- La liberté d’expression au cours du contrat de travail
1.1. Principe
La liberté d'expression est garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »
Cette liberté est également reconnue par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui pose pour principe que « toute personne a droit à la liberté d’expression. »
Pour la Cour de cassation, le salarié jouit, dans l'entreprise et à l’extérieur, d’une liberté d'expression dont les restrictions doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (Cass. soc. 22 juin 2004, n° 02-42446).
A titre d’exemple, ne caractérise pas un abus une lettre de critique adressée par un salarié aux membres du conseil d'administration et aux dirigeants de la société mère, ne comportant pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs (Cass. soc. 27 mars 2013, n° 11-19734).
Le règlement intérieur ne peut pas porter atteinte à la liberté d’expression des salariés et l'interdiction absolue de chanter, siffler ou parler à ses collègues est ainsi considérée comme illégale (Circ. DRT 5-83 du 15 mars 1983).
Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a même considéré que le licenciement d’un salarié, motivé par la présentation d’une réclamation, constituait un trouble manifestement illicite justifiant sa réintégration en référé (Cass. soc. 18 février 2014, n° 13-10876).
L’employeur doit donc être particulièrement vigilant face à un salarié présentant des revendications ou exerçant son droit de critique.
Si le salarié a le droit de s’exprimer, la jurisprudence lui reconnait aussi le droit de se taire.
Ainsi, est sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave du manager général d’un club de football, ayant refusé de valider un communiqué revenant sur des critiques qu’il avait formées publiquement sur l’équipe dirigeante du club (Cass. soc. 26 octobre 2005, n° 03-41796).
En effet, pour la Cour de cassation, le fait de contraindre le salarié à émettre une opinion ou à prendre une position publiquement porte atteinte à sa liberté d'expression, de sorte que son refus de s’y soumettre n'est pas fautif.
1.2. Limites
La liberté d’expression et le droit de critique ne sont évidemment pas sans limites.
Tout d’abord, comme toute personne, le salarié encourt les peines prévues par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et par le Code pénal, en cas de diffamation ou d’injure.
La diffamation est constituée par toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé (art. 29 Loi du 29 juillet 1881).
L’injure est définie, pour sa part, comme toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait (même texte).
Outre ces textes d’application générale, la Cour de cassation admet que l’employeur puisse limiter la liberté d’expression du salarié.
A titre d’exemple, est justifié le licenciement pour faute grave d’une salariée ayant, en public, qualifié son directeur d'agence de « nul et incompétent » et des chargés de gestion de « bœufs » (Cass. soc. 9 novembre 2004, n° 02-45830).
Cette question de la limite de la liberté d’expression reçoit de nombreuses applications récentes, compte tenu du développement des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.).
Il est désormais acquis que les propos violents et excessif tenus par un salarié sur un réseau social (en l’espèce, Facebook) peuvent justifier son licenciement, le cas échéant pour faute grave (CA Besançon 15 novembre 2011, n° 10-02642 ; CA Reims 9 juin 2010, n° 09-3209).
Enfin, une clause du contrat de travail peut valablement imposer au salarié de respecter une obligation de confidentialité et de discrétion concernant les informations dont il a connaissance en sa qualité de membre du personnel de l’entreprise (Cass. soc. 19 mars 2008, n° 06-45322).
Cette obligation de confidentialité est également expressément prévue par le Code du travail pour les représentants du personnel (C. trav. art. L. 2325-5) :
- « Les membres du comité d'entreprise sont tenus au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication.
Les membres du comité d'entreprise et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur. »
- La liberté d’expression à l’issue du contrat de travail
La question se pose de savoir si l’ancien salarié peut valablement se voir opposer des limites à sa liberté d’expression, puisque le lien de subordination ne s’applique plus à l’issue du contrat de travail.
Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a jugé qu’il est possible de restreindre, par transaction, la liberté d'expression d'un salarié (Cass. soc. 14 janvier 2014, n° 12-27284).
Il s’agissait en l’espèce de Patrick Poivre d’Arvor, qui avait publiquement critiqué la société TF1 après avoir signé une transaction comportant l'engagement réciproque de cesser tout propos critique et dénigrant.
En dehors de ce cas très spécifique, la Cour de cassation n’admet pas qu’une transaction puisse faire interdiction à un salarié d’apporter son témoignage en justice.
Ainsi, le fait, pour un salarié, d’attester au profit d’une personne en litige avec son ancien employeur ne constitue pas un manquement à son devoir de réserve si l’attestation ne comporte la divulgation d'aucun secret et ne mentionne pas de faits matériellement inexacts ou volontairement déformés (Cass. soc. 11 décembre 1991, n° 89-42000).
La Cour de cassation a d’ailleurs récemment jugé, sur le fondement de la liberté fondamentale de témoigner, qu’est nul le licenciement prononcé en raison du contenu d'une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d'un autre, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur (Cass. soc. 29 octobre 2013, n° 12-22447).
Bien entendu, l’ancien salarié ne peut tenir de propos susceptibles de caractériser l’injure ou la diffamation (cf. § 1.2).
Enfin, précisons que la clause de confidentialité d’un contrat de travail peut s’appliquer même à l’issue du contrat (Cass. soc. 19 mars 2008, n° 06-45322).
Xavier Berjot
Avocat Associé
OCEAN Avocats
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