L'avant-projet portant code de procédure civile projette d’introduire une action de groupe en droit positif, à ce jour inédite au monde. Le premier exemple d’action de groupe voit le jour aux Etats-Unis suite à l’explosion particulièrement dramatique du navire cargo SS Grandcamp, en 1947. Une plainte collective, favorablement accueillie par la justice, est alors déposée à l’encontre du gouvernement fédéral par 8485 plaignants.
Le recours collectif (« class action » en anglais) mesure phare du texte peut ainsi se définir comme une procédure anglo-saxonne qui permet à un groupe de personne ayant un intérêt commun de se regrouper dans une action commune pour faire valoir leur droit ou indemniser leur préjudice. Très concrètement, les class actions américaines mêlent un nombre important de plaintes individuelles en un seul procès. La procédure a ainsi deux intérêts. Un intérêt temporel d’une part, puisque la présence d’un seul avocat est préconisée pour plaider en faveur de l’ensemble des plaignants, ce qui est un gain de temps considérable. Un avantage économique d’autre part, les frais d’avocats étant divisés par le nombre de plaignants.
Alors que la procédure d'action de groupe existe depuis plusieurs années aux États-Unis, en Afrique-du-Sud, au Nigeria, et bien évidemment en France depuis 2014 avec la loi Hamon, sous une forme très originale, visant à expédier les travers et dérives de sa voisine américaine. C'est en 2016 que les pouvoirs publics décideraient enfin d'introduire la class action à la congolaise, outil maintes fois réclamé par les associations et le consommateur congolais qui subit des abus dans tous les domaines de la vie sociale. Force est de constater que le projet prend toute son importance et finira par se concrétiser. Non sans difficultés. En effet, les associations consumérismes congolaises devront s'attendre à une opposition patronale virulente, elles mêmes soutenues par des membres puissants des pouvoirs publics qui voit dans l’action de groupe la possibilité d’inciter les victimes à exercer une action en responsabilité quand bien même le coût de leur dommage subi ne serait que très faible, et une réponse adaptée aux dommages de masse. D’autant plus que les projets de class action ne manquent pas: les publicités mensongères, les réseaux défaillants de grands opérateurs, les retards et annulations de trains et de vol, des surfacturations de consommations d'électricité j’en passe: tout est sujet à une représentation collective gagnante et attractive. Cependant jusqu'à l'avant projet, il existait tout de même deux mécanismes permettant aux associations d’agir collectivement. Le premier offrait la possibilité aux associations d’agir en responsabilité au nom du groupement lui-même, en défense des intérêts collectifs représentés par le groupement. Ainsi, si l’action était couronnée de succès, seule l’association profitait des dommages intérêts, non la victime. Un second mécanisme institué (l’action en représentation conjointe) reposait sur l’idée d’un mandat donné à l’association par ceux qu’elle était amenée à représenter. Autrement dit, l’association agissait en justice pour les victimes qui bénéficiaient elles-mêmes de l’indemnisation.
Cependant, ce processus reposait sur un mandat explicite, or la publicité de cette action était extrêmement réglementée : elle était interdite aussi bien à la télévision, qu’à la radio, de sorte que l’action se trouvait ignorée de la plupart des victimes. Ces deux procédures n'ont pas connus un grand succès.
Lacunaire, oscillant entre fascination et crainte des dérives d’une telle procédure, le système juridique congolais va finalement faire le choix d’une class action inédite. La réforme est présentée comme le rééquilibrage des pouvoirs entre consommateurs et professionnels et serait pour le Congo et les pouvoirs publics une grande avancée en termes de liberté et de promotion de l'État de Droit. Cependant le texte est toutefois loin de réjouir les acteurs concernés dans la mesure où seules les associations de consommateurs semblent en tirer Les avantages.
La mise en œuvre de l’action de groupe est cependant subordonnée à des conditions étroites et elle est soumise à une procédure spécifique.
- Les conditions de mise en œuvre de l’action de groupe.
Pour commencer, la loi n’a posé aucune condition tenant au nombre de victimes. En effet, il suffit de deux victimes pour qu’une action de groupe soit engagée. Cela dit, les conditions de l’action de groupe sont au nombre de deux et sont relatives, d’une part, au champ d’application et, d’autre part, à la qualité pour agir.
Le champ d’application de l’action de groupe
Le champ d’application de l’action de groupe est limité quant à la matière du litige, quant aux bénéficiaires de l’action de groupe et quant à l’objet de la demande.
- Limitation quant à la matière du litige : L’action de groupe est cantonnée aux différends entre consommateurs et professionnels, et encore elle ne s’applique pas à tous leurs différends. L’article L. 423-1 du code de la consommation vient en effet expliciter les deux cas dans lesquels des contestations peuvent donner lieu à une action de groupe. Il s’agit :
- D’une part, lorsqu’un professionnel a manqué à l’une de ses obligations légales ou contractuelles à l'occasion de la vente d’un bien ou d’une prestation de services.
- D’autre part, lorsqu’un professionnel s’est livré à une pratique anti concurrentielle.
- Limitation quant aux bénéficiaires de l’action de groupe : Quant aux bénéficiaires de l’action de groupe, il ne s’agit que des consommateurs. On entend par consommateurs les personnes physiques qui agissent à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leurs activités professionnelles (activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale) confère article 423-10 du code de la consommation. Toutes les personnes morales sont donc exclues du dispositif de protection.
Les domaines de la santé et de l’environnement sont également exclus du champ d’application de l’action de groupe. En effet, les victimes de dommage corporel ou d’atteintes à l’environnement ne peuvent pas se regrouper pour faire une action de groupe. Il est toutefois envisagé d'étendre l’action de groupe à d’autres domaines.
- Limitation quant à l’objet de la demande :
Quant à l’objet de la demande, l’action de groupe ne peut porter que sur la réparation du dommage matériel. En effet, seuls peuvent être réparés le préjudice matériel, à savoir l’atteinte à un bien (destruction ou détérioration occasionnant une perte de jouissance ou la diminution de la valeur du bien endommagé) et le préjudice économique pur. Sont donc exclus les préjudices extrapatrimoniaux, c’est-à-dire les préjudices moraux et les préjudices patrimoniaux résultant d’un dommage corporel, telle par exemple la perte de revenus occasionnée par une incapacité de travail. Le consommateur ne pourra donc pas réclamer des dommages et intérêts pour de tels dommages. Il faut donc veiller à contester toute demande en ce sens. En après vente, cette condition est déterminante, dans les pires situations de droit de la consommation, comme dans les hypothèses de vente de produits dangereux ou défectueux, les dommages matériels sont souvent moins importants que les dommages corporels moraux ou environnementaux.
La qualité pour agir
L'avant projet introduisant l'action de à la congolaise inspiré du modèle français a suscité la perplexité des spécialistes. Perçues comme une " curiosité " elle consacre une procédure dont on a souligné l'exorbitance et le caractère inédit au regard des modèles existants.
Quand on juge, le monopole de l'action est confié aux associations de consommateurs représentatives au niveau national et agréées qui peuvent engager une action de groupe de manière discrétionnaire confère article 225 de l’avant projet. En l’état actuel du paysage consumériste au Congo, on a pu répertorier 2 associations: l'association congolaise des consommateurs des produits et services technologiques de l'information et de la communication et l'association congolaise de défense de droits des consommateurs.
L'action de groupe pourrait bien plutôt être qualifiée d'action des associations de consommateurs " Tant celle-ci ont en d'un bout à l'autre le contrôle.
La procédure de l’action de groupe
La loi prévoit deux procédures, dont le choix incombe au juge : une procédure de droit commun (procédure ordinaire) et une procédure simplifiée. À la différence de la procédure simplifiée, la procédure de droit commun s'applique lorsque les consommateurs victimes ne peuvent pas être préalablement identifiés.
La procédure ordinaire ou de droit commun
Le système d'opt out a été exclu pour éviter les dérives de la class action américaine. C'est alors un système d'« opt-in » qui a été retenu, en vertu duquel le consommateur doit faire une démarche active pour adhérer au groupe afin d'obtenir la réparation de son préjudice. À cette fin, il est prévu que le juge définisse le groupe de consommateurs à l'égard desquels la responsabilité du professionnel est engagée, fixe les critères de rattachement au groupe et prévoit le délai dont disposent les consommateurs pour y adhérer, compris nécessairement entre deux et six mois à compter de l'achèvement des mesures de publicité. C'est encore le juge qui précise si les consommateurs s'adressent directement au professionnel ou s'ils passent par l'intermédiaire de l'association, et qui ordonne les mesures de publicité qui, à défaut d'indication de la loi, peuvent s'effectuer par tous moyens (messages radio, TV, internet, affichage, tracts, courriers personnalisés...). En revanche, dans un souci de respect des droits de la défense, les mesures de publicité ne peuvent être mises en œuvre qu'une fois la décision devenue définitive, c'est-à-dire après tous les appels et pourvois en cassation possibles, ce qui peut conduire à des délais très longs. Enfin, l'adhésion au groupe vaut mandat donné à l'association aux fins d'indemnisation.
La procédure simplifiée.
L'avant projet introduira une procédure simplifiée lorsque l'identité et le nombre des consommateurs lésés sont connus et que le préjudice est d'un même montant ou d'un montant identique par prestation rendue ou par référence à une période ou à une durée. Dans ce cas, le juge peut, après avoir statué sur la responsabilité du professionnel, condamner ce dernier à indemniser directement et individuellement les consommateurs, sans démarche initiale de leur part, dans un délai et selon les modalités qu'il fixe. Il semble que soient visées les hypothèses dans lesquelles existent des fichiers clients (assurance, vente à distance, téléphonie mobile, télévision payante...). Lorsque la décision ne peut plus faire l'objet de recours, le professionnel doit, à ses frais, en informer individuellement les consommateurs concernés, afin de leur permettre d'accepter d'être indemnisés dans les termes de la décision. Plus que la procédure, ce sont en réalité les mesures de publicité qui sont ainsi simplifiées.
L'alternative à l'action contentieuse : la médiation.
En tout état de cause, les parties pourront recourir à la médiation (facultative), à laquelle seule l'association requérante pourra participer. La médiation est possible, conformément au droit commun des procédures civiles, à tout moment de l'action. Elle pourrait même être initiée en amont de toute procédure eue égard au caractère dissuasif de l'action de groupe pour un professionnel. L'accord négocié au nom du groupe sera alors soumis à l'homologation du juge qui vérifiera, avant de lui donner force exécutoire, qu'il est conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s'appliquer et précisera les mesures de publicité nécessaires, ainsi que les délais et modalités de l'adhésion au groupe.