1. Le contexte
Une fois n’est pas coutume, c’est la chambre commerciale de la Cour de cassation qui était conduite à se prononcer sur la validité de la production de SMS émis et reçus via le téléphone professionnel d’un salarié.
En effet, l’arrêt a été rendu à l’occasion d’un litige entre les sociétés GFI et Newedge Group, cette dernière reprochant à la société GFI d'avoir provoqué la désorganisation de son activité en débauchant un grand nombre de ses salariés.
La société Newedge Group avait été autorisée, par ordonnance sur requête, à faire procéder à un constat au siège de la société GFI, portant notamment sur les outils de communication mis à la disposition de ses anciens salariés.
L’huissier avait alors reproduit, dans son constat, les SMS émis et reçus par les anciens salariés de la société GFI au moyen du téléphone portable qui était mis à leur disposition à titre professionnel.
Statuant sur la demande de la société GFI visant à la rétractation de l’autorisation de faire procéder au constat, le juge des référés avait refusé d’y faire droit, suivi sur ce point par la Cour d'appel de Paris.
Dans son arrêt du 10 janvier 2013, cette dernière avait jugé que :
- Les SMS non identifiés comme « personnels » émis et reçus sur du matériel appartenant à la société Newedge étaient susceptibles de faire l'objet de recherches pour des motifs légitimes ;
- L'utilisation de tels messages par l'employeur ne pouvait être assimilée à l'enregistrement d'une communication téléphonique privée effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués.
2. L’arrêt
Dans son arrêt du 10 février 2015 (n° 13-14779), la chambre commerciale de la Cour de cassation énonce que les SMS envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l'intéressé, sauf s'ils sont identifiés comme étant personnels.
La Cour de cassation ajoute que ne constitue pas un procédé déloyal la production en justice des messages n'ayant pas été identifiés comme « personnels » par le salarié.
Ces SMS sont donc recevables comme mode de preuve, les articles 9 du Code civil et 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales protégeant la vie privée ne pouvant être invoqués.
Dans son pourvoi, la société GFI avançait les arguments suivants :
- L'article 11 du règlement intérieur de la société Newedge ne contenait aucune disposition s'appliquant aux SMS envoyés ou reçus par les salariés sur leur téléphone mobile ;
- Il est impossible d'identifier comme « personnel » un SMS envoyé par un téléphone mobile, de tels messages ne comportant pas de champ « objet » ;
- L'enregistrement de SMS à l'insu tant de leur émetteur que de leur destinataire constitue un procédé déloyal rendant irrecevable leur production à titre de preuve.
Ces arguments -non dénués de pertinence- ont tous été écartés par la Cour de cassation.
3. La jurisprudence
L’arrêt du 10 février 2015, très commenté par la presse généraliste, s’inscrit pourtant dans le fil d’une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation.
Ainsi, en 2007, cette dernière a jugé que si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectuée à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des SMS, dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur (Cass. soc. 23 mai 2007, n° 06-43.209).
De même, il a été jugé que le message vocal de l'employeur laissé sur le téléphone du salarié est un mode de preuve valable (Cass. soc. 6 février 2013, n° 11-23.738).
Par conséquent, l’employeur et le salarié peuvent parfaitement produire en justice les SMS ou messages vocaux échangés au moyen d’un téléphone portable professionnel.
En revanche, constituent un mode de preuve déloyal les vidéos filmées par un téléphone portable et mises en ligne par leur auteur sur un site de partage de vidéos, que l'employeur produit pour établir les actes humiliants commis par un salarié sur un stagiaire, sans apporter la preuve qu'il avait obtenu de façon autorisée ces vidéos destinées à un public limité détenteur d'un code d'accès (CA Douai 30 septembre 2009, n° 08-3130).
Notons, enfin, que la décision du 10 février 2015 rejoint la position de la Cour de cassation au sujet des emails envoyés par le salarié depuis un ordinateur professionnel.
Ainsi, selon un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 16 mai 2013 (Cass. soc. 16 mai 2013 n° 12-11.866), l’employeur peut faire constater, par un huissier de justice, les emails provenant de la messagerie électronique mise à la disposition du salarié par l'entreprise, et qui ne sont pas identifiés comme étant personnels.
De même, l'employeur peut contrôler, hors de la présence du salarié, les emails et fichiers qu’il a transférés sur son ordinateur de travail, depuis sa messagerie personnelle, à condition qu’ils ne soient pas identifiés comme personnels (Cass. soc. 19 juin 2013, n° 12-12.138).
Ces décisions invitent le salarié à n’utiliser les outils professionnels que pour son travail, ce qui est loin d’être évident dans le contexte actuel, marqué par une confusion importante entre vie privée et vie professionnelle.
Xavier Berjot
Avocat Associé
OCEAN Avocats
www.ocean-avocats.com