I. La compétence juridictionnelle
Dans le rapport d'information dénommé « Lutte contre la contrefaçon : premier bilan de la loi du 29 octobre 2007 », les sénateurs rappellent[1] :
« que les juridictions françaises se reconnaissent compétentes en matière de contrefaçons constatées sur des sites non Français mais accessibles sur notre territoire.
Par un arrêt du 2 décembre 2009, la Cour d'appel de Paris a ainsi débouté les sociétés eBay de leur exception d'incompétence, considérant que le juge français est compétent pour connaître des faits de contrefaçon constatés sur le site ebay.com exploité, depuis les États-Unis, par la société de droit américain eBay Inc.
En effet, la Cour considère :
- d'une manière générale, « que les règles de compétence ne doivent pas, par une excessive complexité, interdire l'accès à un juge dans un délai raisonnable » ;
- que le site exploité aux États-Unis, quand bien même il se terminerait en « .com », est accessible sur le territoire français et que cette seule circonstance suffit à déclencher la compétence de la juridiction française. Il n'est donc pas utile « de rechercher s'il existe ou non un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits allégués et le territoire français » et il importe peu que les annonces du site litigieux soient rédigées en anglais, la « compréhension de quelques mots basiques en cette langue étant aisée pour quiconque ».
Bref, les rapporteurs rappellent et prennent pour acquis qu'en matière de cybercontrefaçon, le seul critère utile pour déterminer la compétence juridictionnelle est l'accessibilité au moyen d'un terminal situé sur le territoire français indépendamment de tout autre critère et notamment des critère habituellement utilisés en droit international privé en cas de conflit de juridictions.
C'est en effet la position dominante des juges du fond, qui ont tendance à écarter assez facilement les exceptions d'incompétence soulevées par les sociétés étrangères.
II. La loi applicable aux faits argués de contrefaçon
Mais cette règle de compétence ne signifie aucunement que la loi française (à savoir les règles du code de la propriété intellectuelle sur la contrefaçon de propriété littéraire et artistique) soit systématiquement appliquée par les juridictions compétentes.
Les règles de conflit de lois sont, en la matière, différentes des règles de conflit de juridictions.
Dans une décision rendue le 14 décembre 2010 au sujet de faits argués de contrefaçon, concernant des oeuvres appartenant au répertoire du rap en français, et dont la diffusion était assurée, en langue allemande, sur le site accessible à l'adresse www.universal-music.de, exploité par la société Universal Entertainment GMB, la Cour de cassation[2] a statué de la manière suivante :
« pour écarter l'exception d'incompétence soulevée par le prévenu, qui a fait valoir que la loi française n'était pas applicable dès lors que la contrefaçon n'avait pas été commise en France, l'arrêt retient que les faits ont été constatés sur le territoire national, que les chansons de Z..., artiste-interprète français, appartiennent au répertoire de la musique française, que leurs titres n'ont pas été traduits en allemand sur le site litigieux et que les icônes permettant de faire fonctionner celui-ci ne nécessitent pas la connaissance de cette langue ; que les juges du second degré en déduisent que le site, bien que rédigé en allemand, est destiné au public français ;
Mais attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, dont il ne résulte pas que le site exploité par la société Universal Entertainment GMBH était orienté vers le public français, alors que la perpétration de la contrefaçon sur le territoire de la République est un élément constitutif de l'infraction, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ».
En statuant ainsi, la Cour de cassation a écarté la règle selon laquelle l'accessibilité d'un site internet sur le territoire français peut être de nature à justifier en elle-même l'applicabilité de la loi francaise.
La Juridiction suprême a retenu, implicitement, le moyen selon lequel « le seul fait qu'un site internet étranger, rédigé en langue étrangère, soit accessible depuis le territoire français, et que l'infraction dont il est éventuellement le support ait pu, en conséquence, être constatée depuis le territoire français, ne permet pas de retenir l'application de la loi pénale française ».
Rappelons qu'en l'espèce :
« …le 6 mai 2005 puis le 16 janvier 2006, un agent assermenté de l'agence pour la protection des programmes (APP) a constaté que les chansons tirées de plusieurs albums de M. Y..., dit Z..., étaient mises à la disposition du public sous formes d'extraits musicaux sur le site internet " www.universal-music. de ", hébergé en Allemagne et exploité par la société allemande Universal Entertainment GMBH ; que M. Y..., qui n'avait pas autorisé la diffusion de ces phonogrammes, a fait citer devant le tribunal correctionnel le dirigeant de cette société, M. X..., ressortissant allemand et celle-ci en qualité de civilement responsable du chef de contrefaçon ; que le tribunal a déclaré le premier coupable et a prononcé sur les intérêts civils ».
Or, la Cour de cassation a censuré la décision de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-13, en date du 17 décembre 2009, qui avait, écarté l'exception d'incompétence, prononcé une condamnation pour contrefaçon, ordonné une mesure de publication et a prononcé une condamnation sur les intérêts civils.
Il convient donc de retenir que pour déterminer la loi applicable, les juges du fond doivent rechercher si le site est ou non « orienté vers le public français » et notamment si les œuvres contrefaisantes sont en langue française et si les français peuvent, sans connaissance d'une langue étrangère, écouter ou télécharger les titres en utilisant des icones compréhensibles.
L'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Paris autrement composée, qui devra donc statuer en appliquant la loi allemande, à moins que la cour d'appel de Paris n'écarte sa compétence au profit des juridictions allemandes, bien que la question de la compétence n'ait pas été évoquée de manière explicite dans le cadre du débat devant la Cour de cassation.
A suivre…