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Abus de majorité : mise en réserve des bénéfices et protection des minoritaires

Publié le 12/02/2025 Vu 222 fois 0
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Comment l’abus de majorité dans la mise en réserve des bénéfices peut être sanctionné et quels sont les recours pour les actionnaires minoritaires.

Comment l’abus de majorité dans la mise en réserve des bénéfices peut être sanctionné et quels sont le

Abus de majorité : mise en réserve des bénéfices et protection des minoritaires

Dans les sociétés anonymes, la mise en réserve des bénéfices est un choix stratégique qui peut être justifié par des besoins d’investissement, de gestion prudente ou de renforcement des fonds propres. Toutefois, lorsque cette pratique devient un moyen de priver les actionnaires minoritaires de leur droit aux dividendes, elle peut être sanctionnée comme un abus de majorité.

L’affaire récemment examinée par la cour d’appel de Nîmes, qui a annulé une résolution d’assemblée générale ayant affecté l’intégralité des bénéfices aux réserves sans justification économique valable, illustre parfaitement ce principe. Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui protège les actionnaires minoritaires contre les dérives des majoritaires lorsqu’ils utilisent leur pouvoir à des fins personnelles.

Cet article revient sur les critères permettant de caractériser un abus de majorité, les enseignements de cette décision et les recours possibles pour les actionnaires minoritaires.

1. L’abus de majorité dans la mise en réserve des bénéfices : une définition stricte

1.1. Une décision contraire à l’intérêt social

L’abus de majorité se définit comme une décision adoptée par les actionnaires majoritaires en violation de l’intérêt social, dans le but de favoriser leurs intérêts personnels au détriment des minoritaires.

Dans le cas jugé par la cour d’appel de Nîmes, la société concernée avait affecté plus de 550 000 euros aux réserves alors qu’elle n’avait ni dettes importantes, ni projet d’investissement identifié. La société, qui exerçait une simple gestion patrimoniale, disposait déjà d’un niveau de réserves largement suffisant pour couvrir ses charges courantes.

Absence de justification économique : la mise en réserve doit être motivée par des objectifs précis et non servir à exclure les minoritaires de la répartition des bénéfices.
Gestion prudente ou thésaurisation abusive ? Une société doit veiller à équilibrer ses décisions financières pour éviter d’excéder les besoins réels de l’entreprise.

1.2. Une volonté délibérée de désavantager l’actionnaire minoritaire

Le second critère de l’abus de majorité est l’intention de favoriser les actionnaires majoritaires au détriment des minoritaires.

Dans l’affaire jugée, les actionnaires majoritaires percevaient des rémunérations et des avantages en nature non justifiés, tandis que le minoritaire, détenant 43,36 % du capital, était totalement exclu du bénéfice social.

Une rupture d’égalité manifeste : les majoritaires bénéficiaient d’une rétribution indirecte via des avantages en nature, tandis que le minoritaire ne percevait aucun dividende.
Un détournement des bénéfices : en privant un actionnaire de toute rétribution, les majoritaires ont orienté les bénéfices dans un but exclusivement favorable à leurs propres intérêts.

Ces éléments ont conduit la cour à annuler la résolution d’assemblée générale, en retenant qu’elle avait été adoptée dans le seul but d’avantager un actionnaire majoritaire, au détriment du minoritaire.

2. Une jurisprudence constante en matière d’abus de majorité

2.1. Une ligne jurisprudentielle bien établie

Les tribunaux sanctionnent depuis longtemps les décisions prises en assemblée générale qui désavantagent injustement les actionnaires minoritaires. La Cour de cassation rappelle régulièrement que l’abus de majorité suppose deux critères cumulés :

  1. Une atteinte à l’intérêt social
  2. Un avantage injustifié des majoritaires au détriment des minoritaires

Des arrêts fondateurs ont posé ce cadre, notamment Cass. com., 24 janvier 1995, n° 93-13.273 et Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-16.581.

Dans cette affaire, l’absence de projet d’investissement et l’existence d’avantages en nature injustifiés ont permis aux juges d’établir que la mise en réserve litigieuse était un abus de majorité.

2.2. L’arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 22 novembre 2024

Dans cette affaire, les juges ont relevé plusieurs éléments troublants :

Un patrimoine déjà conséquent : la société disposait de réserves excédentaires, rendant la mise en réserve des bénéfices économiquement infondée.
Un avantage injustifié pour un actionnaire majoritaire : l’un des associés bénéficiait d’un logement de fonction sans contrepartie, ce qui constituait une forme de détournement des bénéfices.
Une absence de justification stratégique : aucun plan d’investissement n’avait été présenté pour justifier une telle affectation des bénéfices.

Ces éléments ont conduit la cour d’appel à sanctionner la mise en réserve abusive des bénéfices et à annuler la résolution d’assemblée générale.

3. Les enseignements à tirer pour les actionnaires et dirigeants

3.1. Comment éviter qu’une mise en réserve ne soit contestée ?

Pour qu’une mise en réserve des bénéfices soit légitime et incontestable, elle doit être :

Justifiée par un besoin réel (investissement, remboursement d’emprunt, stabilité financière).
Proportionnée aux nécessités de la société, sans excès de thésaurisation.
Accompagnée d’une politique équilibrée de distribution de dividendes pour éviter d’exclure les minoritaires.

Une gestion transparente et équilibrée permet d’éviter tout contentieux et de garantir la bonne gouvernance de l’entreprise.

3.2. Quels recours pour un actionnaire minoritaire lésé ?

Si un actionnaire minoritaire estime être victime d’un abus de majorité, il peut :

Demander l’annulation de la résolution litigieuse devant le tribunal de commerce.
Réclamer des dommages et intérêts en cas de préjudice avéré.
S’appuyer sur la jurisprudence pour démontrer que la décision contestée a été prise dans l’unique but de favoriser les majoritaires.

Dans cette affaire, l’actionnaire minoritaire a obtenu gain de cause et la résolution litigieuse a été annulée, confirmant que les décisions d’assemblée doivent respecter un équilibre entre les intérêts des actionnaires.

Conclusion : une vigilance accrue sur la gestion des bénéfices

Cette décision de la cour d’appel de Nîmes rappelle que la mise en réserve des bénéfices ne peut être un instrument de captation des richesses par les actionnaires majoritaires.

Une mise en réserve systématique et sans justification peut être sanctionnée.
Les avantages en nature perçus par les majoritaires doivent être justifiés.
Les actionnaires minoritaires disposent de recours juridiques en cas d’abus.

L’équilibre entre majorité et minorité est essentiel à la bonne gouvernance d’une société. Toute décision de répartition des bénéfices doit être prise en toute transparence et répondre à un véritable intérêt économique. Cette affaire illustre bien que les actionnaires minoritaires ne sont pas sans défense face aux dérives potentielles des majoritaires.

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