1. La rupture conventionnelle suppose un accord global entre les parties
Par définition, la rupture conventionnelle suppose l’existence d’un accord global entre l’employeur et le salarié, tant sur le principe de la rupture du contrat de travail que sur ses conséquences.
Comme l’indique l’article L. 1237-13, alinéa 1er du Code du travail « la convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle… »
Par ailleurs, il résulte de l’article L. 1237-11, alinéa 3 du Code du travail que la rupture conventionnelle « est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties. »
Ces dispositions légales soulignent que la rupture conventionnelle doit s’inscrire dans un contexte amiable entre l’employeur et le salarié.
Il est d’ailleurs fondamental que les parties parviennent à un accord sur toutes les modalités de la rupture du contrat de travail, dans la mesure où la rupture conventionnelle n’est pas une transaction, et que le salarié peut donc saisir le Conseil de prud’hommes à l’expiration du contrat.
Rappelons à cet égard que « tout litige concernant la convention, l'homologation ou le refus d'homologation relève de la compétence du conseil des prud'hommes, à l'exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif. Le recours juridictionnel doit être formé, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la date d'homologation de la convention » (article L. 1237-14, alinéa 4 du Code du travail).
Sur le fondement de ce texte, la Cour d’appel de Montpellier a jugé que le salarié est irrecevable à invoquer la nullité de la rupture conventionnelle s’il conteste la validité de cette rupture plus de 12 mois après son homologation (CA Montpellier 16 février 2011, n° 10-4481).
En conclusion sur ce point, il est essentiel que les parties à la rupture conventionnelle s’entendent sur toutes les modalités de la rupture du contrat, ce qui semble impliquer l’absence de litige préexistant entre elles.
2. La rupture conventionnelle est parfois conclue dans un contexte litigieux
En pratique, l’employeur et/ou le salarié souhaitent parfois conclure une rupture conventionnelle pour rompre le contrat de travail alors qu’existe une situation conflictuelle.
A titre d’exemples, la rupture conventionnelle peut intervenir dans un contexte où le salarié se plaint de ses conditions salariales, estime subir un harcèlement moral, où l’employeur considère que le salarié n’est pas performant ou qu’il est démotivé, etc.
La question se pose donc de savoir si ce contexte conflictuel, ou litigieux, ne fait pas obstacle à la conclusion d’une rupture conventionnelle.
Le Code du travail ne contient pas de dispositions particulières sur le sujet, qui a, en revanche, donné lieu à plusieurs décisions jurisprudentielles, dont l’arrêt du 2 octobre 2012 constitue le prolongement.
Ainsi, dans un jugement du 6 avril 2010, le Conseil des prud’hommes de Bobigny a jugé que « l'existence d'un différend entre les parties sur la rupture du contrat fait obstacle à la conclusion d'une convention de rupture » (CPH Bobigny 6 avril 2010, n° 08-4910).
En l’espèce, l’employeur avait notifié un avertissement au salarié le 25 septembre 2008, en lui demandant deux jours après de restituer les clés de son lieu de travail et de ne plus se présenter à son poste.
Moins de dix jours plus tard (le 6 octobre 2008), les parties avaient signé une rupture conventionnelle.
Constatant que celle-ci s’inscrivait dans un contexte litigieux, le Conseil des prud’hommes avait prononcé sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cela étant, comme l’avait jugé postérieurement la Cour d’appel de Rouen dans un arrêt du 27 avril 2010, la rupture conventionnelle conclue dans un contexte de désaccord (en l’espèce, sur la rémunération du salarié) n’a pas à être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse s’il « n’est pas pour autant avéré qu’une situation conflictuelle ait existé entre les parties avant que soit envisagée une rupture conventionnelle et qu’elle ait perduré jusqu’à l’entretien préalable... » (CA Rouen 27 avril 2010, n° 09-4140)
Il résulte donc de cette décision que la rupture conventionnelle peut, d’une certaine manière, être la solution à un litige préexistant entre les parties, à condition que leur consentement soit libre et éclairé au moment de la rupture, et que ce litige ait pris fin le jour de la signature de la rupture conventionnelle.
Postérieurement à ces décisions, les Cours d’appel ont adopté des solutions divergentes sur la question du litige préexistant à une rupture conventionnelle.
A titre d’exemple, la Cour d’appel de Reims (CA Reims 16 mai 2012 n° 11-624) a annulé une rupture conventionnelle conclue dans un contexte où le salarié avait saisi le Conseil de prud’hommes pour des rappels de salaire.
En sens inverse, la Cour d’appel de Paris (CA Paris 22 février 2012 n° 10/04217) a considéré que le fait, pour un employeur, de notifier un avertissement au salarié peu de temps avant la signature de la convention de rupture, ne suffit pas à caractériser l'existence d'un différend permettant d’annuler la rupture conventionnelle.
3. Conséquences pratiques
Il émane de la jurisprudence visée ci-dessus que la rupture conventionnelle est possible si un litige préexistait entre les parties, à condition que ce litige ait pris au jour de la signature de la rupture conventionnelle.
Dans un tel contexte, il est vivement conseillé de sécuriser la rupture conventionnelle, en faisant ressortir le fait que les parties ont conclu cette rupture en pleine connaissance de cause et après avoir solutionné leurs différends.
En particulier, l’employeur a intérêt à ce que le salarié matérialise par écrit sa demande de rupture conventionnelle, afin d’établir que le consentement de ce dernier n’a pas été vicié.
De même, bien que cette formalité ne soit pas obligatoire, il est vivement recommandé de convoquer le salarié par écrit préalablement aux entretiens portant sur la rupture conventionnelle.
Rappelons, à cet égard, que la convocation écrite, quand elle existe, doit rappeler au salarié qu’il peut se faire assister par un salarié de l’entreprise ou, lorsque celle-ci ne dispose pas de représentants du personnel, par un conseiller du salarié.
La convocation doit également mentionner que le salarié peut recueillir toutes informations utiles auprès du service public de l’emploi (Pôle Emploi).
Enfin, en plus de la matérialisation de la rupture conventionnelle sur le formulaire Cerfa, il est opportun d’établir une convention de rupture distincte, pour mettre en exergue la réalité du consentement du salarié.
Si le salarié a été assisté par un avocat lors de la négociation de la rupture conventionnelle, les parties ont intérêt à ce que la convention de rupture le mentionne, pour les mêmes raisons liées au consentement du salarié.
Attention : la convention de rupture ne peut pas mentionner que le salarié renonce à tout litige, car la rupture conventionnelle n’est pas une transaction. En présence d’une telle mention, la DIRECCTE peut refuser son homologation (et l’inspecteur du travail peut refuser son autorisation). Cela étant, rien ne s’oppose à ce que la convention de rupture énumère les éléments du solde de tout compte et stipule que le salarié « s’estime rempli de ses droits. » Une telle mention est un élément de sécurisation important.
Enfin, il reste possible de conclure une transaction après la rupture du contrat de travail au moyen d’une rupture conventionnelle.
Si cette solution peut sembler a priori étonnante, puisque la rupture conventionnelle suppose justement que les parties se sont entendues sur toutes les conditions de la rupture du contrat, elle n’est pas dépourvue de tout sens puisque les parties sont libres de régler leur différend par la voie transactionnelle.
Xavier Berjot
Avocat Associé
OCEAN Avocats