La démission en droit du travail et ses subtilités

Publié le 20/01/2020 Vu 6 072 fois 0
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La démission est un mode rupture bien connu du contrat de travail. Mais son régime juridique peut parfois réserver des surprises à l’employeur ou au salarié.

La démission est un mode rupture bien connu du contrat de travail. Mais son régime juridique peut parfois rÃ

La démission en droit du travail et ses subtilités

I. Qu’est-ce qu’une démission ?

 

Dans le sens courant du terme, la démission est définie par le dictionnaire Larousse comme une « action de se démettre d'une charge, d'une fonction » ou un « acte par lequel on signifie sa volonté de se démettre ».

La loi ne précise pas directement la définition d’une démission, l’article L1231-1 du Code du travail se contentant de préciser que « le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ».

Toutefois, sur le plan juridique, il est communément admis que la démission est un acte juridique unilatéral par lequel un salarié notifie à son employeur son souhait de résilier son contrat de travail.

 

II. Quelles sont les conditions de validité d’une démission en droit du travail ?

 

A. Le salarié doit consentir librement à sa démission

 

Bien évidemment, la jurisprudence a encadré les conditions de validité d’une démission, compte tenu du rapport de force présumé inégal et du lien de dépendance certain entre un salarié et son employeur.

Il fallait à tout prix éviter qu’un salarié puisse être amené à signer une lettre de démission contre son gré et sous la pression de son employeur.

En effet, la démission est une solution beaucoup plus « rentable » pour l’employeur, qui s’exonère dans un pareil cas du paiement de diverses sommes, parmi lesquelles figure en bonne place l'indemnité de licenciement.

La jurisprudence a donc pu préciser qu’une démission doit être « librement consentie ».

Cela signifie que la démission doit résulter d’une volonté propre au salarié de quitter son poste : son consentement ne doit pas être vicié.

Faute de consentement libre du salarié, la démission est nulle et la rupture du contrat de travail doit alors s’analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 96-44.299 D).

Cette sanction radicale est toutefois rare puisque, revers de la médaille, la charge de la preuve du consentement vicié pèse sur le salarié : ce dernier doit apporter la preuve que sa démission n’a pas été librement donnée.

Or, une telle preuve est très difficile à administrer.

Parmi les hypothèses où un vice du consentement à la démission a été retenu, on peut citer le cas d’un salarié qui était sujet à un état dépressif (Cass. soc., 1er février 2000, n° 98-40.244) ou celui d’un salarié ne maitrisant pas le français et qui avait  signé malgré cela une lettre de démission dans la langue de Molière (Cass. soc., 1er octobre 2003, n° 01-44.736).

La jurisprudence a également sanctionné les démissions rédigées « sous la dictée » en présence d’autres collaborateurs : le salarié avait alors pu démontrer, par le biais de témoignages, que l’employeur l’avait forcé à démissionner (Cass. soc., 30 septembre 2003, n° 01-44.949).

 

B. La volonté du salarié de démissionner doit être claire et non équivoque

 

Outre un consentement libre du salarié, la démission suppose également une « volonté claire et non équivoque » de démissionner (A, B). En principe, aucun formalisme n'est imposé (C).

 

1. La volonté de démissionner doit être clairement donnée à l’employeur

 

La jurisprudence nous apprend que le salarié doit concrètement faire connaître à son employeur son souhait de rompre le contrat de travail.

Ce faisant, il est impossible de prévoir par avance dans le contrat de travail que telle ou telle attitude du salarié s’analysera automatiquement en une démission, telle par exemple une absence injustifiée (Cass. soc., 29 octobre 1991, n° 88-45.606).

 

2. La démission évoque, notifiée en raison de manquements de l’employeur, constitue une « prise d’acte »

 

En outre, la nécessité d’une démission « non équivoque » impose que le salarié ne quitte pas son poste en reprochant des faits fautifs à son employeur.

Dans un pareil cas, le salarié quitte en effet son travail en raison de manquements reprochés à son employeur : il ne s’agit plus d’une rupture pour convenance personnelle mais bien d’une rupture aux torts de l’employeur.

Le salarié estime alors qu’il est impossible, du fait de l’attitude de l’employeur, de se maintenir dans des conditions de travail normales à son poste.

Dans cette hypothèse, on ne parle plus d’une démission mais bien d’une « prise d’acte » par le salarié de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.

La seule présence de reproches dans une lettre de démission rend celle-ci équivoque et la transforme en prise d’acte (Cass. soc., 9 mai 2007, n° 05-45.613).

Même en l’absence de griefs dans la lettre de démission, celle-ci peut être considérée comme équivoque si le salarié la remet en cause dans un délai raisonnable en expliquant les reproches formés à l’encontre de l’employeur (Cass. soc., 29 septembre 2009, n° 08-40.363).

La mise en œuvre d’une prise d’acte présente une complexité telle qu’il est fortement recommandé aux salariés concernés de se faire assister par un avocat en droit du travail dans une telle hypothèse.

En effet, la prise d’acte obéit à un régime procédural particulier : après avoir transmis une lettre faisant état des reproches contre son employeur, le salarié doit ensuite saisir directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes pour faire requalifier cette prise d’acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L.1451-1 du Code du travail).

 

 

 C. Quelle sont les formalités obligatoires pour procéder à une démission ?

 

1. En théorie, la lettre de démission n’est pas obligatoire

 

Contrairement à une idée très répandue, il n’est pas obligatoire de démissionner par écrit.

Ainsi, un salarié qui se fait embaucher à temps plein chez un nouvel employeur est réputé démissionnaire par la jurisprudence, y compris lorsque ce salarié n’a jamais transmis de lettre de démission (Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-25.414).

Il suffit alors pour l’employeur de détenir la preuve de l’embauche du salarié chez un autre employeur (contrat de travail, profil Linked In ©, …).

Pareillement, la démission est valable lorsque l’employeur parvient à prouver, via des déclarations émanant de tierces personnes, que son salarié a affirmé quitter une entreprise sans formes ni annonces pour convenance personnelle (Cass. soc. 20 octobre 2016, n° 15-17.390).

Il convient de préciser que certaines conventions collectives posent le principe selon lequel la démission doit être écrite pour être valable.

Mais cette possibilité est parfaitement inutile puisque la jurisprudence refuse d’annuler les démissions faites en violation de règles conventionnelles (Cass. soc., 28 septembre 2004, n° 02-43.299).

 

III. Quelles conséquences juridiques en cas de démission d’un salarié ?

 

A. La démission entraîne la rupture du contrat de travail

 

Bien évidemment, la démission est une rupture contractuelle : la conséquence directe d’un tel acte juridique est la rupture du contrat de travail du salarié.

Son effet est automatique puisque l’employeur n’a pas à accepter la démission (Cass. soc., 6 novembre 1997, n° 95-44.339).

La démission fait alors courir le délai de préavis que le salarié doit respecter, sauf si l’employeur l’en dispense (les délais de préavis résultent bien souvent de la convention collective applicable).

Or, il arrive souvent que l’employeur dispense son salarié d’une partie de son préavis, puisqu’il n’est pas forcément judicieux de garder au sein de l’entreprise une personne qui a déjà "la tête ailleurs".

Mais le salarié doit être vigilant et respecter son préavis en l’absence de dispense, l’employeur étant en droit dans le cas contraire de lui réclamer des dommages et intérêts.

En outre, comme tout « droit », la démission peut être mise en œuvre de manière abusive et sanctionnée judiciairement comme un « abus de droit ».

Dans un pareil cas, l’abus doit être caractérisé par l’employeur : ce dernier ne peut uniquement se plaindre du seul coût financier représenté par le remplacement du salarié démissionnaire (Cass. soc., 29 janvier 2002, 98-44.430).

Une intention de nuire doit alors clairement être établie.

Par exemple, au sein d’une grande maison de couture, constitue une démission abusive le fait pour un mannequin de haute couture de rompre brusquement et sans préavis son contrat de travail au cours de la journée de présentation à la clientèle de la collection qui comprenait des modèles créés sur ses propres mesures (Cass. soc., 19 juin 1959, n° 58-40.515).

 

B. La démission ne peut en principe être rétractée

 

Une fois exprimée à l’attention de l’employeur, la démission ne peut en principe être rétractée par le salarié.

Cela suppose bien évidemment que la démission soit clairement établie.

Dans une telle hypothèse, la rétractation est sans aucun effet et le contrat s’avère tout de même rompu (Cass. soc., 13 juillet 1988, n° 85-45.798).

En revanche, comme indiqué précédemment, la rétractation formulée avec des reproches vis-à-vis de l’employeur peut permettre de transformer la démission en une prise d’acte de la rupture du contrat.

Mais cette démarche ne peut provoquer une résurrection du contrat de travail rompu via la démission, sauf en cas d’accord de l’employeur.

En effet, l’employeur peut parfaitement accepter la rétractation du salarié.

Une telle hypothèse se présente même parfois de manière tacite, notamment lorsque la relation de travail se poursuit après la fin du délai de préavis de démission applicable au salarié démissionnaire (Cass. soc., 28 mars 2006, n° 04-42.228).

 

C. Le salarié ne peut en principe bénéficier de l’assurance chômage

 

En principe, le salarié démissionnaire ne bénéficie pas de l’indemnisation de Pôle Emploi en cas de démission.

Cette règle rend contraignante la démission et explique en grande partie le recours massif à la rupture conventionnelle, qui permet au contraire de bénéficier de l'indemnisation chômage.

Toutefois, dans certains cas précis prévus par la loi et par des convention et règlements propres à l’UNEDIC, la démission peut être considérée comme « légitime » par Pôle emploi et entraîner la possibilité de percevoir l’allocation de retour à l‘emploi.

A titre d’exemple, on peut citer le cas d’un salarié mineur qui démissionne pour suivre ses parents dans une autre région.

Autres exemples : une démission pour suivre son enfant handicapé admis dans une structure d'accueil éloignée du lieu de travail ou une démission pour conclure un contrat de service civique.

Outre les cas classiques de « démissions légitimes », la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé une nouvelle possibilité de bénéfice de l’assurance chômage lorsque la démission vise à mettre en œuvre un projet de reconversion professionnelle (suivi d’une formation ou projet de création ou de reprise d'entreprise).

Il s’agit là de la matérialisation juridique de la promesse faite par le candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle française de 2017, lequel avait promis à l’époque d’ouvrir aux démissionnaire le droit à l’indemnisation chômage.

Toutefois, le dispositif actuel est bien éloigné de la promesse initiale puisque plusieurs conditions drastiques doivent être réunies.

En premier lieu, le démissionnaire doit justifier d’au moins 1300 jours travaillés sur les 60 mois précédent la rupture du contrat de travail.

Surtout, le démissionnaire doit en second lieu justifier avoir mis en œuvre un conseil en évolution professionnelle en amont et doit également faire attester du caractère « réel et sérieux » de son projet par une commission paritaire interprofessionnelle régionale (« CPIR »).

Ce faisant, un « filtre des bénéficiaires »  a été mis en place par la loi du 5 septembre 2018, ce qui va immanquablement limiter le droit des démissionnaires à bénéficier de l’assurance chômage.

 

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