Après cinq années de procédure, l’affaire babyloup continue. Cette affaire est aussi longue qu’elle regorge d’enseignements. On a tendance à penser trop facilement que la Cour de cassation adopte une position idéologique. Or, à la lecture des arrêts, ceux sont avant tout des considérations juridiques techniques qui justifient sa position, et non un positionnement fondé sur des idéaux. La Haute juridiction juge en droit et non en fait…
Retour sur cet épilogue jurisprudentiel et sur ses enseignements.
En 2008, une salariée est licenciée pour faute grave pour avoir refusé d’ôter son voile sur son lieu de travail. Ce licenciement est fondé sur une disposition du règlement intérieur, laquelle pour être opposable doit être claire et précise (Art. L.1321-3 du Code du travail). Dans un premier temps, le licenciement est confirmé par les prud'hommes en 2010, puis par la Cour d’appel de Versailles en 2011. C’est ainsi qu’en 2013, la Cour de cassation a eu à connaître de cette affaire. Après avoir tranché le litige en faveur de la salariée, et renvoyée l’affaire en jugement devant la Cour d’appel de Paris, cette dernière prend à nouveau le contre pied de la Cour de cassation et confirme le licenciement pour faute grave. Il va sans dire que cette affaire est loin d’être terminée, et qu’un nouveau pourvoi sera formé.
Plusieurs points sont à évoquer. L’élément central de l’espèce est bien évidemment la liberté religieuse, sur laquelle se greffent toutes les passions. Si la religion est une liberté fondamentale protégée, son régime juridique est différent selon que l’on est face à une entreprise privée, ou face à un service public. Au sein des entreprises privées, la religion peut faire l’objet de restrictions très limitées. Celles-ci doivent en outre « être justifiées par la nature de la tâche à accomplir », répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et être proportionnées au but recherché (On pense notamment aux règles de sécurité et d’hygiène). En revanche, le principe de laïcité s’applique strictement aux services publics, quand bien même ils seraient gérés par des organismes privés. On est ici face au principe de neutralité de l’Etat.
Dans le cas de la crèche Babyloup, la Cour de cassation considère que l’on est face à une entreprise privée, on doit donc appliquer les dispositions du Code du travail. Par conséquent, la liberté religieuse doit pouvoir s’épanouir, et toute restriction doit être justifiée et proportionnée en raison des exigences mentionnées précédemment. Pour les hauts magistrats, cette restriction n’étant nullement justifiée, le licenciement est irrégulier. Si ce raisonnement est parfaitement logique en Droit, il semble moins tenable de considérer qu’une crèche ne remplit pas une mission de service publique. Les juges du fond, ainsi que le ministère public se sont rangés derrière une toute autre position. En effet, comment considérer qu’une association dont le but est de « développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier, […] et de répondre à l’ensemble des besoins collectifs émanant des familles », ne remplit pas une mission de service public ? Ces considérations auraient dû mener la Haute juridiction à une toute autre solution en appliquant strictement le principe de neutralité de l’Etat face à la religion.
Pour autant, cela aurait il pu conduire à confirmer le licenciement pour faute grave ? Je ne le crois pas.
En effet, le second point qu’il me semble nécessaire d’évoquer concerne le règlement intérieur de la crèche. Ce point qui semble secondaire pour les médias et pour le lecteur lambda est pourtant essentiel pour comprendre la décision. Bien que la Cour de cassation ne considère pas la crèche comme une entreprise privée exerçant une mission de service public, sa solution aurait pu être totalement différente si la clause du règlement intérieur était valable ! Or, celle-ci énonce simplement que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup ». Cette mention étant trop générale et imprécise, elle ne répond pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du Code du travail, et n’est donc pas opposable aux salariés. Le licenciement étant privé de cause, il ne peut être justifié.
Ce raisonnement juridique est parfaitement clair, précis, justifié. Pourtant, ce volet de l’affaire n’apparaît nulle part. On cristallise le débat autour de la laïcité, alors que la divergence de position entre la Cour de cassation et la Cour d’appel n’est peut être (sûrement) limitée qu’au régime juridique d’une crèche. Un pourvoi sera à nouveau formé, la Cour de cassation va se réunir à nouveau et elle tranchera définitivement cette affaire. Même en considérant que sa position change sur le fait de considérer qu’une crèche ne remplit pas une mission de service publique, ce qui serait heureux, le licenciement pour faute grave sera à nouveau considéré comme injustifié, étant donné qu’il est fondé sur une clause du règlement intérieur non opposable aux salariés.