« Jouer comporte des risques », tel est l’avertissement figurant en tête des sites français de paris sportifs. Mais le parieur déçu peut-il valablement engager la responsabilité d’un sportif lorsqu’il estime que celui-ci lui a fait perdre son pari ? Une affaire relative à un match de football opposant le LOSC (Lille) à l’AJA (Auxerre) (1) nous donne l’occasion de rappeler les principes en la matière (2).
1. LOSC – AJA : le match de la discorde
Durant le week-end des 18 et 19 septembre 2010, un parieur pari sur 14 matchs dans le cadre d’un « Loto Foot ». Les 13 premiers résultats sont bons et notre parieur est à un match de réaliser un sans-faute et d’empocher ainsi près d’un million et demi d’euros ! Ce dernier match, pour lequel le parieur a pronostiqué un match nul, oppose le LOSC (Lille) à l’AJA (Auxerre).
Jusqu’à la 89ème minute, le score est de 0-0 et notre parieur est à deux doigts de devenir millionnaire. Mais voici qu’à 24 secondes de la fin du temps réglementaire, l’attaquant Moussa SOW inscrit le but qui va permettre au LOSC de l’emporter.
Problème : l’attaquant est hors-jeu. A l’époque le VAR n’existe pas, le but est validé et le LOSC remporte officiellement le match.
Le parieur voit ses espoirs de gain s’envoler ! Il emportera finalement quelques milliers d'euros pour avoir pronostiqué correctement 13 matchs sur 14. Le lendemain dans la presse sportive, le joueur lui-même reconnaîtra qu’il était hors-jeu.
C’en est trop pour le parieur qui assigne alors le LOSC et son attaquant Moussa SOW, qu’il estime responsable, de par son but irrégulier, d’avoir faussé le résultat du match et de lui avoir fait perdre près d’un million et demi d’euros, devant le Tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand.
Le tribunal rejette sa demande, tout comme la Cour d’appel de Riom. Le parieur décide donc de se pourvoir en cassation.
A l’appui de son pourvoi, il fait notamment valoir que « dans le domaine du pari sportif toute faute résultant d'une transgression de la règle sportive commise par un joueur dans le cours du jeu, fût-elle sans influence sur la sécurité des pratiquants ou sur la loyauté de l'affrontement sportif, engage sa responsabilité et celle du club dont il dépend dès lors qu'elle a indûment faussé le résultat de la rencontre et causé la perte de chance d'un parieur de réaliser un gain ».
Autrement dit, la réparation du préjudice résultant de la perte d’un pari sportif devrait être traitée, selon le pourvoi, comme une faute simple au sens l’article 1240 du Code civil qui, s’agissant de la responsabilité civile, fait référence à « tout fait quelconque » : dès lors que le sportif enfreindrait une règle du jeu, il serait donc susceptible de voir sa responsabilité engagée par un parieur.
La Cour de cassation écarte ce moyen, en jugeant que « seul un fait ayant pour objet de porter sciemment atteinte à l’aléa inhérent au pari sportif est de nature à engager la responsabilité d’un joueur et, le cas échéant, de son club, à l’égard d’un parieur » (Cass. civ. 2ème , 14 juin 2018, n° 17-20.048).
2. Les principes applicables en matière de responsabilité d’un sportif à l’égard d’un parieur
Cet arrêt de la Cour de cassation pose donc une règle spécifique en matière de réparation du préjudice du parieur : en cas de litige, celui-ci devra prouver que le sportif a volontairement enfreint les règles du jeu en vue de faire disparaître l’aléa inhérent au pari sportif.
En effet, cet aléa inhérent au pari sportif tient notamment au fait que le résultat de la rencontre peut être influencé par des manquements aux règles du jeu dans un sens favorable au parieur, comme dans un sens défavorable.
Dès lors, il ne suffit pas de démontrer une « faute de jeu », c’est-à-dire une violation de la règle du jeu, mais bien une faute « contre le jeu », c’est-à-dire une faute visant à fausser sciemment et délibérément l’aléa inhérent au pari.
En outre, les sportifs sont souvent préposés de clubs et à ce titre seuls leurs commettants (lesdits clubs) pourront le cas échéant être tenus pour responsables des fautes commises par les sportifs qu’ils emploient, dès lors que ces derniers ont agi dans le cadre de leur mission et n’ont commis ni infraction pénale, ni faute intentionnelle (Cass. civ. 2ème , 14 juin 2018, n° 17-20.048).
Or un sportif, agissant dans le cadre de sa mission, est évidemment susceptible de commettre une faute de jeu, sauf à considérer qu’un sportif ne puisse jamais se rendre coupable de la moindre faute sportive.
Au regard de ces principes, les cas où un parieur pourrait valablement engager la responsabilité d’un sportif en raison d’un pari perdu paraissent limités, mais pas inexistants.
Une action en responsabilité serait en effet envisageable notamment en cas de fautes pénales du sportif, car il est clair en pareil cas que ce dernier a entendu faire disparaître l'aléa inhérent au pari sportif :
- corruption passive (article 445-2-1 du Code pénal) : cas où le sportif modifie, par un acte ou une abstention, le déroulement normal et équitable d’une manifestation, en contrepartie d’offres, de promesses, de présents, de dons ou d’avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui ;
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escroquerie à une société organisatrice de paris sportifs (article 313-1 du Code pénal) : cas où un ou plusieurs sportifs parieraient sur le résultat d’une manifestation à laquelle ils participent et fausseraient ensuite le jeu pour emporter ce pari, comme dans le cas de l’affaire des paris truqués dans le handball.
Le cabinet est à votre disposition pour plus d’informations et/ou pour envisager toute action.