La Cour de cassation rappelle régulièrement que "si en principe une entreprise de presse n'a pas l'obligation de procurer du travail au journaliste pigiste occasionnel, il n'en est pas de même si, en fournissant régulièrement du travail à ce journaliste pendant une longue période, elle a fait de ce dernier, même rémunéré à la pige, un collaborateur régulier auquel l'entreprise est tenue de fournir du travail" (Cass. soc. 1er fév. 2000 et encore, plus récemment, Cass. soc 30 juin 2009).
Ainsi lorsque le journaliste ou assimilé, payé à la pige, est employé de façon régulière par une entreprise de presse il devient, de fait, titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée.
Un tel contrat oblige l'employeur à lui procurer du travail ou, s'il entend arrêter la relation contractuelle, à procéder au licenciement en bonne et due forme du pigiste (cf. autre publication sur ce thème).
Mais que se passe-t-il si, sans cesser totalement la collaboration, l'employeur diminue progressivement le volume des piges confiées au journaliste et donc sa rémunération ?
On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir mis en oeuvre la procédure de licenciement puisqu'il continue à fournir du travail au pigiste.
La Cour de cassation s'est, dans 3 arrêts du mois de septembre 2009, penchée sur cette question de la diminution des piges.
Les faits dans les deux premiers arrêts en date du16 septembre 2009 étaient assez proches.
Une journaliste ou assimilée, payée à la pige pendant de nombreuses années, avait vu le montant de sa rémunération baisser.
Après avoir considéré que ces salariées étaient liées à leur employeur par des contrats de travail à durée indéterminée, la Cour devait déterminer si l'employeur pouvait ou non diminuer unilatéralement le volume des piges.
Dans son premier arrêt, la Cour de cassation confirme la décision de la Cour d'appel de Paris qui, après avoir relevé que le salaire de la pigiste "avait baissé depuis 1997" avait jugé que "la société avait, dès lors, manqué à ses obligations contractuelles essentielles".
Dans le second arrêt du même jour, la Cour estime que l'employeur, lié régulièrement à la journaliste pigiste, "ne pouvait unilatéralement modifier le montant de sa rémunération en ne lui fournissant plus la même quantité de travail ".
Les deux salariées ont donc droit à un rappel de salaire, dans la limite des 5 dernières années, ce rappel étant constitué de la différence entre les sommes qu'elles ont perçues et celles qu'elles auraient dû percevoir si le montant des piges n'avait pas baissé.
Ces journalistes, qui avaient pris acte de la rupture du contrat, peuvent également prétendre aux indemnités de licenciement, ainsi qu'à une indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur ce point, la Cour de cassation approuve également le mode de calcul retenu par les Cours d'appel.
La base de rémunération mensuelle de référence est déterminée non à partir des dernières rémunérations versées mais, pour l'une des salariées, en fonction des piges de 1996 (soit 9 ans avant la rupture du contrat !) dès lors que cette année 1996 était "celle qui a précédé à la diminution jugée fautive".
On croyait donc comprendre à lecture de ces deux arrêts que lorsque le pigiste devient régulier, son employeur est tenu de lui fournir tout aussi régulièrement du travail, sans pouvoir diminuer le montant de sa rémunération.
Dans un arrêt du 29 septembre 2009, la même Cour de cassation, saisie de faits apparemment identiques (la diminution du nombre de piges confiées à une journaliste), affirme cependant que"que si l'employeur d'un journaliste pigiste employé comme collaborateur régulier est tenu de lui fournir régulièrement du travail sauf à engager la procédure de licenciement, il n'est pas tenu de lui fournir un volume de travail constant" et elle confirme la décision de la Cour d'appel de Paris qui avait jugé que "la baisse des commandes et de la rémunération intervenue en 2004 ne constituait pas une modification du contrat de travail de la salariée".
A première vue, dans cette décision, la Cour de cassation adopte une solution opposée à celle retenue quelques jours plus tôt.
L'explication qui peut être avancée pour essayer de comprendre cette apparente contradiction tient à l'existence ou non d'un contrat de travail écrit.
En effet, dans cette dernière espèce, la pigiste avait signé un contrat de travail écrit avec son employeur et elle relevait d'un protocole d'accord syndical signé par l'entreprise garantissant aux salariés payés à la pige une rémunération minimale en cas de baisse des piges.
Ces accords contractuels et conventionnels écrits permettaient donc à la salariée de "savoir à quoi s'en tenir". Elle était en effet notamment informée que le volume des piges pouvait diminuer avec pour corollaire, mais dans certaines proportions seulement, une diminution de sa rémunération.
La Cour d'appel de Paris avait d'ailleurs jugé que l'employeur n'avait pas l'obligation d'assurer à cette pigiste régulière "un niveau de rémunération autre que celui résultant des engagements pris aux termes du protocole d'accord et du contrat de travail".
En d'autres termes, les accords ayant expressément envisagé la baisse des piges, on ne pouvait retenir une modification du contrat de travail du fait d'une baisse effective des piges.
En revanche, dans les 2 espèces ayant donné lieu aux arrêts du 16 septembre 2009, l'absence de convention écrite ne permettait pas aux pigistes réguliers, bien que liées par une relation régulière avec leur employeur, de connaître à l'avance le montant, au moins minimal, de la rémunération mensuelle à laquelle elles pouvaient prétendre.
C'est sans doute la raison pour laquelle la Cour précise dans ces arrêts que, en baissant le volume des piges, le premier employeur a "manqué à ses obligations contractuelles essentielles" ou encore, à propos du second employeur, que cette diminution des piges caractérisait "en fait les manquements de la société à ses obligations contractuelles".
Toute baisse de rémunération du fait de l'employeur constituait donc une modification du contrat de travail (non écrit) du pigiste régulier.
On notera d'ailleurs que c'est ce même défaut d'écrit qui permet à la Cour de cassation de retenir, dans son arrêt du 16 septembre 2009, que le contrat de travail était "réputé avoir été conclu pour une période indéterminée" (ce qui n'est que l'application de l'article L1242-12 alinéa 1er du Code du travail).
L'absence de contrat écrit du pigiste est ainsi doublement sanctionnée.
commentairesPar Julie le 20/11/09
Quid si les piges demandées augmentent ?
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Par vianney.feraud le 24/11/09
C'est une bonne question. Selon la jurisprudence, l'augmentation de la durée habituelle de travail d'un salarié employé sous contrat à durée indéterminée, constitue une modification de son contrat de travail (et ce même si bien évidemment il perçoit une rémunération supérieure). Il est donc probable qu'une augmentation (surtout si elle est importante et pérenne) des piges demandées à un journaliste pigiste régulier, pourait, en l'absence de clause contractuelle, être considérée comme une modification du contrat de travail.