En juillet dernier, les médecins du secteur public etaient entré en grève après celle des infirmiers, décidée au mois de juin dernier. Les médecins reprochent au gouvernement congolais de ne pas respecter leurs revendications entre autres la suppression de l’impôt sur le revenu professionnel (IPR) prélevé sur la prime de risque professionnel.
Selon docteur Tantan Kalubi Mulamba, syndiqué du SYNAMED, le gouvernement ne respecte pas ses promesses.
Rappelons que la grève comme l'affirme Jean Michel KUMBU est un phénomène de force qui consiste en une cessation du travail dont l'efficacité dépend de la capacité respective des parties.
Elle peut être spontanée et brutale, sans but précis, organisée et dirigée vers un résultat détermin, limitée à une entreprise ou généralisée à une branche ou à une région ; bref il s’agit d’une cessation collective du travail par des salariés en vue d’obtenir la satisfaction d'une modification ou l'application du droit par l'employeur. C’est un instrument de lutte essentiel pour les travailleurs (1). Cela peut s'expliquer par le fait que Le droit du travail étant un droit inégalitaire entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur c'est la liberté qui opprime et la loi affranchit (2).
Il importe de souligner que le droit de grève a été créé pour constituer un équilibrer les deux forces en présence parce que l'employeur pourrait toutefois faire travailler ses salariés dans les mauvaises conditions, de ne pas les payer, c'est pour cela il a été institué un droit de grève.
Cependant, compte tenu du statut ou du rôle qu’ils sont appelés à remplir dans la société, les médecins sont souvent mal vu lorsqu’ils vont en grève pour revendiquer l’amélioration de leurs conditions de travail et la régularisation de leur situation financière. Cet article a pour but de déterminer le fondement juridique de droit de grève qu'ont les médecins dans notre pays (I) et nous verrons également quelle est la position de la déontologie médicale face au droit de grève des médecins (II).
I. LE FONDEMENT JURIDIQUE DE LA GRÈVE EN DROIT CONGOLAIS
Comme tous les autres travailleurs, les médecins ont le droit de recourir à la grève comme moyen de revendication. Et ce droit de grève trouve son fondement sur base des instruments juridiques suivants :
1. La constitution
La grève en tant que droit fondamental ayant une portée constitutionnelle est classée parmi les libertés publiques.
La grève constitue un moyen légitime de défense des intérêts professionnels, faisant contre poids au pouvoir du chef d'entreprise (3).
En effet, la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour reconnaît et garantit à travers son article 39 le droit de grève, lequel s'exerce dans les conditions fixées par la loi qui peut en interdire ou en limiter l'exercice dans les domaines de la défense nationale et de la sécurité ou pour toute activité ou tout service d'intérêt vital pour la nation.
Le constituant congolais n'a pas voulu s'écarter de différentes conventions internationales.
Notre constitution garantit la liberté syndicale qui est reconnue à tous les travailleurs congolais, tous les congolais ont le droit de fonder des syndicats ou de s'y affilier librement dans les conditions fixées par la loi (4).
Il ressort de la lecture de ces articles que la liberté syndicale implique que les syndicats ont pour objectif de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs.
Ainsi, la constitution permet à tout salarié à s'affilier dans un syndicat de son choix de telle sorte qu'en cas de conflit collectif ou individuel du travail avec l'employeur le syndicat pourra défendre ses intérêts auprès de ce dernier et il peut engager toutes sortes de protestations.
Le code du travail aborde la notion de la grève comme étant une des causes qui peuvent suspendre le contrat du travail.
Le code du travail constitue un guide pour l'employeur lorsqu'il veut conclure un contrat du travail avec un travailleur.
La constitution de la République Démocratique du Congo reconnait le droit de grève, le code du travail donne la procédure en cas de conflit collectif du travail et tout en préconisant des sanctions à l'encontre de toute personne qui aurait contraint un travailleur à participer à une cessation collective du travail, soit à empêcher le travail ou la reprise du travail (5).
Le code du travail constitue un instrument qui contient des dispositions impératives que l'employeur ne peut y déroger tout en allant en deçà du minimum fixé par le législateur.
L'arrêté n°12/CAB.MIN/ETPS/113/2005 du 26 octobre 2005 fixant les droits et obligations des parties pendant la suspension du contrat de travail vient renforcer les dispositions du code du travail en matière de grève.
Précisons que cet arrêté préconise le comportement que doivent avoir les parties pendant la suspension du contrat de travail.
La note circulaire n°12/CAB.MIN/ETPS/05/09 du 14 août 2009 relative aux instructions pour l'usage du droit de grève en République Démocratique du Congo, aux organisations professionnelles des employeurs et des travailleurs, entreprises et établissements de toute nature vient aussi renforcer le code du travail. Ces deux décisions ministérielles viennent juste renforcer le code du travail.
3. La convention de l'O.I.T sur le droit syndical
Cette convention a été adoptée le 9 juillet 1948, et elle fut entrée en vigueur le 4 juillet 1950. Elle a été élaborée afin d'améliorer la condition des travailleurs et d'assurer la paix sociale.
Le droit à la liberté syndicale est entendu comme un droit collectif et l'ensemble de droits incluant celui de faire grève. Les syndicats assurent la défense collective et individuelle des intérêts des salariés.
L'O.I.T. a voulu protéger les travailleurs parce que l'employeur cherche toujours le gain au détriment des salariés même si les conditions de travail sont mauvaises pour lui c'est le bénéfice, l'O.I.T. n'a pas voulu laisser les travailleurs à leur triste sort.
II. LA DÉONTOLOGIE MÉDICALE FACE AU DROIT DE GRÈVE
Comme nous l'avons évoqué au début, dans notre société, la grève des médecins est souvent mal vu et la plus part des critiques qui sont faites à l’égard de droit de grève pour les médecins se fondent souvent sur le Serment d’Hippocrate(6). Selon Pellegrino derrière toute prise en charge médicale il y a la promesse de la part du praticien de veiller au bien de son patient. Cela implique non seulement de protéger le patient de ce qui pourrait nuire à sa santé, mais aussi de veiller à agir pour son bien. L’intérêt propre du médecin devrait pouvoir s’effacer devant ceux de son patient (7). Cela constitue le soubassement même de la médecine.
Selon la Déclaration d’Helsinki rappelle clairement que : « Le devoir du médecin est de promouvoir et de sauvegarder la santé, le bien-être et les droits des patients, y compris ceux des personnes impliquées dans la recherche médicale. Le médecin consacre son savoir et sa conscience à l’accomplissement de ce devoir. » (8). Le Code International d’Éthique Médicale de l’Association Médicale Mondiale ajoute que : « Le médecin devra agir uniquement dans l’intérêt de son patient […] » ou encore : « Le Médecin devra toujours avoir à l’esprit le souci de conserver la vie humaine. […] Le médecin devra considérer les soins d’urgence comme un devoir humanitaire à moins qu’il soit assuré que d’autres désirent apporter ces soins et en sont capables. » (9).
Rappelons également que la Déclaration de Genève qui est aujourd’hui considère comme le Serment d’Hippocrate moderne et dans lequel on peut lire : « Je considérerai la santé de mon patient comme mon premier souci » (10). Enfin, il importe de rappeler que le Guide Européen d’Éthique Médicale aborde spécifiquement et de façon très claire la question de la grève médicale dans son article 37 : « Lorsqu’un médecin décide de participer à un refus collectif organisé des soins, il n’est pas dispensé de ses obligations éthiques vis‑à‑vis des patients à qui il doit garantir les soins urgents et ceux nécessaires aux malades en traitement » (11).
En République démocratique du Congo le code de déontologie médicale congolais s’inscrit dans la ligne hippocratique et porte des réponses à ceux qui s’opposent au principe des grèves médicales, en particulier celles sans service minimum. Ainsi, nous pouvons lire dans l’article 1 de ce code déontologie dispose : « L’exercice de la médecine est un ministère. Le respect de la vie et de la personne humaine constitue en toute circonstance le devoir primordial du médecin ». Cela a pour conséquence que : « Quelle que soit sa fonction ou sa spécialité, tout médecin doit, hors le seul cas de force majeure, porter secours d’extrême urgence à un malade en danger immédiat si d’autres soins médicaux ne peuvent lui être assurés » (12).
Le code de déontologie ajoute également que : « Le médecin peut se dégager de sa mission à condition :
1° de ne jamais nuire, par ce fait, au malade dont il se sépare ;
2° d’en avertir le malade ou son entourage ;
3° de fournir les renseignements qu’il juge, en conscience, utiles à la continuité des soins, compte tenu des obligations du secret médical » (13).
La déontologie médicale sur le plan international ou sur le plan national, ne s'oppose à l’idée au fait que des médecins puissent faire grève, toutefois elle rappelle les devoirs propres à la profession et fournit par la même occasion des repères morales pour encadrer le droit de grève. On pourrait formuler ces balises de cette façon :
1) le premier devoir du médecin est, sauf cas de force majeure, de sauvegarder la santé et la vie de ses patients en leur offrant les soins dont ils ont besoin ;
2) laisser la santé d’un patient se détériorer de façon grave, voire le laisser mourir alors qu’il était possible de lui porter secours est en totale opposition avec l’esprit même de la déontologie médicale. La déontologie médicale fournit dès lors des arguments pour accepter que des médecins puissent faire grève à condition que tout soit organisé pour que la santé et la vie des patients ne soient pas menacées par les actions menées.
Références
1. Jean Michel KUMBU, Droit social : droit du travail et de la sécurité sociale, éd. Galimage, Kinshasa, 2015, p.133
2. www.sud-travail-sociales.org
3. LUWENYEMA LULE, Précis de droit du travail zaïrois, Lule, Kinshasa, 1989.p.364.
4. Article 38 de la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour
5. Article 323 du code du travail congolais du 16 octobre 2002
6. Thomson SL, Salmon JW. Strikes by physicians: a historical perspective toward an ethical evaluation. International Journal of Health Services. 2006; 36(2):331 54.
7. Pellegrino ED, Thomasma DC. The Virtues in Medical Practice. New York/Oxford: Oxford University Press; 1993 cité dans Les grèves de médecins en République Démocratique du Congo : quels repères éthiques généralisables ? in Revue Canadienne de la Bioéthique, Volume 2, Number 2, 2019, p.6
8. Association Médicale Mondiale. Déclaration d’Helsinki: Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains; 1964/2013
9. Association Médicale Mondiale. Code International d’Éthique Médicale de l’AMM; 1949/2006
10. Association Médicale Mondiale. Déclaration de Genève; 1947.
11. Conférence Internationale des Ordres des medecins. Guide européen d’éthique médicale; 6 janvier 1987
12. Article 2 de l'Ordonnance-loi n⁰70-158 du 30 avril 1970 déterminant les règles de la déontologie médicale.
13. Article 22 de l'Ordonnance-loi n⁰70-158 du 30 avril 1970 déterminant les règles de la déontologie médicale.