En l’espèce, en 2014, une exposition au Centre Pompidou dévoile une sculpture de l’artiste Jeff KOONS créée en 1988, s’inspirant d’une photographie de publicité pour la marque Naf-Naf de 1984 "Fait d'hiver- Naf- Naf le grand méchand look". Le directeur artistique titulaire des droits d'auteur sur le visuel publicitaire intente alors une action en contrefaçon. La photographie publicitaire est reconnue comme une oeuvre originale et bénéficie donc de la protection au titre du droit d'auteur.
Le Centre Pompidou et Jeff KOONS ne pourront plus exposer l'oeuvre contrefaisante en faïence intitulée "Fait d'hiver" faisant partie de la série "Banality". Toute reproduction est aussi interdite, notamment celle qui était faite sur le site Internet www.jeffkoons.com et ce, sous astreinte de 600 euros par infraction et par jour.
En outre, Jeff KOONS, la société Jeff KOONS et le centre Pompidou (ce dernier dans la limite des 20% des sommes allouées) ont été condamnés à payer in solidum au directeur artistique des dommages et intérêts pour les atteintes causées par l'exposition rétrospective de l'oeuvre de Jeff KOONS au Centre Pompidou:
- 110 000 euros en réparation de l'atteinte au droit patrimonial de représentation sur la photographie "Fait d'hiver";
- 40 000 euros en réparation des atteintes au droit moral sur ladite photographie.
En outre, pour les atteintes causées par l'édition du catalogue, de l'album et du portfolio de l'exposition rétrospective:
-25 000 euros en réparation de l'atteinte au droit de reproduction sur la photographie "Fait d'hiver"; et
-15 000 euros en réparation des atteintes au droit moral sur ladite photographie.
De plus, la société Jeff KOONS a été condamnée à payer à titre de dommages et intérêts en réparation des atteintes causées par la reproduction de la sculpture contrefaisante sur le site internet www.jeffkoons.com:
-8 000 euros en réparation de l'atteinte au droit de reproduction sur la photographie "Fait d'hiver";
-6 000 euros en réparation des atteintes au droit moral sur ladite photographie.
Enfin, Jeff KOONS, la société Jeff KOONS, le centre Pompidou, la fondation Prada et la société Flammarion ont été condamnées pour les honoraires et frais à payer en application de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 70 000 euros.
Les sommes sont non négligeables: plus de 200 000 euros! Attention donc artistes, exposants et éditeurs à notamment faire des recherches avant de reproduire l'oeuvre d'un artiste.
Je vous propose de revenir sur cette affaire intéressante puisqu'il s'agit de la contrefaçon d'une oeuvre transformative ou composite, fréquente sur le marché de l'art. En effet, les courants du Ready Made, du Pop Art ou de manière générale l'art d'appropriation utilisent des références et personnages empruntés à l'univers, à la culture et aux croyances populaires. Elle nous permet aussi de comprendre les limites entre la liberté d'expression de l'artiste et celles de la parodie. Enfin, elle soulève aussi la question de savoir si le droit français pouvait s'appliquer dans une affaire qui concernait une oeuvre réalisée par un artiste américain. Précisons que le moyen de défense selon lequel l'oeuvre avait été initialement exposée aux Etats-Unis a été soulevé par l'artiste Jeff KOONS et sa société. Ces derniers ajoutaient que le public visé est principalement américain puisque le site internet est exclusivement en langue anglaise. En outre, le lieu de résidence et de travail de l'artiste sont aux Etats-Unis. Le but était évidemment de soulever l'incompétence des juges français.
Sur la question de la compétence des tribunaux français, il est rappelé que "la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'une atteinte à un droit de propriété intellectuelle est celle du pays pour lequel la protection est revendiquée". (Règlement UE 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit Rome II- article 8.1). Il est constant qu'en vertu de cette disposition, la législation est celle de l'Etat sur le territoire duquel se sont produits les agissements litigieux (lex delicti).
En l'espèce, les faits de contrefaçon allégués concernent la représentation de la sculpture de Jeff KOONS à l'occasion d'une exposition rétrospective au Centre Pompidou à Paris, et la reproduction de cette sculpture dans des ouvrages édités par le Centre Pompidou et la société Flammarion en français et vendus en France. En outre, le site Internet de Jeff KOONS est bien accessible depuis la France et notamment par un public français anglophone.
La France est donc bien le pays où se sont produits les agissements reprochés et, de surcroît, celui où a été subi le dommage. L'auteur de la photographie est de nationalité française et réside en France. La loi américaine ne doit pas s'appliquer dans cette affaire au motif que Jeff KOONS est américain et que l'oeuvre a été exposée aux Etats-Unis avant de l'être en France. La loi française doit s'appliquer et les tribunaux français sont donc compétents.
Sur les droits d'auteur, la question était de savoir si l'oeuvre de Jeff KOONS est une oeuvre à part entière qui porte l'empreinte de la personnalité du plasticien et qu'elle est porteuse d'un message artistique qui lui est propre s'inscrivant ainsi dans un débat d'intérêt général. L'oeuvre de Jeff KOONS était-elle une oeuvre transformative et non contrefaisante?
Rappelons que l'oeuvre transformative, ou composite, est celle qui emprunte à une oeuvre première et apporte à son tour une création originale qui lui confère une protection par le droit d'auteur. L’article L. 113-2 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle énonce qu'« est dite composite l'œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière ».
De plus, l'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que "Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque".
La Cour a relevé les différences entre la photographie et la sculpture. Elle ajoute que les ressemblances entre les oeuvres sont prédominantes.
En l'espèce, la sculpture de Jeff KOONS reprend la combinaison des caractéristiques originales de la photographie "Fait d'hiver". Cette oeuvre est composite. Elle repose sur une appropriation non autorisée d'une oeuvre première. L'adaptation de la photographie ne pouvait se faire sans l'accord de son auteur. A défaut, la contrefaçon est constituée.
En l'espèce, par conséquent, l’œuvre de Jeff KOONS porte atteinte aux droits patrimoniaux et moraux de l'auteur de l'oeuvre initiale.
Concernant l’exception de parodie, trois conditions cumulatives doivent être réunies :
- l’œuvre seconde doit évoquer une œuvre existante ; et
- l’œuvre seconde ne doit pas risquer d’être confondue avec l’œuvre première ; et
- l'oeuvre seconde doit constituer une manifestation d’humour ou une raillerie.
Dans un arrêt du 3 septembre 2014, la Cour de Justice de l'Union Européenne a précisé que "la parodie a pour caractéristiques essentielles, d'une part, d'évoquer une oeuvre existante, tout en présentant les différences perceptibles par rapport à celles-ci et, d'autre part, de constituer une manifestation d'humour ou de raillerie" (C 6201/13 Deckmyn).
En l’espèce, la manifestation d’humour ou de raillerie « ne ressort pas de façon évidente de la description » de l’artiste à sa sculpture. De plus, le public n’aurait pas pu rattacher cette sculpture à un visuel publicitaire ancien et donc percevoir la dimension parodique de celle-ci. Jeff KOONS n'a rapporté aucun élément permettant de rattacher sous une forme parodique son oeuvre à la photographie litigieuse. Le moyen d’exception de parodie a donc été rejeté par la Cour d’appel de Paris.
Concernant le bénéfice de la liberté d’expression artistique: l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonce que toute personne a droit a la liberté d'expression. Le droit à l'information du public et la liberté d'expression notamment artistique qui en résultent doivent être exercés dans le respect des autres droits fondamentaux tels que le droit de propriété. Or, le droit d'auteur découle de ce dernier.
Il a été rappelé que Jeff KOONS n’a pas recherché l’auteur de la photographie pour obtenir l’autorisation de s’en inspirer. Il aurait pu largement le faire, compte tenu de ses moyens, ou démontrer tout au moins qu'il avait fait des recherches qui s'étaient révélées infructueuses. La limitation à la liberté d'expression de Jeff KOONS est prévue par l'article L.122-4 du CPI qui condamne toute adaptation ou transformation d'une oeuvre sans le consentement de son auteur ou de ses ayant droits.
Ainsi, la mise en oeuvre de la protection de la photographie "Fait d'hiver" au titre du droit d'auteur constitue une atteinte proportionnée et nécessaire à la liberté d'expression créatrice de Jeff KOONS.
Enfin, la bonne foi évoquée par le centre Pompidou pour sa défense est écartée. La bonne foi est inopérante en matière de contrefaçon. La reproduction, la représentation ou l'exploitation d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits qui y sont attachés suffisent à caractériser la contrefaçon indépendamment de la faute ou de la mauvaise foi.
Anne-Katel MARTINEAU