En pratique, les collaborations entre une société de presse et un journaliste professionnel peuvent prendre des formes diverses : contrat de travail à durée indéterminée (lequel est "la forme normale et générale de la relation de travail" selon l'article L1221-2 du Code du travail), contrat à durée déterminée, commandes régulières payées à la pige (dans un tel cas, s'inscrivant dans un contrat à durée indéterminée), commandes occasionnelles…
En pratique toujours, il n'est pas rare qu'un même salarié ait, au cours des années, alterné avec le même employeur plusieurs types de contrats (CDD puis CDI par exemple) et modes de paiement : à la tâche (pige), au temps passé, voire en droits d'auteur.
Une telle succession de contrats et de modes de rémunération différents est source de complications infinies lorsqu'il s'agit de déterminer l'ancienneté du journaliste dans l'entreprise.
Or que ce soit pour le calcul de la prime d'ancienneté entreprise ou celui de l'indemnité de licenciement, il est nécessaire de déterminer cette ancienneté et donc le point de départ du contrat de travail.
C'est sur ce sujet que s'est penchée la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 12 juin 2014.
Une journaliste professionnelle avait commencé à travailler pour une société de presse en avril 2004.
Elle est payée en droits d'auteur et aucun contrat de travail n'est donc signé.
Le 1er juillet 2007, la même société lui remet un contrat de travail à durée déterminée.
Ce contrat de travail à durée est renouvelé à son terme.
La journaliste, au cours de l'exécution de ces 2 CDD, est payée à la pige.
En novembre 2008, les parties signent un nouveau contrat de travail, cette fois-ci à durée indéterminée avec effet rétroactif au 1er juillet 2008.
Une clause du contrat prévoit que l'ancienneté de la journaliste est fixée au 1er juillet 2007, date du premier contrat à durée déterminée.
Ce n'est là que l'application de l'article 17 de la convention collective des journalistes que prévoit que "si le contrat à durée déterminée est transformé en contrat à durée indéterminée, l'ancienneté prend effet à dater du premier jour du contrat de travail.
Manifestement, le point de départ de l'ancienneté avait donné lieu à une discussion entre les parties car il est précisé au contrat de travail que la journaliste "reconnaît être remplie de l'ensemble de ses droits liés à sa collaboration avec la société et renonce en tant que de besoin et à titre de transaction, à toute demande quant la qualification de ses contrats antérieurs", sous entendu ceux au cours desquels elle était payée en droits d'auteur.
En février 2011, la société de presse licencie la journaliste.
L'employeur, fort de la clause insérée au contrat de travail à durée indéterminée, verse à la journaliste une indemnité de licenciement calculée en tenant compte d'une ancienneté au 1er juillet 2007.
Le conseil de prud'hommes est saisi.
La journaliste conteste ce licenciement mais aussi le fait que, pour déterminer le montant de son indemnité de licenciement, son employeur n'a pas tenu compte de la période de travail débutée en avril 2004.
La Cour d'appel de Paris rappelle tout d'abord que "la qualification d'un contrat de travail ne dépend pas de la volonté des parties ni de l'appellation qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles s'exerce l'activité du salarié".
En d'autres termes, il importe peu que les parties aient, même par écrit, admis que tel ou tel contrat n'est pas un contrat de travail, le salarié est en droit de demander aux tribunaux de rétablir la vérité et donc de dire qu'un contrat a effectivement été un contrat de travail.
Ce principe - peut-être difficile à comprendre pour certains - s'explique par le fait que les règles du droit du travail relatives à l'existence d'un contrat de travail sont dites d'ordre public et que les parties, même si elles le souhaitent, ne peuvent pas les contourner.
Bref, la journaliste était en droit, après avoir signé un contrat de travail reconnaissant qu'elle n'était pas salariée de telle date à telle date de soutenir ensuite exactement le contraire.
La Cour d'appel, après ce rappel, constate que la journaliste avait bien le statut de journaliste professionnelle entre 2004 et 2007 et en déduit qu'elle est présumée avoir été salariée "peu important que les rémunérations versées aient été qualifiées de droits d'auteur soumis aux retenues de l'AGESSA" (cf. sur cette autre publication sur la présomption de salariat).
Cette présomption de salariat n'étant pas renversée par la société de presse, la Cour d'appel retient que les parties étaient dès avril 2004 liées par un contrat de travail.
La Cour en déduit donc que l'ancienneté de la journaliste doit être fixée à cette date et non pas au 1er juillet 2007.
Celui-ci peut donc prétendre à une indemnité de licenciement prenant en compte ces 3 années d'ancienneté supplémentaires, ainsi qu'à un rappel de prime d'ancienneté.
On voit donc que le salarié, nonobstant les clauses contractuelles, a la possibilité de faire établir son ancienneté réelle au sein de l'entreprise et que les tentatives de contournement se heurtent à la faculté qu'ont les tribunaux de requalifier en contrat de travail des relations contractuelles qui n'en portent pas officiellement le nom.