La résiliation judicaire d'un contrat de travail est prononcée par une juridiction lorsque, saisie d'une telle demande par un salarié, elle estime que l'employeur a commis des fautes d'une certaine gravité justifiant que ce contrat soit rompu à ses torts.
Dans un tel cas, la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La faute mise en avant par le salarié pour justifier la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail peut notamment être l'arrêt de fourniture d'un travail par son employeur et/ou la cessation du paiement d'un salaire.
C'est une situation que rencontrent en particulier les journalistes payés à la pige. Bien souvent, parce qu'ils ne sont - à tort - pas considérés par les sociétés de presse qui les emploient comme des salariés sous contrat à durée indéterminée, leurs commandes de piges sont arrêtées ("suspendues") du jour au lendemain.
Une journaliste payée à la pige travaillait régulièrement pour la société PRISMA MEDIA.
En août 2008, en raison de la cessation de la publication à laquelle elle collaborait, cette société avait arrêté de faire appel à elle et de la rémunérer, sans pour autant la licencier.
Cette journaliste avait donc saisi les juridictions du travail.
Elle leur demandait de prononcer la résiliation judicaire de son contrat de travail et de fixer la date d'effet de cette résiliation au jour de la décision à intervenir.
La date de la résiliation du contrat de travail est évidemment importante car c'est en fonction de celle-ci que sera arrêtée l'ancienneté du salarié et que sera calculé le montant de son indemnité de licenciement.
Le salarié peut normalement également prétendre à un rappel de salaire au titre de la période comprise entre la date à laquelle il a cessé d'être payé et celle à laquelle le contrat de travail est résilié par la juridiction.
La journaliste pigiste sollicitait d'ailleurs également la condamnation de la société PRISMA MEDIA à lui payer le salaire qu'elle aurait dû recevoir entre la dernière paie qui lui avait été versée (en septembre 2008) et la date à laquelle le contrat de travail serait résilié par la juridiction.
Par jugement du 8 décembre 2009, le conseil de prud'hommes a débouté la journalise de l'ensemble de ses demandes (ce qui est assez habituel lorsque le demandeur est un pigiste).
Saisie d'un recours, la Cour d'appel de Paris a, par un arrêt du 4 juillet 2012, relevé qu'"en arrêtant à compter d'octobre 2008 toute collaboration professionnelle avec Mme Marie-Christine Z ainsi privée de rémunération, la SNC Prisma Media a modifié de manière unilatérale le contrat de travail en s'abstenant de l'exécuter aux conditions convenues, ce qui constitue de sa part un manquement fautif d'une gravité suffisante de nature à justifier que la résiliation dudit contrat soit prononcée par la cour à ses torts exclusifs, laquelle doit produire dans ce cas les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences indemnitaires de droit"
Dans cet arrêt la Cour d'appel a toutefois fixé la date de la résiliation judicaire au 1er octobre 2008, soit celle à laquelle la Société PRISMA MEDIA avait cessé de fournir du travail à la journaliste et de la rémunérer.
Pour justifier cette décision, la Cour d'appel a indiqué dans cet arrêt qu' "il sera rappelé par ailleurs que la prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être fixée qu'à la date de la décision la prononçant si le salarié est toujours à la même époque au service de l'employeur.
Les parties s'accordant en l'espèce sur le fait d'un arrêt de leur collaboration professionnelle à compter du 1er octobre 2008, il y a lieu de fixer à cette même date la prise d'effet de la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l'intimée".
Dans cette logique, la Cour d'appel ne pouvait que débouter la journaliste de sa demande de rappel de salaires au titre de la période comprise entre l'arrêt de fait du contrat par l'employeur et la date de la décision prononçant la résiliation judicaire.
Elle a donc jugé que "contrairement à ce qu'elle prétend, [la journaliste] n'était pas bien fondée dans sa demande nouvelle en paiement d'un rappel de salaires (…) sur la période du mois d'octobre 2008 à mai 2012, de sorte qu'elle en sera déboutée".
Cette journaliste a formé un pourvoi en cassation.
Le 3 juillet 2013, Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel en relevant que :
"Qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date" et que "pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société avec effet au 1er juillet 2003, rejeter les demandes de Mme X... à titre de rappels de salaire et de prime conventionnelle d'ancienneté sur la période de décembre 2003 à septembre 2011 et limiter le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'arrêt retient que la prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être fixée qu'à la date de la décision la prononçant si le salarié est toujours à la même époque au service de l'employeur, et que les parties s'accordent sur le fait d'un arrêt de leur collaboration à compter du 1er juillet 2003.
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de ses constatations que le contrat de travail avait été rompu antérieurement à la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
En d'autres termes, la Cour d'appel de Paris aurait dû, selon la Cour de cassation, fixer la date de fin du contrat de travail au jour de son arrêt, soit le 4 juillet 2012.
L'affaire a donc été renvoyée, après cassation, devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.
Ayant a priori bien compris les termes de l'arrêt de la Cour de cassation, la Cour d'appel de Paris, dans un nouvel arrêt du 12 novembre 2015, a jugé que "considérant que le contrat de travail n'ayant pas été rompu préalablement, la cour prononcera la résiliation du contrat de pigiste au jour du prononcé du présent arrêt" (soit le 12 novembre 1995).
La Cour d'appel a toutefois encore refusé dans cet arrêt de faire droit à la demande de rappel de salaires formulée par la journaliste au motif que celle-ci ne justifiait "d'aucune activité pour le compte de la société PRISMA MEDIA après août 2008 en raison de la cessation de parution du titre".
Cette journaliste forme alors un nouveau pourvoi en cassation.
Par un arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation retient "qu'ayant fait ressortir que la salarié ne s'était pas tenue à la disposition de l'employeur après août 2008, la Cour d'appel a, par ce seul motif légalement justifié sa décision" en ce qu'elle a rejeté la demande de rappel de salaires.
On reste assez surpris par cette motivation car rien dans l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 12 novembre 2015 (ni d'ailleurs dans celui du 4 juillet 2012) ne permettait de déduire que la journaliste ne s'était pas tenue à la disposition de son employeur après août 2008.
L'une des obligations essentielles de l'employeur est de fournir du travail à son salarié. Il aurait donc été cohérent que le rejet de la demande de rappel de salaires soit conditionné par le constat que c'est la journaliste qui avait refusé le travail qui lui était proposé ou alors que l'employeur démontrait que le pigiste ne s'était pas tenu à sa disposition. Or, en l'espèce, il n'était pas contesté que c'est l'employeur qui avait pris la décision de ne plus fournir le moindre travail à sa salariée.
Il est toutefois évident que, dans la logique de cet arrêt, il appartient au pigiste, demandeur au paiement du rappel de salaires, de démontrer qu'il est resté à la disposition de son employeur après que celui-ci ait cessé de lui fournir du travail.
En faisant supporter au pigiste la charge de cette preuve, la Cour de cassation rend quasiment impossible un tel rappel de salaires.
Une telle jurisprudence méconnait en effet la réalité des relations de travail entre une entreprise de presse et un journaliste payé à la pige. Il est très rare qu'il soit clairement indiqué au journaliste que sa collaboration est définitivement arrêtée et ce n'est souvent qu'au bout de plusieurs mois qu'il peut le constater. Entre temps, sauf à anéantir tout espoir d'une reprise de cette collaboration, il lui est évidemment difficile d'envoyer régulièrement des courriers recommandés à son (ex) employeur lui indiquant qu'il se tient à sa disposition pour la poursuite de cette collaboration.
En outre, la Cour de cassation semble avoir oublié que le journaliste payé à la pige n'est, en fait, jamais "à la disposition" de son employeur.
Sous l'intitulé "interprétation", la convention collective nationale de travail des journalistes précise que : "le journaliste professionnel employé à titre occasionnel désigne le journaliste salarié qui n'est pas tenu de consacrer une partie déterminée de son temps à l'entreprise de presse à laquelle il collabore, mais n'a pour obligation que de fournir une production convenue dans les formes et dans les délais prévus par l'employeur".
Dès lors qu'il est payé à la tâche, en fonction des commandes qui lui sont passées, le journaliste pigiste n'est pas tenu de travailler selon des horaires ou des jours précis.
Il lui est donc d'autant plus difficile de démontrer qu'il est resté, pendant des temps de travail qui ne sont et ne peuvent pas être définis, à la disposition de son employeur après que celui-ci ait arrêté de le payer et ce dans l'attente (parfois très longue) de la décision judiciaire à intervenir.
Le journaliste payé à la pige travaille souvent en dehors des locaux de l'entreprise. Il lui est donc d'autant plus difficile - pour ne pas dire impossible - de démontrer qu'il est resté, chez lui, à la disposition de son employeur pour la poursuite de la collaboration.
Mais la Cour de cassation, dans son arrêt du 21 septembre 2017, ne s'est pas contentée d'approuver la décision de la Cour d'appel de Paris du 12 novembre 2015 en ce qu'elle avait rejeté la demande de rappel de salaires formulée par la journaliste, elle a aussi cassé cet arrêt en ce qu'il a fixé la date de résiliation du contrat de travail au jour de son prononcé (12 novembre 2015).
Ne reculant pas devant la contradiction puisqu'elle avait elle-même, dans son précédent arrêt du 4 décembre 2013, censuré l'arrêt de la Cour d'appel du 4 juillet 2012 qui avait fixé la date de la résiliation judicaire au jour de l'arrêt de paiement des salaire soit le 1er octobre 2008, la Cour de cassation indique désormais qu' "en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le contrat de travail n'a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur".
Comprenne qui pourra (et en en tout cas probablement pas la journaliste concernée) !
L'affaire est donc à nouveau renvoyée devant la Cour d'appel de Paris invitée à rendre un 3ème arrêt dans cette affaire.
Il reste que la Cour de cassation ajoute ainsi une condition supplémentaire, non évoquée dans son arrêt du 3 juillet 2013. Pour que la date de résiliation judiciaire soit fixée au jour de la décision de justice qui la prononce, il faut que, ce jour-là, le salarié soit toujours au service de son employeur !
Bien sûr, il était acquis depuis longtemps que lorsque, en cours de procédure judiciaire, le contrat de travail dont le salarié demandait qu'il soit résilié par les juridictions était rompu (par exemple par un licenciement ou une démission) la date de cette résiliation ne pouvait être fixée rétroactivement qu'au jour de cette rupture (on ne rompt pas deux fois un même contrat).
Dans un arrêt du 21 septembre 2016, la Cour de cassation avait déjà atténué sa jurisprudence en approuvant une Cour d'appel d'avoir fixé la date de la résiliation judiciaire au jour où le salarié avait conclu un autre contrat de travail avec un autre employeur en estimant que le salarié n'était alors plus à la disposition de son employeur précédent.
Mais dans son arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation va évidemment plus loin. Elle ne tire pas les conséquences de la conclusion d'un nouveau contrat de travail par la pigiste, elle fait peser sur cette journaliste les effets de la faute de son employeur : la date de la résiliation judicaire doit être fixée au jour de l'arrêt de la collaboration c'est-à-dire au jour où le salarié n'était plus "au service" de son employeur, date qui correspond à celle de l'arrêt de la fourniture de travail.
C'est ainsi toute la stratégie adoptée par certaines sociétés de presse qui est encouragée par la Cour de cassation qui n'a pas vu (ou plutôt n'a pas voulu voir) à quel point les journalistes payés à la pige peuvent être malmenés par leurs employeurs et se retrouver, du jour au lendemain et malgré une collaboration qui a parfois duré de nombreuses années, privé de ressources et sans même la possibilité de percevoir des indemnités de Pôle emploi.
Rien n'incitera désormais ces sociétés, qui décident – sans avoir un quelconque motif économique ou personnel pour en justifier – d'arrêter leur collaboration avec un journaliste payé à la pige, de payer ce qu'elles devraient leur verser en pareil cas et de leur remettre les documents de fin de contrat.
Le risque qu'elles prennent finalement est en effet de devoir uniquement payer à ce journaliste, au bout de la procédure judiciaire (laquelle peut être très longue), ce qu'elles auraient dû spontanément régler : une indemnité de licenciement calculée à la date à laquelle elles ont cessé de lui fournir du travail sans avoir à redouter de voir cette faute sanctionnée par des rappels de salaire.
Certes, objectera-t-on, les juridictions pourront toujours, lorsqu'il s'agira de faire sanctionner la rupture abusive du contrat de travail, allouer au salarié une indemnité pour licenciement abusive mais ces indemnités étant désormais plafonnées précisément en fonction de l'ancienneté du salarié, le fait de fixer la date de la rupture du contrat de travail au jour de l'arrêt du paiement des salaires par l'employeur aura évidemment une incidence négative sur leur montant.