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Rachat de parts sociales par la société et remboursement du compte courant d’associé : clarification jurisprudentielle

Publié le 19/03/2025 Vu 116 fois 0
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La Cour confirme : lors du rachat de parts sociales, le remboursement du compte courant d’associé reste indépendant, sauf clause contraire.

La Cour confirme : lors du rachat de parts sociales, le remboursement du compte courant d’associé reste ind

Rachat de parts sociales par la société et remboursement du compte courant d’associé : clarification jurisprudentielle

Lorsqu’une société envisage de racheter les parts sociales d’un associé pour les annuler, la question de savoir si elle doit aussi rembourser le compte courant d’associé surgit régulièrement. Selon une décision récente de la chambre commerciale de la Cour de cassation (février 2025), ces deux obligations demeurent autonomes, sauf disposition particulière. En d’autres termes, le défaut de restitution du compte courant ne permet pas à l’associé d’exiger la résolution du rachat de ses parts.

I. Contexte : un associé sortant et deux rapports juridiques indépendants

Un associé peut cumuler deux qualités : celle d’investisseur dans le capital (via des parts sociales) et celle de prêteur (via un compte courant d’associé). Lorsqu’il quitte la société à l’occasion d’un rachat de ses parts afin d’en réduire le capital, la société règle le prix fixé lors de l’assemblée, mais elle n’est pas tenue, à défaut de clause explicite, de rembourser dans le même mouvement le compte courant. L’autonomie entre la participation au capital et la créance de prêt est ainsi réaffirmée.

Notion de compte courant d’associé

Le compte courant constitue un prêt à durée indéterminée, dont l’associé reste libre de demander la restitution à tout moment, sous réserve des règles de trésorerie ou de clauses de blocage. Cependant, ce droit n’emporte pas fusion avec l’obligation de payer le prix des titres rachetés – ce point est désormais consolidé par la jurisprudence.

II. Le principe d’autonomie : rappels légaux et jurisprudentiels

A. Textes applicables

  • Articles L. 223-34 et s. du code de commerce : Traitement du rachat de parts en SARL et fixation des modalités de réduction de capital.
  • Code civil, notamment le prêt à durée indéterminée, consacrant la libre exigibilité du compte courant.

B. Jurisprudence antérieure

La Cour de cassation avait déjà souligné que ni la cession de parts ni l’émission de nouvelles actions ne fusionnent le sort du compte courant et celui des titres. Le jugement rendu en février 2025 va plus loin en précisant qu’en cas d’absence de stipulation contraire, le non-remboursement du compte courant ne touche pas la validité du rachat de parts, même si l’associé entend s’appuyer dessus pour renverser la délibération.

III. Comment s’est opérée la décision de la Cour de cassation

A. Les faits

Dans l’affaire portée devant la Cour, un associé d’une société d’exercice libéral détenait un compte courant d’associé. L’assemblée générale avait entériné le rachat de ses parts pour les annuler, sous réserve de certaines conditions (notamment la transformation de la société et l’absence d’opposition des créanciers). Une fois les conditions remplies, l’associé réclame le remboursement de son compte courant. Ne l’obtenant pas, il introduit une action en annulation du rachat, estimant que la société n’a pas exécuté tous ses engagements à son égard.

B. Motifs de la Cour

Le juge a souligné que seules les modalités de rachat de parts sociales étaient convenues dans la délibération (prix, conditions suspensives, date d’effet). Le compte courant ne figurait dans aucun acte comme étant lié à cette opération. Ainsi, la société demeure tenue de payer le prix de rachat, mais l’obligation de rembourser le compte courant n’y est pas intégrée. L’inexécution de ce second engagement ne peut, en conséquence, remettre en cause la validité du rachat.


IV. Conséquences pratiques : éviter la confusion des obligations

A. Clause nécessaire pour lier les deux engagements

Pour que l’associé ait la possibilité de faire annuler la réduction de capital en cas de non-restitution du compte courant, il faut impérativement qu’une stipulation figure dans la délibération ou dans un pacte d’associés. Sans une mention expresse, la société peut régler le prix de rachat des parts et reporter le débat sur la restitution du compte courant à un autre moment.

B. Précautions rédactionnelles

  • En gras dans les actes : indiquer clairement “L’obligation de rembourser le compte courant se réalise simultanément avec le prix de rachat” si c’est l’accord souhaité.
  • Bullet points dans la convocation à l’assemblée :
    • Montant exact du rachat
    • Conditions suspensives
    • Sort du compte courant : remboursement concomitant ou non
    • Éventuel calendrier d’échelonnement
  • Autonomie ou interdépendance : la volonté commune doit apparaître en toutes lettres pour écarter toute ambiguïté ultérieure.

V. Distinctions clés pour les restructurations et cessions

A. Rachat de parts sociales par la société

La réduction de capital non motivée par des pertes impose le respect des formalités légales et la mention des éléments constitutifs du contrat. À l’inverse, la créance de compte courant demeure un autre rapport, donnant lieu à une action en remboursement indépendante.

B. Incidence sur les délibérations

L’associé ne peut contester la validité du rachat de parts sociales qu’en se fondant sur l’inexécution d’une obligation figurant effectivement dans la délibération ou l’accord. Si le compte courant n’est pas mentionné, aucune résolution n’est entachée de vice lorsque le remboursement n’a pas lieu. L’associé dispose simplement de la voie du droit commun pour recouvrer son prêt.

VI. Les limites de l’action en résolution

A. Qu’est-ce qui justifie la résolution ?

En droit français, toute résolution doit se fonder sur l’inexécution d’une obligation essentielle issue de la convention litigieuse (articles 1224 et suiv. du code civil). Sans clause liant expressément rachat de parts et remboursement du compte courant, le juge ne peut considérer que la seconde obligation figure au cœur de la première. L’associé ne peut obtenir la résolution qu’en prouvant une violation du contrat principal, c’est-à-dire le non-paiement du prix de cession, ou un manquement aux conditions suspensives fixées.

B. Pratique judiciaire

La Cour de cassation adopte la même logique dans des situations analogues, que ce soit pour des cessions directes de parts ou pour des opérations de rachat en vue d’annulation. Le principe se veut uniforme : l’autonomie prime. Les rares exceptions émergent lorsque la clause d’interdépendance est explicitement intégrée dans l’acte.

VII. Enseignements pour la société et l’associé sortant

A. L’associé sortant

  • Examiner les PV d’assemblée : Vérifier si le remboursement du compte courant d’associé est mentionné.
  • Réclamer une clause : En l’absence de mention, négocier une disposition affirmant le caractère indissociable des deux opérations si tel est l’objectif.
  • Poursuivre la voie de droit commun : À défaut, intenter une action en recouvrement pour exiger la restitution du prêt, sans pouvoir toutefois annuler le rachat pour ce motif.

B. La société

  • Rédaction claire : Discerner l’engagement relatif à la réduction de capital de tout engagement financier sur le compte courant.
  • Marge de manœuvre : En l’absence de clause imposant le remboursement simultané, la société évite la nullité de la délibération au seul motif d’un non-paiement du compte courant.
  • Sécurité juridique : La distinction protège la validité du rachat de parts, tout en encadrant la créance de l’associé.

VIII. Un principe de dissociation consolidé

La Cour de cassation renforce la sécurité juridique en confirmant que le rachat de parts sociales par la société – qu’il s’agisse de Selarl, de SARL ou de toute autre forme – n’implique pas, sauf disposition contraire, le remboursement du compte courant d’associé. Cette clarification fait prévaloir l’autonomie de chaque opération :

  1. Paiement du prix de rachat : la seule obligation directement liée à la réduction de capital.
  2. Remboursement du compte courant : un engagement à part, relevant de la libre exigibilité d’un prêt à durée indéterminée.

Dès lors, la résolution de la délibération ne saurait être demandée en raison du défaut de paiement du compte courant. L’associé sortant conserve un droit de recouvrement quant à sa créance, mais ne peut subordonner la validité du rachat de ses parts à la satisfaction simultanée de cette demande. Ainsi, la jurisprudence invite l’ensemble des praticiens et parties prenantes à :

 

  • Rédiger clairement tout acte s’ils souhaitent interdire ou conditionner la sortie de l’associé au remboursement concurrent du compte courant,
  • Respecter le principe selon lequel le compte courant d’associé demeure une créance totalement distincte du droit de propriété portant sur les parts sociales.

 

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