1/ Les e-mails entre salariés via une messagerie privée, même hors du temps de travail, peuvent constituer un motif de licenciement
Dans un arrêt du 1er décembre 2015 (Cass. soc. 1er déc. 2015, n° 14-17701), la Cour de cassation a jugé que le fait, pour un salarié, d’échanger des e-mails avec une subordonnée sur une messagerie privée et hors temps de travail, justifie un licenciement pour faute grave s’il dénote de la part de l’intéressé une confusion entretenue entre les sphères privée et professionnelle.
L’arrêt est motivé dans les termes suivants :
- « (…) La cour d'appel, sans dénaturer les pièces soumises à son appréciation, après avoir estimé que les échanges entre le salarié et une employée placée sous son autorité hiérarchique dénotaient de la part de celui-là une confusion entretenue entre les sphères privée et professionnelle, quand bien même ils avaient lieu sur une messagerie privée en dehors des horaires de travail, et un rapport de domination culpabilisant et humiliant envers une salariée présentant un état psychologique fragile, a pu retenir qu'ils étaient constitutifs d'une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise (…) »
En l’espèce, un salarié avait été engagé le 3 juillet 2006 par la société Nespresso France en qualité de cadre « responsable boutique », puis licencié par lettre du 3 décembre 2009 pour faute grave avec mise à pied conservatoire.
Le salarié faisait valoir devant la Cour de cassation, pour sa défense :
- qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier une sanction disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ;
- que ne caractérise pas un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail une correspondance privée entretenue par un salarié avec une autre salariée de l'entreprise, hors temps et lieu de travail, à l'aide de moyens de communication n'appartenant pas à l'employeur.
Son moyen a été rejeté par la Cour de cassation, entraînant dès lors le bien-fondé de son licenciement.
Il résulte de cet arrêt que l’employeur peut se servir des échanges d’e-mails entre salariés, via une messagerie privée et même en dehors du temps de travail, pour motiver un licenciement.
Alors que la décision peut sembler claire, un arrêt ultérieur de la Cour de cassation sème le doute.
2/ Les e-mails provenant de la messagerie personnelle d'un salarié, même stockés sur un ordinateur fourni par l'employeur, sont irrecevables à titre de preuve
Dans un arrêt du 26 janvier 2016 (Cass. soc. 26 janv. 2016, n° 14-15360), la chambre sociale de la Cour de cassation a statué en ces termes :
- « Mais attendu qu'ayant constaté que les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, la cour d'appel en a exactement déduit que ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances. »
En l’espèce, il s’agissait d’une salariée, responsable d’agence, ayant pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Pour sa défense, l’employeur avait produit un e-mail provenant de la messagerie personnelle de cette salariée et stocké sur son ordinateur professionnel (outil de travail).
La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir écarté cet e-mail, comme mode de preuve, au motif qu’il émanait d’une messagerie personnelle (vie privée).
En d’autres termes, la Cour de cassation retient une solution totalement inverse de celle dégagée dans son arrêt du 1er décembre 2015 (§ 1).
En effet, en se fondant sur cet arrêt, l’employeur aurait pu légitimement invoquer l’e-mail de la salariée pour les besoins de sa défense prud’homale.
Cela est d’autant plus vrai que :
- cet e-mail avait été stocké sur l’ordinateur de travail ;
- et que l’arrêt du 1er décembre 2015 va jusqu'à admettre que l’employeur se prévale d’e-mails personnels échangés hors du temps de travail !
En conclusion, une clarification de la Cour de cassation s’impose, afin de sécuriser les solutions applicables, tant dans l’intérêt de l’employeur que dans l’intérêt du salarié.
Xavier Berjot
Avocat Associé
OCEAN Avocats
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