Le régime de la nullité en droit des sociétés, longtemps source d’instabilité juridique et de divergence d’interprétation, fait l’objet d’une réforme majeure. L’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025, prise sur habilitation de la loi « Attractivité » du 13 juin 2024, entre en vigueur le 1er octobre 2025. Elle ambitionne d’unifier les règles applicables aux sociétés civiles et commerciales, de limiter les nullités abusives et d’assurer une meilleure protection de l’intérêt social.
Une unification attendue entre droit civil et droit commercial
Jusqu’à présent, la nullité en droit des sociétés se caractérisait par une dichotomie complexe entre le Code civil (sociétés civiles) et le Code de commerce (sociétés commerciales). La réforme met fin à cette dualité en inscrivant l’ensemble des règles générales dans le Code civil, à travers les articles 1844-10 à 1844-17.
Cette homogénéisation vise à clarifier les fondements juridiques et à garantir un traitement équivalent des situations de nullité, quel que soit le type de société concernée.
Une restriction des cas de nullité des décisions sociales
La réforme introduit une définition plus stricte des causes de nullité, qui ne pourront résulter :
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Que de la violation d’une disposition impérative du droit des sociétés (hors alinéa final de l’article 1833 C. civ., relatif aux enjeux sociaux et environnementaux),
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Ou d’une cause de nullité des contrats au sens du droit commun (vice du consentement, capacité, objet illicite…).
Ainsi, une simple violation statutaire ne pourra plus justifier à elle seule l’annulation d’une décision sociale, sauf si la loi en dispose autrement (art. 1844-10 modifié).
Un renforcement du contrôle juridictionnel : l’instauration du triple test
La nullité devient une sanction encadrée. Aux termes du nouvel article 1844-12-1, une décision sociale ne pourra être annulée que si les trois conditions suivantes sont réunies :
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Le demandeur démontre un grief personnel lié à l’intérêt protégé par la règle violée ;
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L’irrégularité a influencé le sens ou le contenu de la décision ;
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La nullité n’a pas de conséquences excessives pour l’intérêt social au moment où elle est prononcée.
Cette approche, déjà amorcée par la jurisprudence (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324), impose une lecture contextuelle et proportionnée du manquement invoqué.
Une volonté claire de prévenir les nullités en cascade
Limitation de l’effet rétroactif
L’annulation d’une décision sociale pourra, lorsque ses effets rétroactifs sont jugés excessifs pour l’intérêt social, voir ses effets différés dans le temps. Cette souplesse permet de maintenir un équilibre entre la nécessité de sanction et la préservation de la stabilité juridique.
Validité des actes d’un organe irrégulièrement désigné
L’article 1844-15-1 prévoit que la nullité de la nomination irrégulière d’un organe n’affecte plus automatiquement la validité des décisions prises par celui-ci, sauf disposition expresse contraire. Ce point est crucial dans les contextes où une irrégularité formelle risquait, auparavant, de remettre en cause des décisions importantes prises dans l’intervalle.
Une ouverture maîtrisée pour les statuts de SAS
La réforme introduit une disposition spécifique aux sociétés par actions simplifiées (SAS), permettant aux statuts de prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation de leurs clauses. Toutefois, une telle nullité ne pourra être prononcée que sous réserve du triple test évoqué plus haut.
Cette mesure conforte la logique contractuelle propre à la SAS, tout en encadrant les effets des éventuelles violations statutaires.
Une prescription raccourcie à deux ans
L’article 1844-14 modifié réduit le délai de prescription de droit commun des actions en nullité de trois à deux ans. Le point de départ reste fixé au jour où la nullité est encourue. Cette réduction vise à inciter à la vigilance et à éviter les contentieux tardifs, sources d’incertitude pour la société et ses parties prenantes.
Une réforme technique mais aux effets concrets
À travers cette réforme, le législateur entend restaurer la fonction première du droit des nullités : sanctionner les manquements graves, sans bloquer le fonctionnement de la société. En limitant les causes de nullité, en renforçant les conditions de leur mise en œuvre et en encadrant leurs effets, le texte opère un changement de paradigme.
Les praticiens du droit devront désormais faire preuve de rigueur accrue dans l’analyse des griefs et dans la mise en œuvre de la stratégie contentieuse. La réforme impose un niveau d’exigence supérieur, mais elle offre en retour plus de prévisibilité pour les sociétés et leurs organes.