Le droit des transports se distingue par sa complexité et par l’important encadrement législatif accumulé depuis de nombreuses années au sujet de la prestation de déplacement des marchandises.
Ainsi, le transporteur est soumis à une obligation de résultat de déplacer la marchandise sans aucune perte, avarie ou retard de livraison. A défaut, ce dernier engage sa responsabilité vis-à-vis de ses clients : l’expéditeur et le destinataire.
Cette lourde responsabilité s’accompagne de délais très courts prévus par les textes pour éviter que des recours tardifs viennent affaiblir le transporteur sans que ce dernier ne puisse produire des preuves de sa bonne foi et de la bonne exécution de sa prestation.
La question de l'inutilité des marchandises avariées ou livrées tardivement
Parfois, les entreprises clientes du transport doivent supporter des coûts importants de stockage des marchandises livrées.
Dans d’autres cas, le retard du transporteur fait perdre à l’entreprise cliente un marché, si bien que les marchandises livrées tardivement ne lui sont plus d’aucune utilité.
C’est dans ce contexte que les praticiens du droit des transports ont développé une technique dite du « laissé pour compte », laquelle consiste pour le destinataire des marchandises à refuser la livraison et à inviter le transporteur à repartir avec les marchandises avariées ou livrées tardivement.
Cette méthode revient en réalité pour le destinataire à considérer que le convoi est en « perte » totale.
Au départ, la jurisprudence a vu dans la technique du "laissé pour compte" une forme de "réparation du préjudice" pour le destinataire du transport
Certains auteurs ont assimilé cette pratique à une forme de résiliation unilatérale du contrat fondée sur les manquements graves du cocontractant, cette fameuse découverte jurisprudentielle de 1998 (Cass. Civ. 1re, 13 octobre 1998, n° 96-21.485 P: D. 1999. 197, note Jamin; RTD civ. 1999. 394, obs. Mestre) aujourd’hui inscrite dans le droit écrit depuis la réforme du droit des obligations de 2016 (article 1226 du Code civil).
Toutefois, dès 1835, la jurisprudence avait admis cette pratique comme un mode de « réparation du préjudice subi » (Cass. Civ., 3 août 1835, S. 1835. 1. 817).
L'assimilation ultérieure à une forme de résiliation unilatérale du contrat aux torts du transporteur
De manière plus récente, la jurisprudence a visiblement rejoint la vision développée par la doctrine en assimilant la technique du "laissé pour compte" à une forme de résiliation unilatérale du contrat aux torts du transporteur.
Les décisions contemporaines semblent toutefois plus exigeantes : les juridictions exigent désormais que la faute du transporteur (et donc l’état des marchandises ou l’intensité du retard) soit gravissime et que, en conséquence, les marchandises ne présentent plus aucune utilité : aucune revente possible, marchandises devenues impropres à leur usage, … (CA Versailles, 12e ch., 5 janvier 1995, n° 4568/93 ; BTL 1995.186).
La légitimité du « laissé pour compte » est alors appréciée en fonction de la nature des marchandises (CA Paris, 5e ch., 18 mars 1983, BT 1983.421), de l’utilisation que le destinataire pourra en faire et de l’intensité du retard de livraison (CA Paris, 5e ch., 28 octobre 1993, n° 91-4260).
A défaut, le recours à la technique du laissé pour compte pourra être sanctionnée judiciairement en cas de recours du transporteur.
Il est donc permis d'avoir recours à cette méthode, à condition toutefois de respecter les strictes conditions sus évoquées.