision récente du Tribunal de l’Union Européenne (Décision du 17 novembre 2021, T-298/19, Think Schuhwerk contre EUIPO) rappelle les conditions nécessaires à l’enregistrement d’une marque de position tout en illustrant à quel point un tel enregistrement est difficile à obtenir.
La distinctivité de bouts de lacets rouges
En l’espèce, la marque de position demandée était la suivante, représentant des extrémités rouges de lacets de chaussures, en forme de pointes rouges (la couleur étant par ailleurs précisément identifiée par son code Pantone).
L’enregistrement était sollicité pour des chaussures classiques à lacets ainsi que pour des chaussures orthopédiques.
Il a toutefois été refusé par l’EUIPO, sur le fondement du défaut de distinctivité de la marque (article 7, paragraphe 1, b) du règlement de l’Union Européenne n°207/2009).
La distinctivité, ou plutôt son absence, est bien souvent au cœur des difficultés rencontrées pour l’enregistrement de marques de position.
En effet, une marque a pour fonction essentielle de garantir au consommateur l’origine commerciale des produits et services sur lesquels elle est opposée. Pour être distinctif, c’est-à-dire pour être à même de constituer une marque, un signe doit donc être compris par le consommateur comme une référence à l’origine de produits et services, et distinguer ces produits et services de ceux proposés par des concurrents.
L’office estimait donc ici qu’un consommateur, voyant une chaussure avec des extrémités de lacets rouges, n’en déduirait pas que les chaussures en question proviennent systématiquement de la même entreprise, mais risquerait plutôt de prendre cette particularité comme un simple choix esthétique.
La spécificité des marques de forme : la nécessaire divergence significative avec les habitudes du secteur
Suivant une jurisprudence déjà bien établie dans le contentieux des enregistrements de marques de position, le Tribunal de l’Union Européenne rappelle que le consommateur n’est pas habitué à déduire l’origine commerciale de produits en se fondant sur des signes qui font partie intégrante de l’aspect même desdits produits.
Dès lors, ces signes ne sont considérés comme distinctifs que s’ils répondent à une condition supplémentaire : ils doivent diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur – ce qui doit être démontré par le déposant.
A cet égard, il ne suffit pas de rapporter la preuve qu’un tel positionnement soit « nouveau » ou « original » : il faut démontrer que la marque « se différencie substantiellement des formes de base du produit en cause, communément utilisées dans le commerce, et qu’elle n’apparaisse pas comme une simple variante de ces formes ».
En l’occurrence, l’examinateur avait relevé l’existence de nombreux lacets comportant une extrémité d’une couleur différente du reste du lacet, de sorte qu’une extrémité rouge ne divergeait pas suffisamment des habitudes du secteur.
Le Tribunal vient donc confirmer que l’enregistrement de la marque devait être rejeté pour défaut de distinctivité.
Difficile donc d’obtenir l’enregistrement d’une marque de position
Cette décision est somme toutes très classique parmi la jurisprudence de l’office européen ayant trait aux marques de position et plus largement aux marques de forme.
Elle illustre toutefois bien à quel point de telles marques sont difficiles à obtenir dans les secteurs présentant une forte dimension esthétique et/ou artistique (tels les secteurs de l’habillement et de la maroquinerie), dans lesquels les designs sont pratiquement aussi nombreux que les acteurs économiques.
Les consommateurs de ces produits sont en effet habitués à rencontrer des designs divers et variés, et des signes de position risquent donc souvent (selon l’appréciation des offices en tout cas) d’être compris davantage comme un choix stylistique que comme une indication d’origine pour le consommateur.
Il sera au surplus très difficile pour le déposant de démontrer quelles sont les habitudes d’un secteur dont lesdites habitudes sont extrêmement variées.
On peut également penser qu’il pourrait être plus simple de parvenir à obtenir un enregistrement d’une marque de position pour un signe déjà connu des consommateurs (une certaine forme de distinctivité acquise par l’usage donc), car le déposant pourrait alors argumenter que le consommateur associe le signe de position à ses produits et que ce signe, désormais bien ancré dans l’esprit du public, diffère suffisamment des habitudes de son secteur.
En tout cas, force est de constater, en examinant les décisions régulièrement rendues en la matière par l’office européen ou les juridictions de recours, que les marques de position sont encore très majoritairement refusées à l’enregistrement.
A défaut d’enregistrement réussi, tout n’est toutefois pas perdu ! Il sera toujours possible, si un concurrent utilise un signe de position un peu trop proche pour des produits similaires, d’agir sur le fondement de la concurrence déloyale ou du parasitisme.
Jonathan GUILLOUX, Avocat
SOLVOXIA Avocats (www.solvoxia-avocats.com)