En effet, lorsqu’une personne s’estime victime d’un établissement de santé, et plus généralement d’une personne publique, elle doit formuler une demande préalable d’indemnisation – auprès de la personne qu’elle estime responsable – afin de lier le contentieux et pouvoir ainsi, en cas de refus ou d’indemnisation limitée, saisir le juge administratif.
Avec la création des commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI), il arrive fréquemment qu’une personne saisisse l’établissement de santé d’une demande indemnitaire puis, dans un second temps, la CRCI. En effet, la procédure devant la CRCI permet d’obtenir la désignation d’un expert, puis, le cas échéant, une indemnisation.
Or, la victime dispose d’un délai de deux mois pour contester la réponse apportée à sa demande préalable d’indemnisation devant le juge adminitratif. Après l’expiration de ce délai de recours, elle ne peut plus agir contre la personne responsable.
Par ailleurs, lorsque la CRCI constate qu’un établissement ou un professionnel de santé a engagé sa responsabilité, il n’est pas rare que l’indemnisation soit versée par l’ONIAM.
Celui-ci dispose alors d’un recours subrogatoire contre le responsable.
De son côté, la CPAM dispose également d’un recours contre le responsable pour tous les frais avancés pour le compte de l’assuré.
Dans ces conditions, la question s’est posée de savoir si l’impossibilité pour la victime d’agir en raison de l’expiration du délai de recours interdisait également à l’ONIAM et à la CPAM d’exercer leurs recours subrogatoires.
Plus précisément, les trois questions qui se posaient étaient, en substance, les suivantes :
1- L’ONIAM est-il irrecevable à exercer son recours subrogatoire contre l’établissement de santé responsable du dommage si la victime d'un dommage médical indemnisé par l'ONIAM n'a pas contesté, dans le délai de recours contentieux, la décision de rejet opposée à sa demande indemnitaire préalable ?
2- L'ONIAM est-il tenu d'indemniser la victime d’un dommage médical lorsque cette dernière n'a pas contesté, dans le délai de recours contentieux, la décision de rejet opposée à sa demande indemnitaire préalable par l'établissement public de santé responsable du dommage ?
3- La CPAM est-elle irrecevable à exercer son recours subrogatoire contre la personne publique responsable du dommage lorsque la victime dudit dommage n'a pas contesté, dans le délai de recours contentieux, la décision de rejet opposée à sa demande indemnitaire préalable par la personne publique responsable du dommage ?
Aux deux premières questions, le Conseil d’Etat répond de façon nuancée compte tenu de la nécessaire combinaison à trouver entre les dispositions du code de la santé publique et celles du code de justice administrative.
Ainsi, il considère que le délai de recours ne peut être opposé que si, et seulement si, la décision rejetant l’indemnité indique que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois mais aussi que ce délai est suspendu en cas de saisine de la CRCI : la notification de la décision de l’établissement de santé mis en cause ne fait pas courir le délai si elle ne comporte pas cette double indication.
Allant plus loin, le Conseil d’Etat rappelle que le délai de recours contentieux n'est pas rouvert par une saisine de la CRCI postérieure à son expiration.
Dès lors, l’ONIAM est fondé à refuser de verser l'indemnité en lieu et place de l'assureur de l'établissement lorsqu'une demande d'indemnité a été rejetée par une décision devenue définitive.
Ce refus de l’ONIAM ne peut toutefois intervenir que si l’établissement de santé a communiqué – au cours de la procédure CRCI et au plus tard avant que l’ONIAM n’ait fait une offre d’indemnité - les justificatifs de la notification régulière de la décision préalable et de l’absence de recours contentieux exercé dans le délai
Si l’établissement de santé ne procède pas à cette communication, et que l'office fait une offre d'indemnité à la victime, l'établissement perd la possibilité d'opposer le caractère définitif de la décision pour faire échec à un recours subrogatoire.
Enfin, sur la question relative au recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale, le Conseil d’Etat répond de façon surprenante que, bien que le recours de la CPAM soit qualifié de subrogatoire, la défaillance de la victime à contester le refus d’indemnisation ne rend pas irrecevable la demande de remboursement des frais consécutifs à l’accident, formulée par la caisse.
En conclusion, les enseignements pratiques de cet avis sont les suivants :
- Les établissements publics de santé doivent penser, lorsqu’ils se prononcent sur une demande préalable d’indemnisation, à mentionner sur leur décision la possibilité de saisir le Tribunal Administratif et les délais pour le faire, mais également la suspension de ce délai qu’offre la saisine de la CRCI. Les justificatifs de cette notification doivent être conservés scrupuleusement, et fournis à l’ONIAM dès la saisine éventuelle de la CRCI par la victime.
- Quant aux victimes, elles ne doivent pas laisser s’écouler le délai de recours contre la décision préalable rejetant ou limitant leur indemnisation sans saisir la juridiction administrative ou la CRCI. Cela rendrait en effet toute indemnisation impossible.
Victoire de Bary
Avocat Associé