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Salarié protégé soupçonné de harcèlement : refus de réintégration possible?

Publié le 11/02/2025 Vu 202 fois 0
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L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité, peut refuser la réintégration d’un salarié protégé accusé de harcèlement, sous contrôle strict.

L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité, peut refuser la réintégration d’un salarié protégÃ

Salarié protégé soupçonné de harcèlement : refus de réintégration possible?

Salarié protégé et harcèlement sexuel : quand l’employeur peut refuser la réintégration

L’entreprise est tenue d’une obligation de sécurité consistant à garantir la protection de ses salariés contre toute forme de harcèlement, y compris à connotation sexuelle. Lorsqu’un salarié protégé, c’est-à-dire un salarié titulaire d’un mandat représentatif (délégué syndical, membre du CSE…), se trouve accusé de tels agissements, la confrontation entre l’intérêt du mandat et l’exigence de prévenir le harcèlement devient particulièrement délicate. Les récentes évolutions jurisprudentielles mettent en lumière la possibilité, pour l’employeur, de s’opposer à la réintégration de l’intéressé, sous réserve de remplir des critères stricts de justification.

Les fondements de la protection du salarié

Le statut protecteur prévu par l’article L2411-1 du code du travail impose à l’employeur d’obtenir l’autorisation de l’inspecteur du travail avant de licencier un salarié protégé. S’il survient un refus de l’administration ou si l’autorisation est ultérieurement annulée, le salarié peut exiger sa réintégration dans son poste ou un emploi équivalent. Cette garantie vise à empêcher qu’un employeur ne sanctionne abusivement un représentant du personnel pour son activité syndicale ou élective.

Pourtant, quand de sérieux soupçons pèsent sur le comportement dudit salarié, le chef d’entreprise se retrouve face à un dilemme. D’une part, il doit se conformer aux règles protégeant le mandat représentatif ; d’autre part, l’article L4121-1 du code du travail lui confère l’obligation de prévenir toute situation susceptible de compromettre la santé ou la dignité d’autrui. Or, l’harcèlement sexuel fait évidemment partie des situations que le législateur juge inadmissibles.

Harcèlement sexuel : un impératif de prévention

L’article L1153-5 du code du travail prévoit que l’employeur prend les dispositions nécessaires pour faire cesser, sanctionner et éviter la répétition d’un harcèlement sexuel. Les conséquences d’un comportement à connotation sexuelle non consenti par les victimes peuvent être graves et exposer l’employeur à une mise en cause de sa responsabilité, s’il laisse la situation perdurer. Il appartient donc à l’employeur de démontrer, lorsqu’il envisage de ne pas réintégrer le salarié protégé accusé, l’existence d’un risque concret et suffisant pour la sécurité ou la santé des autres salariés.

Ce point fait l’objet d’un contrôle minutieux de la part des juridictions. La Cour de cassation considère, en effet, que l’incompatibilité entre la présence de l’intéressé dans l’entreprise et la protection de l’équipe doit être établie de manière rigoureuse. On n’exige pas nécessairement une qualification pénale formelle, mais la crainte d’un harcèlement doit se fonder sur des éléments objectifs.

Au milieu de cette analyse, il peut être utile d’approfondir la question en consultant un éclairage juridique complet sur salarié protégé refus réintégration harcèlement risque sécurité, afin de mesurer l’étendue du raisonnement jurisprudentiel et de cerner ses répercussions sur la gestion des ressources humaines.

La position de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 8 janvier 2025, la haute juridiction a cassé une décision qui n’avait pas pris en compte l’obligation de prévention du harcèlement sexuel. Les juges du fond s’étaient uniquement demandé si la qualification pénale pouvait être retenue, écartant la possibilité d’un refus de réintégration hors d’une certitude d’infraction. La Cour a considéré, au contraire, que l’employeur se trouvait en droit de refuser la réintégration si les témoignages recueillis ou les preuves administrées laissaient craindre une situation préjudiciable pour d’autres salariés.

Certes, l’article L2422-1 du code du travail prévoit une obligation de réintégration lorsque le licenciement d’un salarié protégé a été refusé ou annulé. Toutefois, la Cour juge qu’il s’agit d’une règle de principe qui peut céder devant l’article L4121-1 du code du travail, lequel consacre l’obligation de sécurité et la nécessité de faire cesser tout risque de harcèlement. Ce raisonnement ne signifie pas que tout soupçon permette de s’affranchir de la protection du mandat. Il impose au contraire une mise en balance soigneuse entre deux exigences légales.

Les conditions du refus de réintégration

Pour être légitime, le refus de réintégrer le salarié protégé doit s’articuler autour de plusieurs éléments :

  1. Éléments factuels sérieux : L’employeur doit être en mesure de présenter des faits ou déclarations concordantes, prouvant l’existence d’un comportement à caractère sexuel non consenti ou des indices solides d’une démarche de harcèlement.
  2. Impossibilité ou inefficacité de mesures alternatives : Idéalement, on vérifie si une solution moins radicale – par exemple, un changement de poste ou un encadrement renforcé – pourrait suffire à neutraliser le risque. Si aucune mesure ne garantit la protection des salariés concernés, alors le refus apparaît plus justifié.
  3. Proportionnalité : Le juge examine si l’employeur ne fait pas preuve d’excès. Toute décision de non-réintégration doit viser la stricte prévention du harcèlement sexuel, et non la résorption d’un simple conflit ou d’une hostilité envers le représentant du personnel.

Recommandations pour l’employeur et le salarié

Dans un contexte où le refus d’autorisation de licenciement aurait imposé une reprise du poste, l’employeur cherchant à s’y opposer devra constituer un dossier factuel complet :

  • Collecter des témoignages circonstanciés.
  • Justifier la disproportion entre la gravité des faits reprochés et la pure et simple réintégration.
  • Démontrer qu’il a envisagé d’autres aménagements possibles (mutation, mesures conservatoires).

Le salarié, pour sa part, pourra faire valoir le caractère exagéré, voire infondé, des accusations. Il lui appartiendra alors de prouver que l’employeur instrumentalise une présomption de harcèlement sexuel à des fins de sanction illégitime du mandat représentatif. Les juges du fond évaluent l’hypothèse de la discrimination liée à l’exercice du mandat, puisqu’il demeure essentiel de défendre la légitimité des représentants du personnel.

Conclusion

La problématique du salarié protégé et du harcèlement sexuel conduit à un arbitrage délicat entre protection renforcée et prévention du risque pour les autres salariés. Les récentes décisions de la Cour de cassation montrent que l’employeur peut légitimement refuser la réintégration lorsque les circonstances laissent craindre que la présence du salarié n’expose autrui à un danger ou une atteinte à la dignité. Toutefois, une telle attitude exige un haut degré de preuve, ainsi qu’un contrôle de proportionnalité. L’office du juge consiste alors à départager si l’entreprise agit réellement en vertu de l’article L4121-1 du code du travail, ou si elle cherche à contourner l’obligation de réintégration attachée à l’annulation du licenciement. Cette évolution reflète le renforcement de l’idée selon laquelle, même dans le cadre protecteur du mandat, le harcèlement sexuel demeure un comportement qui ne saurait être toléré en entreprise, au nom de la sécurité et du respect de tous.

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