1/ Rappels juridiques sur la délégation de pouvoirs
Par principe, l'employeur (personne physique ou représentant légal d’une personne morale) est tenu d’observer et de faire respecter les règles applicables en matière d'hygiène et de sécurité.
Ainsi, en cas de non-respect de ces règles dans des conditions susceptibles de caractériser une infraction pénale, l’employeur engage sa responsabilité pénale (le cas échéant, concurremment à celle de la personne morale elle-même).
Par exception, l’employeur peut être exonéré de sa responsabilité pénale s'il justifie avoir régulièrement délégué ses pouvoirs à l'un de ses préposés.
Toutefois, le fait de prévoir ce transfert de responsabilité par écrit n’est pas suffisant, et ce même si le délégataire l’a expressément accepté.
En vertu de l'article 121-1 du Code pénal, selon lequel « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait », le transfert de responsabilité implique que le préposé soit pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller au respect des règles faisant l’objet de la délégation.
C’est seulement à ces conditions que la responsabilité pénale du préposé peut être caractérisée, puisque celui-ci, en endossant une délégation de pouvoirs valable, devient alors responsable pénalement de son propre fait.
Comme le juge la Cour de cassation, de manière constante, « s'il est vrai que la responsabilité pénale pèse sur le chef d'entreprise auquel il appartient de veiller au respect de la législation, il en est autrement lorsqu'il est établi que celui-ci a délégué ses pouvoirs à un préposé, pourvu de la compétence et investi de l'autorité nécessaire » (Cass. crim. 7 décembre 1981, n° 78-91633).
Ainsi, la validité de la délégation de pouvoirs suppose que les conditions cumulatives suivantes soient réunies :
- Le délégataire est obligatoirement un salarié de l’entreprise ;
- Il doit faire partie du personnel d’encadrement ;
- Il doit expressément accepter la délégation (un écrit est requis) ;
- Il doit avoir l’autorité, la compétence et les moyens nécessaires.
2/ Contenu de la délégation de pouvoirs
Comme tout acte juridique, la délégation de pouvoirs est limitée par son objet, de sorte que son contenu conditionne le transfert de responsabilité au délégataire.
A titre d’illustration, la délégation donnée à un chef de chantier de s’assurer de la bonne marche et de la sécurité du chantier ne fait pas peser sur ce dernier l’obligation, pénalement sanctionnée, de veiller personnellement à ce que les salariés nouvellement recrutés passent leur visite d'embauche (Cass. crim. 4 janvier 1983, n° 82-90824).
Une décision récente de la chambre criminelle de la Cour de cassation statue sur cette question (Cass. crim. 8 septembre 2015, n° 14-83053).
En l’espèce, le salarié d’une entreprise de travaux publics avait été victime d'un accident du travail lors de la conduite d'un engin de chantier destiné au transport de palettes de pierres en vue de la réfection de berges du Rhône.
Le gérant de l’entreprise avait été poursuivi des chefs de blessures involontaires et d'infractions à la réglementation sur la sécurité des travailleurs.
Pour s’exonérer de sa responsabilité pénale, il soutenait avoir consenti une délégation de pouvoirs à un salarié de l’entreprise recouvrant selon lui, le domaine de l'hygiène et de la sécurité.
Or, la Cour d’appel a écarté la délégation de pouvoirs aux motifs suivants :
- Pour exonérer le chef d'entreprise, la délégation de pouvoirs doit être certaine, précise et dépourvue d'ambiguïté ;
- La délégation critiquée transférait, au délégataire, l'entière responsabilité de l'application des règles en matière économique et commerciale, en matière de signalisation de chantiers et dans certains domaines relevant du droit social ;
- Or, au titre du droit social n’étaient transférés que « le recrutement du personnel ouvrier et la détermination des conditions de travail du personnel embauché, sous réserve du respect des instructions de la direction », la délégation précisant que le délégataire devait « s'assurer du respect de la réglementation concernant la durée du travail et toute question afférente : respect du temps de travail, du temps de conduite, du temps de pause, temps de restauration, de repos. »
Pour la Cour d’appel, suivie en cela par la Cour de cassation, cette délégation de pouvoirs ne permettait pas de retenir la responsabilité pénale du délégataire.
En effet, les termes de la délégation ne visaient pas les règles de sécurité des chantiers…
La Cour de cassation avait été conduite à statuer dans les mêmes termes en matière de fraude fiscale (Cass. crim. 23 mai 2007, n° 06-87590).
Dans cet arrêt, le dirigeant d’une entreprise financière, poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de fraude fiscale, invoquait une délégation de pouvoirs donnée à son directeur financier « pour effectuer toutes les démarches afférentes à la gestion de l'entreprise dans les domaines suivants : comptable, fiscal, social et juridique. »
Pour les juges du fond, cette délégation n’était relative qu’à l'accomplissement « de démarches se rapportant à des actes de relations, discussions, recherches d'informations, voire de conseils. »
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt, dès lors que la réalité et la portée d'une délégation de pouvoirs relèvent de l'appréciation souveraine des juges du fond.
En conclusion, la rédaction de la délégation de pouvoirs doit faire l’objet d’un soin tout particulier. En cas de litige, sa rédaction sera en effet « passée à la loupe » par les juges…
Xavier Berjot
Avocat Associé
OCEAN Avocats
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