Les réseaux sociaux sont, certes, un espace de liberté et notamment de liberté d'expression. Il est, par ailleurs, d'usage, sur le réseau internet de jouer avec de multiples (et fausses) identités, qu'il s'agisse d'identités de fantaisie (avatars, pseudos) ou d'identités bien réelles, appartenant à des tiers.
Or, si, en lui-même, l'usage d'un pseudo est généralement sans conséquence - sauf lorsqu'il caractérise manifestement, ce qui est assez rare, une contrefaçon - l'usurpation de l'identité d'un tiers, notamment par la publication d'un « faux profil » sur le site d'un réseau social, est susceptible d'avoir de graves conséquences.
Dans une décision assez récente, le T.G.I. de Paris a rappelé, au sujet de la fausse page d'un humoriste ayant une assez grande notoriété, la nécessité de respecter, dans les réseaux sociaux, l'identité, la vie privée et le droit à l'image, ce sans aucunement faire référence aux conditions générales d'utilisation du site.
Prétendant qu'une personne usait de son identité sans son autorisation sur le réseau social « Facebook » et que de nombreuses personnes s'y étaient présentées, ainsi trompées, comme étant ses amis et que les informations personnelles ainsi que les photographies ainsi diffusées étaient constitutives d'atteintes à sa vie privée et à son droit à l'image, Omar S. dit Omar, auteur, artiste interprète et humoriste membre du duo humoristique « Omar et Fred » a saisi, le 27 février 2009, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris aux fins que soit ordonné à la société Facebook de lui communiquer « les données de nature à permettre l'identification de la personne ayant publié sous son identité la page accessible à l'adresse sus mentionnée et de suspendre la représentation de son profil jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond ».
Faisant partiellement droit aux demandes d'Omar S., la société Facebook Inc. a communiqué à son conseil l'adresse IP de la personne ayant publié la « page » litigieuse sous son identité.
Ce dernier s'est alors prévalu de ce que l'adresse IP aurait pu être modifiée ou usurpée par un tiers. Il s'est prévalu de la règle, dégagée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mai 2007 selon laquelle « la série de chiffres (formée par l'adresse IP) ne constitue en rien une donnée indirectement nominative relative à la personne » dans la mesure où elle ne se rapporte qu'à une machine et non à la personne qui utilise l'ordinateur pour se livrer à la contrefaçon.
Le T.G.I. de Paris a écarté le moyen de défense, en retenant que « Alexandre P. n'établit, ni même n'allègue qu'un tiers aurait utilisé sans son accord son ordinateur ou que l'adresse IP qui lui était attribuée aurait été frauduleusement détournée, étant précisé que la preuve d'une telle usurpation aurait pu être rapportée tant par une enquête diligentée à la suite d'une plainte pénale que par une expertise civile judiciaire, en examinant notamment l'ordinateur émetteur. ».
En d'autres termes, le tribunal retient que la charge de la preuve de l'utilisation de l'ordinateur par un tiers ou de l'usurpation pèse sur la personne dont l'ordinateur a été identifié au moyen de l'adresse IP communiquée par l'entreprise exploitant le site de réseau social. L'adresse IP créé, de cette manière, une présomption simple.
Le Tribunal a ensuite rappelé les principes suivants :
« Toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit, en application de l'article 9 du code civil, au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même les limites de ce qui peut être divulgué à ce sujet. Toute personne dispose également, en application du même texte, d'un droit exclusif qui lui permet de s'opposer à la reproduction de son image, sans son consentement préalable. »
« Ces droits qui découlent également de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peuvent toutefois céder devant les nécessités de l'information du public et de la liberté d'expression, consacrées par l'article 10 de la même Convention, dans le cadre de l'équilibre qu'il revient au juge de dégager, en vertu du second alinéa du dit article, entre ces principes d'égale valeur dans une société démocratique ».
Après avoir ensuite rappelé que « la seule constatation des atteintes à la vie privée et au droit à l'image ouvre droit à réparation », le Tribunal de Grande Instance de Paris (17ème chambre civile) a, par jugement du 24 novembre 2010 :
- décidé qu'Alexandre P., en mettant en ligne sur le site www.facebook.com un « faux profil » d'Omar S. dit Omar, avait porté atteinte à la vie privée et au droit à l'image de celui-ci ;
- condamné Alexandre P. à payer à Omar S. dit Omar la somme totale de 1500 € (500 € pour l'atteinte à la vie privée et 1000 € pour la violation du droit à l'image), à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en résultant, ainsi que la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pascal ALIX
Avocat à la Cour