La responsabilité délictuelle du syndicat à l’occasion d’un conflit collectif

Publié le Modifié le 22/11/2013 Vu 23 060 fois 1
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La responsabilité délictuelle du syndicat  à l’occasion d’un conflit collectif

Dans cette période de troubles économiques, les entreprises et les salariés sont soumis à des pressions économiques. Pressions accentuées par la mondialisation, du fait de la mise en concurrence avec des pays à bas coûts.

La compétitivité apparaît alors comme le maître mot pour les entreprises. Les stratégies économiques  tendent vers la réduction des effectifs et la hausse de la productivité, pour d’autres, la délocalisation. Par conséquent, les intérêts de l’entreprise et des salariés peuvent être antagonistes et conduire à des conflits, en général exprimés par des mouvements de grève. Les syndicats ont un rôle de premier plan lors de ces conflits.

Les syndicats sont des associations de personnes qui ont pour but de défendre les intérêts professionnels et économiques de leurs membres. Ils cherchent à faire aboutir des revendications en termes de salaire, de conditions de travail, ou encore de prestations sociales. Ils ont la personnalité juridique, et peuvent donc ester en justice, et engager leur responsabilité civile et pénale.

Le droit de grève a une valeur constitutionnelle. Il est érigé par l’alinéa 7 de la constitution de 1946. Plus récemment, la CEDH a affirmé que le droit de grève représente l’un des plus importants droits syndicaux dans une décision du 21 avril 2009, « Enerji Yapi Yol Sen ». Dans un arrêt du 2 février 2006, la chambre sociale de la cour de cassation définie la grève comme « la cessation collective, concertée, et totale du travail en vue de présenter à l’employeur des revendications professionnelles ». Elle  doit impérativement entrer dans ce cadre afin de ne pas être déclarée illicite.

Lorsque ça n’est point le cas, le mouvement est illicite, et peut conduire à des sanctions envers les salariés, et plus récemment contre les syndicats.

La grève à un coût pour l’employeur, et amène forcément un préjudice. Il s’agit là d’un élément consubstantiel à la grève. Lorsqu’elle est licite, l’employeur ne peut sanctionner un salarié, sauf abus de sa part. A contrario, un mouvement jugé illicite par l’employeur va l’amener à sanctionner le salarié disciplinairement. En tout état de cause, cette sanction ne pourra rarement permettre à l’employeur de récupérer les sommes perdues, en raison de leur importance par rapport à la solvabilité du salarié. Par ailleurs, l’employeur n’est pas le seul susceptible d’engager la responsabilité du syndicat, l’action peut être engagée par des salariés non-grévistes, ou encore des tiers à l’entreprise (fournisseur, client etc.)

C’est ainsi que récemment, l’employeur cherche à engager la responsabilité du syndicat sur les fondements de l’article 1382 et 1384 du code civil. Ce dernier disposant de moyens financiers plus importants, l’employeur cherchera à recouvrir le préjudice subi. Deux types de responsabilité peuvent être énoncées, dont l’une fera l’objet de cet exposé. La responsabilité contractuelle, fondée sur le non-respect du syndicat d’une convention portant sur les modalités de déclenchement de la grève ayant laissé progressivement le terrain à la responsabilité  délictuelle. A noter que l’action en responsabilité contre le syndicat a été reconnu constitutionnelle par le C.C dans une décision du 22 Octobre 1982. Il s’agit de concilier la liberté syndicale, la grève et la liberté d’entreprendre, la propriété privée.

Quelles sont les conditions de l’engagement de la responsabilité délictuelle du syndicat à l’occasion d’un conflit collectif ?

Trois conditions cumulatives sont exigées par la jurisprudence afin de mettre en cause la responsabilité délictuelle du syndicat. Il s’agit des conditions traditionnelles de la responsabilité pour faute, à savoir une faute, un préjudice, et un lien de causalité. Mais en raison des impératifs de l’action syndicale, et du droit de grève, ces critères vont devoir revêtir des éléments particuliers. Il convient de les étudier successivement.

Une faute personnelle imputable au syndicat

 

  • Quid de la nature de la faute

La responsabilité du syndicat n’est pas automatique, il revient à l’employeur de démontrer sa responsabilité.

La grève est un droit individuel qui s'exerce collectivement. Tout comme le salarié, le syndicat ne peut engager sa responsabilité dès lors que le mouvement est licite. Il en va de même lorsque que des actes illicites ont été commis par des grévistes à l’occasion d’une grève licite, dès lors que ces actions n’ont pas été encouragées ou dirigées par le syndicat. En revanche, l’appel à une grève illicite entraine la responsabilité du syndicat. Cass.soc 26 janvier 2000

En outre, la jurisprudence exige que le syndicat ait participé de manière directe et effective au mouvement, manifestant la volonté propre de donner à l’action un caractère illicite. En d’autres termes, elles ne peuvent engager leur responsabilité pour avoir appelé à une grève, même si celle-ci a conduit à la commission de faits illicites. Leur responsabilité civile ne peut être engagée que « lorsque le syndicat a effectivement participé à des agissements constitutifs d’infractions pénales ou à des faits ne pouvant se rattacher à l’exercice normal du droit de grève » Arrêt Trailor Cass. soc. 9 novembre 1982.

L’exclusion de la faute d’abstention

Aucune faute d’abstention ne saurait être reprochée au syndicat. Arrêt de Cass.soc 29 janvier 2003 Ambulance Mancelle/ Union dpt CGT. La faute personnelle ne peut être caractérisée en l’absence de comportement positif, d’incitation active du représentant du syndicat.

Certains auteurs critiques cette position de la cour, en estimant que dès lors que le syndicat prend l’initiative d’une grève, et en contrôle le déroulement, il devrait en assumer les conséquences. Cependant, Le professeur J.E Ray soutient à juste titre que la reconnaissance de l’abstention fautive poserait de nombreux problèmes à la cour pour caractériser le lien de causalité entre l’inaction du syndicat et le dommage causé.

La nécessité d’une faute personnelle pose un certain nombre de problème. Le syndicat étant avant tout une personne morale, la faute personnelle est toujours celle des hommes avant d’être celle du groupement.

  • Quid de la représentation du syndicat, qui engage la responsabilité du syndicat ?

 «Les syndicats et les délégués syndicaux ne pouvaient du seul fait de leur participation à l’organisation d’une grève licite être déclaré responsable de plein droit de toutes les conséquences dommageables d’abus commis au cours de celle-ci » Cass.soc Dubigeon-Normandie 9 Novembre 1982

  • Les grévistes : Le syndicat n'étant pas le commettant des grévistes qui exercent individuellement le droit de grève, les grévistes ne peuvent engager la responsabilité du syndicat auquel ils appartiennent pour les actes illicites auxquels ils peuvent se livrer. Autrement dit, les salariés grévistes ne sont pas les préposés des syndicats, ces derniers ne peuvent être tenus des fautes commises en dehors de toutes consignes syndicales.
  • Les adhérents : En ce qui concerne les adhérents, une hésitation peut survenir en raison du lien contractuel entre l’adhérent et le syndicat. Mais la cour dans un arrêt 19 décembre 1989 affirme que «  les grévistes, même s’ils sont les représentants du syndicat auprès de l’employeur ne cessent d’exercer individuellement le droit de grève, et n’engagent pas, par les actes illicites auxquels ils peuvent se livrer la responsabilité des syndicats auxquels ils appartiennent. »
  • Les délégués syndicaux : Une partie de la doctrine soutient qu’en raison du mandat du délégué syndical, celui-ci engagerait la responsabilité de son syndicat s’il venait à commettre des fautes lors de la grève. L’autre partie soutient que lors d’une grève, le délégué agit avant tout comme un salarié gréviste agissant en son nom propre. Cette conception est conforme à la jurisprudence« La responsabilité d'un syndicat ne peut être engagée du seul fait de la qualité de mandataire de délégués syndicaux qui exercent individuellement le droit de grève » (Soc. 21 janv. 1987, Bull. civ. V, no 27). « constitue une violation de l'article 1382 du code civil la décision qui, pour retenir la responsabilité d'un syndicat, se borne à constater l'action des grévistes, dont certains avaient la qualité de délégués syndicaux ou de représentants syndicaux, sans relever aucune initiative du syndicat lui-même, autre que l'appel au déclenchement de la grève dont le principe a été reconnu licite » (Soc. 17 juill. 1990)

 

Les Interrogations suscitées par l’arrêt Blieck de la cour de cassation de 1991.

Cet arrêt étend le champ d’application de l’article 1384 du code civil relatif à la responsabilité du fait d’autrui, en affirmant que la liste de l’article 1384 n’était pas exhaustive. Dès lors, la doctrine s’est demandée si de ce fait, le syndicat pourrait voir engager sa responsabilité en raison des faits commis par ses adhérents ou ses délégués, lesquels seraient assimilés à des préposés.

Cependant un arrêt de 2006 affirme que « Le syndicat n’est pas responsable de plein droit des fautes commises par ses adhérents » Cass.soc 26 Octobre 2006.

Il semblerait donc que nous en restions à la commission d’une faute personnelle caractérisée par l’appel à une grève illicite, ou la participation, et l’incitation active des délégués, à la commission de faits illicites.

Si la caractérisation d’une faute est indispensable, encore faut-il établir un préjudice, et prouver le lien de causalité entre la faute et le dommage.

Un préjudice et un lien de causalité

  • Un préjudice économique distinct de celui que tout mouvement de grève provoque

La grève amène automatiquement un préjudice. Il s’agit d’un fait consubstantiel de la grève, la « grève est la possibilité légale de nuire à l’employeur ». Il s’agit d’un moyen de pression financier.

Pour autant, le préjudice est-il constituer dès l’existence d’un préjudice quel que soit son étendu comme le prévoit le code civil ?  Si tel était le cas, cela reviendrait à admettre que le préjudice est constitué dès lors que la grève est déclenchée. Ce qui n’est pas concevable, car cela reviendrait d’une certaine manière à remettre en cause l’existence même du droit de grève. La jurisprudence exige donc un élément supplémentaire. Le préjudice doit être économique et distinct de celui que tout mouvement de grève provoque.

Il faut donc procéder à la distinction du préjudice relevant de l’exercice normal du droit de grève, et le préjudice causé par les agissements fautifs.

Cela n’est pas difficile lorsque la grève est illicite…

La question est plus difficile en cas de grève licite. Il y a des dommages faciles à cerner (dégradation, violence, etc.), d’autres plus difficiles telles que la perte de production découlant de faits fautifs. Il y a là un pouvoir d’appréciation des juges du fond très important. Dans un arrêt du 19 octobre 1994, la chambre sociale de la cour de cassation avait retenu que « la désorganisation de la production résultant des actes illicites reprochés aux défendeurs n’avait entrainé aucun préjudice financier ».

L’engagement de la responsabilité civile implique en dernier lieu qu’un lien de causalité soit établi entre la faute personnelle du syndicat, et le préjudice économique causé à l’employeur.

  • Un lien de causalité entre la faute imputable au syndicat, et le préjudice économique subi par l’employeur

Cette responsabilité ne peut être engagée que si un lien de causalité direct existe entre les agissements fautifs et le préjudice subi.

Ce lien est constitué si les syndicats ont été constamment les investigateurs et les organisateurs de ce mouvement et qu'ils en ont assuré la maîtrise et la poursuite en incitant, par des directives, l'accomplissement d'actes fautifs par les salariés qui participaient au mouvement.

Le simple rôle passif d’un délégué syndical au cours d’agissements illicites n’est pas suffisant pour caractériser ce lien. Cass.soc 29 janvier 2003 Ambulance Mancelle/ Union départementale CGT de la Sarthe. (Pas d’agissement positif, d’incitation active = pas d’engagement de la responsabilité du syndicat).

Conclusion

L’engagement de la responsabilité civile des syndicats est attractif pour l’employeur. Il y voit la possibilité de réparer le préjudice causé par une grève illicite, ou par des faits illicites commis au cours d’une grève licite. Cela reste néanmoins qu’une interprétation de l’abus de droit. Le droit de grève est reconnu constitutionnellement, mais s’exerce dans les limites de la loi. Dès lors, cette responsabilité n’est pas une remise en cause du droit de grève, mais la sanction des dérives susceptibles d’être commises. C’est ainsi que la jurisprudence exige certains éléments pour activer les articles 1382 et/ou 1384 du Code civil dans ce domaine, qui ne sont pas exigés dans d’autres circonstances. Il s’agit de prendre en considération les caractéristiques mêmes de l’action syndicale, dont le déclenchement de la grève reste un des moyens les plus efficaces pour faire entendre les revendications salariales.

Certains affirment que la reconnaissance de cette responsabilité syndicale conduit à affaiblir l’action syndicale. Les actions coup de poing, telle qu’on a pu connaître au XIX siècle (Révolte des Canuts Lyonnais) avait un grand retentissement. L’exercice d’un droit de grève très encadré contribue de fait au mouvement d’institutionnalisation des syndicats, devenus des partenaires sociaux.

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1 Publié par lololarouge
25/08/2016 15:19

instigateurs plutôt qu'investigateurs...sans vouloir vous offenser!

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