L’article 132-8 du Code de Commerce est rédigé comme suit:
« La lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite.
Le voiturier est celui qui réalise l’opération de transporteur terrestre.
Ce texte extrêmement controversé est un cadeau fait par Monsieur GAYSSOT, alors, ministre des transports à ses anciens camarades, ce dernier venant du monde du transport.
Le but : permettre aux petits transporteurs routiers de recouvrer le prix de leur transport à l’encontre de toute la chaîne de transport, du commissionnaire de transport au destinataire final, même si ces derniers avaient déjà payé les frais de transport.
Cette action en justice est extrêmement mal vécue par les défendeurs à chaque affaire, et un Conseiller des Tribunaux de commerce avait ouvertement critiqué cet article devant moi, m’indiquant que si je n’étais pas content, il m’appartenait d’aller en Cour d’Appel.
Un autre, manifestement rebuté par le nombre de lettre de voiture versées aux débats m’a demandé sous peine de débouté, divers documents comptables que la loi ne prévoyait pas….
Pourtant, cette disposition est très utile aux transporteurs.
Ces derniers doivent produire :
Un ordre de prise en charge adressé par le client
Une lettre de voiture qui est le document retraçant la réalité du transport, et la bonne réception du colis par le destinataire.
La facture correspondant aux opérations de transport.
Et enfin, une éventuelle mise en demeure
Cette mise en demeure est très importante en matière de transport international, sachant qu’au regard de la Convention de Genève sur les opérations de transport, elle interrompt la prescription qui est de 18 mois, à compter du 6ème mois après l’opération de transport.
En revanche, les transports nationaux se prescrivent par un an, et seule une assignation interrompt la prescription.
La nature de l’action directe du transporteur.
Ce régime n'est pas très clair
Une simple lecture de l'article L 132-8 du Code de Commerce ne permet pas de déterminer avec évidence la nature et le régime de l'action dont bénéficie le voiturier.
S'il est pourtant un texte qui a suscité beaucoup d'interrogations de la doctrine, qui n'hésita pas à parler d'« erreur de rédaction » et de texte sibyllin, c'est bien l'article L132-8 du Code de Commerce.
La raison en est notamment que le fondement de cette action, tel qu'il est prévu par la loi, se trouverait dans deux mécanismes, celui de l'action directe et celui de la garantie, dont l'incompatibilité a souvent été soulignée. (Ph. Delebecque, Loi du 6 février 1998 : amélioration des conditions d'exercice de la profession de transporteur routier : D. affaires 1998, p. 870 ; B. Petit, Les transports : JCP E 1999, p. 712 ; Ch. Jamin, Chron. législ. : RTD civ. 1998, p. 503 ; M. Tilche, Action directe : 3 moyens de se faire payer : BTL 1998, p. 276 )
L'article L132-8 du Code de Commerce n'est pas une « action directe ».
Les décisions de la cour de cassation utilisant l'expression « action directe » ne sont pas très pertinentes.
Un tel mécanisme ne peut justifier l'action en paiement du transporteur contre l'expéditeur ou le destinataire.
En effet, la personne actionnée n'est pas toujours le débiteur du débiteur du prix du transport. Surtout, l'objet de l'action n'est pas le paiement de la dette du tiers actionné, mais celui d'une créance personnelle du transporteur.
Aussi, l'utilisation de l'expression "action directe" dans les décisions de la Cour de Cassation ne correspond donc pas au sens juridique qui lui est traditionnellement attribué.
Elle ne peut se comprendre que pour faire transparaître l'idée d'un mode de paiement simplifié.
De la même façon, il n'y a pas lieu de considérer le terme « garant » dans son acception juridique.
Nul doute en effet que l'article L132-8 instaure une solidarité passive légale au terme de laquelle le transporteur bénéficie d'une garantie contre les impayés.
1- La solidarité résulte tant du texte que de l'esprit de la loi.
« La lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite.
C'est la première partie du texte qui justifie cette position, le contrat est formé entre les quatre parties dont les obligations sont nécessairement réciproques et solidaires (CA Paris : BTL 2002, p. 109 et p. 404. - T. com. Paris 5 juin 2003 : BTL 2003, n° 2994, p. 494).
La seconde partie du texte, en ce qu'elle mêle tour à tour les notions d' « action directe » et de « garantie » ne vise qu'à révéler l'esprit de la loi qui, lui, est clair : permettre au voiturier d'obtenir un paiement en tout état de cause. Il s'agissait bel et bien de créer une relation directe entre le voiturier et les parties au contrat de transport.
L'utilisation de« a ainsi » exprime l'idée que le rôle de « garant » attribué aux destinataires et expéditeur est une conséquence de la solidarité passive instaurée par le législateur.
En faisant d'eux des débiteurs solidaires au sens de l'article 1206 du Code Civil, le voiturier ne bénéficie-t-il pas d'une garantie supplémentaire d'être payée?
Cette position est soutenue par une partie de la doctrine qui estime que: « "c'est la solidarité passive qui répond le mieux à la définition et à l'économie du contrat de transport. En effet, tels que sont décrits les codébiteurs solidaires, il s'agit de deux ou plusieurs personnes qui ont un intérêt commun pour une opération. C'est bien le cas des parties au contrat de transport, le destinataire étant au moins aussi intéressé au contrat que l'expéditeur, et ceci même si l'article 101 du Code de commerce n'avait pas été modifié. Au pire pourrait-on utiliser l'approche particulière de la solidarité, regardant le destinataire comme un codébiteur solidaire adjoint" Vallansan, La grande distribution et le paiement du prix du transport : JCP E 2000, p. 1420
2- La qualification de codébiteurs solidaires se retrouve naturellement dans la jurisprudence de la Cour de Cassation, mais également dans celle des Juges du fond.
L’« action directe » est possible dès l'instant où la créance est certaine, liquide et exigible, et est restée impayée par le débiteur.
Nul besoin de démontrer la défaillance avérée de ce dernier ni même de justifier lui avoir adressé une mise en demeure de payer restée infructueuse.
La cour de cassation consacre l'absence de subsidiarité rappelant que le transporteur qui agit contre le destinataire garant du paiement de sa créance peut l'obliger à s'exécuter sans avoir à poursuivre le débiteur principal préalablement. (Cass. com., 4 févr. 2003 ; Bull. civ. 2003, IV, n° 16)
C’est encore la solidarité passive légale qui a conduit la Cour à dire que même lorsqu’il n’a pas déclaré sa créance au passif de son client, le transporteur ne perd pas son droit d’action directe contre le destinataire. (Cass. Com 17 décembre 2003; Cass. com., 28 janv. 2004, pourvoi n° 02-13912)
On rappellera pourtant que la faveur que représente l'extinction pour défaut de déclaration est exclusivement réservée à la caution, à raison du caractère accessoire de son engagement.
La partie adverse peut en déduire, et nous avec elle, que le destinataire n'est pas une caution solidaire.
Cette faveur est par contre refusée au codébiteur solidaire!(V. Cass. com., 19 janv. 1993 : Bull. civ. 1993, IV, n° 25 ; JCP G 1993, II, 22056, et JCP E 1993, II, 411, note Pétel ; D. 1993, p. 331, note Honorat et Patarin ; Defrénois 1993, art. 35616, p. 1045, obs. Derrida, et art. 35631, p. 1220, obs. Sénéchal ; RTD civ. 1993, p. 581, obs. Mestre. – Cass. 1re civ., 17 nov. 1993 : Bull. civ. 1993, I, n° 335 ; JCP G 1994, IV, 149 et 150 ; D. 1994, somm. p. 214, obs. Delebecque ; Defrénois 1994, art. 35891, p. 1122, obs. D. Mazeaud. – Cass. com., 14 mars 2000 : RD bancaire et fin. mars-avr. 2000, n° 68, obs. F.-X. Lucas ; RJDA 6/2000, n° 691)
Le voiturier n'a pas à déclarer préalablement sa créance au passif du donneur d'ordre (Cass. Com, 17 déc 2003)
En cas de déclaration de créance au dit passif, l'effet interruptif de prescription qui y est attaché, vaut également à l'égard de l'action contre le destinataire.
Cette raison est que le destinataire est un codébiteur solidaire!
C'est ce raisonnement qu'ont tenu les Juges du fond. La Cour d'Appel de Paris se prononçant en en faveur de l'interruption de la prescription conformément à l'article 1206 du Code Civil (CA Paris, 5e ch. B, 27 sept. 2006, n°04/16037, Carrefour France c/ Sopadi, Lamyline).
Cette appréhension nouvelle est par ailleurs aujourd'hui confirmée par la cinquième chambre, section A (CA Paris, 5e ch. A, 26 sept. 2007, n° 05/15118, La Selafa c/ Auchan France, BTL 2007, p. 671).
Cet article, pour choquant qu'il puisse paraître et pour batard qu'il puisse paraître quant à sa nature juridique demeure toutefois d'actualité, et n'a pas été modifié.