Google, Critizr, Trustpilot, TripAdivsor… On ne compte plus les sites Internet permettant aux clients ou usagers d’une entreprise voire d’une institution de faire part publiquement de leur avis. Néanmoins, cela donne parfois lieu à des abus.
En effet, il arrive que ces sites soient utilisés pour nuire à la réputation de professionnels, non pas par liberté d’expression ou exercice légitime du droit de critique, mais par vengeance ou par chantage. Au point que certaines enseignes versent des primes à leurs salariés en fonction du nombre d’avis positifs qu’ils conduisent les clients à déposer sur Internet.
Fort heureusement, il est possible de faire supprimer et sanctionner les avis négatifs, en particulier lorsqu’ils sont dénigrants, diffamatoires ou injurieux, que ce soit en agissant contre le site hébergeant de tels avis (1) ou directement contre leurs auteurs (2).
1. L’action contre le site hébergeant l’avis
Il est possible d’agir directement contre le site hébergeant l’avis litigieux, soit sur le fondement de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique dite « LCEN » (i), soit sur celui du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données dit « RGPD » (ii).
i. Sur le fondement de la LCEN
Cette action est envisageable lorsque le site sur lequel figure l’avis ne fait que publier du contenu rédigé par des tiers et ne les rédige donc pas lui-même, ce qui est le cas de la plupart des plateformes recensant des avis.
Elle n’est susceptible d’être fructueuse que si l’avis en question est « manifestement illicite » au sens de la LCEN. En pratique, il pourra notamment s’agir d’avis injurieux, diffamatoires ou encore incitant à la violence ou à la haine. En revanche, elle ne pourra pas fonctionner si l’avis est simplement négatif.
Cette action se déroule en deux temps :
- dans un premier temps il convient d’adresser au site en question une mise en demeure qui doit répondre à un formalisme très précis (article 6-i-5 de la LCEN) et qui le somme de retirer le contenu litigieux ;
- dans un second temps, si le site ne répond pas ou ne supprime pas « promptement » l’avis en question, il est possible de l’assigner devant la juridiction compétente, le cas échéant en référé, non seulement afin que soit ordonnée la suppression de l’avis illicite, sous astreinte, mais aussi d’obtenir des dommages-intérêts — à titre provisionnel s’il s’agit d’un référé (par exemple : TGI Paris, 11 juillet 2019, n° 19/54734) — en réparation du préjudice occasionné.
Il conviendra néanmoins de rester vigilant aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse si l’action est fondée aussi sur ce texte (ce qui sera le cas notamment si l’avis litigieux est diffamatoire), car celle-ci impose des règles procédurales strictes et prévoit des délais de prescription très courts.
ii. Sur le fondement du RGPD
Une telle action sera possible lorsque le professionnel visé par l’avis litigieux est une personne physique et que son nom et/ou ses coordonnées sont associés audit avis, ce qui est le cas en pratique des avis laissés sur Google, sur la fiche « Google My Business ».
En effet, le traitement par Google des données de l’entrepreneur personne physique par le biais d’une fiche « Google My Business » est considéré comme un traitement de données personnelles au sens du RGPD (TJ Chambéry, 15 septembre 2022, n° 19/01427).
Dès lors, l’entrepreneur est en droit de s’opposer au traitement de ces données par Google, a fortiori s’il n’a pas consenti à un tel traitement, ce qui est toujours le cas puisque Google collecte les données des professionnels et crée leur fiche « Google My Business » sans solliciter leur consentement préalable (mais leur suggère ensuite de créer un compte Google pour pouvoir gérer leur fiche My Business et notamment répondre aux avis…).
Or Google ne justifie pas d’un « intérêt légitime » au sens du RGPD, qui lui permettrait de passer outre le consentement de la personne concernée. Il en résulte que la collecte par Google des données de l’entrepreneur et la création, sans son consentement, d’une fiche « Google My Business » contenant notamment des avis n’est ni loyale, ni licite ni transparente et que la finalité du traitement de ces données n’est pas légitime.
Par conséquent, l’entrepreneur est en droit de faire supprimer la fiche Google My Business le concernant, et tous les avis qu’elle contient (TJ Chambéry, 15 septembre 2022, n° 19/01427).
En outre, ce type d’action permet d’obtenir des dommages-intérêts, notamment lorsque les avis litigieux sont constitutifs de dénigrement.
A titre d’exemple, une professionnelle de santé a obtenu la suppression de sa fiche Google My Business et 20.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par des avis tels que : « la sécurité sociale devrait être attentive à ces pratiques » ; « je ne la trouve pas professionnelle du tout » ; « dentiste horrible, juste nulle » ; « praticienne horrible avec les enfants ! Dangereuse! » ; « une femme abominable » ; « arrogante et sans aucune forme d’empathie » ; « il semblerait que cette praticienne soit adepte des faux commentaires 5 étoiles pour contrebalancer son manque de professionnalisme » (TJ Chambéry, 15 septembre 2022, n° 19/01427).
Outre ces actions contre le site hébergeant l’avis, une action contre l’auteur dudit avis est envisageable.
2. L’action contre l’auteur de l’avis
L’action contre l’auteur d’un avis injurieux, diffamatoire ou dénigrant nécessite d’identifier l’auteur dudit avis (i) avant d’engager sa responsabilité (ii).
i. L’identification de l’auteur de l’avis
Les avis en ligne sont souvent rédigés sous pseudonyme, mais cela ne garantit pas pour autant à leur auteur un anonymat total.
En effet, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, il est possible d’obtenir la levée de l’anonymat, c’est-à-dire que soit ordonné à l’hébergeur et/ou au fournisseur d’accès à Internet de communiquer, sous astreinte, les éléments permettant d’identifier l’auteur de l’avis (nom, prénom, adresse email, numéro de téléphone, adresse IP), et ce y compris de manière urgente, dans le cadre d’un référé.
Il est nécessaire pour cela de justifier d’un « motif légitime ». Or la jurisprudence considère que l’intention d’engager des procédures pour l’indemnisation du préjudice causé par des commentaires insultants et dénigrants constitue un motif légitime au sens de ce texte (par exemple : TGI Paris, 11 juillet 2019, n° 19/54734).
Une fois ces éléments obtenus, il est possible d’engager la responsabilité de l’auteur de l’avis.
ii. L’engagement de la responsabilité de l’auteur de l’avis
La responsabilité de l’auteur pourra être engagée principalement sur trois fondements :
- le dénigrement, par application de l’article 1240 du Code civil, le dénigrement étant défini par la jurisprudence comme « un acte consistant à porter atteinte à l'image de marque d'une entreprise ou d'un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d'arguments répréhensibles ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis de manière à toucher les clients de l'entreprise visée, concurrente ou non de celle qui en est l'auteur » (CA Versailles, 10 janv. 2017, n° 02/08371) ;
- la diffamation, définie comme « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » (article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) ;
- l’injure, c’est-à-dire « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait » (article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).
A titre d’exemple, un internaute a été condamné à verser 3.000 euros à une société pour diffamation, pour avoir rédigé sur la fiche « Google My Business » de cette société l’avis suivant, qui y était resté visible de juillet 2019 à septembre 2021 : « délais non respecter commercial sans suivit au téléphone on annonce un produit fabriquer localement hors sa arrive d’Espagne avec un chauffeur qui ne parle pas la langue pas fichu d’expédier une facture papier comme demander encaisse le règlement sans prévenir. a fuir se genre d’ecrocs », la société étant notée d’une étoile sur cinq (TJ Agen, 12 juillet 2022, n° 19/01788).
Si l’action est fondée sur l’injure ou la diffamation, il conviendra de prendre garde aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui prévoit des règles procédurales strictes et des délais de prescription très courts.
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