La tentative de sauvetage des insuffisances de ce décret par l’utilisation du délit de mise en danger par ce procureur ne trompera que le contrevenant et échappera peu de temps au principe de légalité des délits et des peines.
Je suis convaincu qu’au vu de cette sagacité pour justifier des gardes à vue (on ne pas peut mettre en garde à vue pour des contraventions mais que pour des crimes et délits), le Procureur n’est pas dupe des limites de cette astuce juridique.
I) LE DECRET DU 17 MARS 2020 A L’EPREUVE DU PRINCIPE DE LEGALITE DES DELITS ET DES PEINES
En effet, on ne peut fixer de sanction pénale (amendes) sans créer préalablement une incrimination (délit ou contravention)
Il semble donc que notre ministre ait mis « la charrue avant les bœufs » en prenant le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19
La création et la définition d’une infraction de violation de l’obligation de confinement, me semble-t-il a été oubliée.
Si le réglement détermine bien les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contrevenants, le dit décret ne précise pas la sanction dans le texte.
Certes, un texte est venu compléter le caractère de contravention de 4ème classe et les sanctions qui ont été aggravées en moins de 24 heures (38 à 135,00 €) ce qui pose un souci en terme de sécurité juridique.
L'article R 610-1 du code pénal qui précise que
Les contraventions, ainsi que les classes dont elles relèvent, sont déterminées par décrets en Conseil d'Etat.
Vous avez raison de m'avoir ainsi poussé à faire preuve de plus de rigueur, je ne suis pas allé assez loin.
Je précise donc
Pour qu'une peine pénale soit valide au regard du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, du principe de la prévisibilité juridique, il faut que les éléments d'incrimination soient précis et permettent de définir exactement l'infraction poursuivie.
Regardons le texte
4°"Déplacements pour motif familial impérieux" : c'est quoi un motif "impérieux" ? ma cousine à mal à la tête. puis-je aller lui donner un aspirine ? Ma belle-mère a mal aux jambes, puis-je aller lui donner un coup de main pour l'aider à se lever ? ma petite amie (avec laquelle je suis pacsé - donc famille) a mal dans le bas du dos ; puis-je aller lui faire un bon massage de cet endroit là ?
5°"Déplacements brefs, à proximité du domicile" : "bref", combien de temps ? 10 minutes, 15 minutes, 20 minutes ? "à proximité" combien de mètres ? 3 ? 150 ? 200 ? 1 km ? 10 km ?
2° "achats de première nécessité" : de la farine ? du sucre ? du papier hygiènique? La police va t elle vérifier les cabas de course?
En fait le texte ne permet pas de déterminer un seul des critères énoncés...donc le texte d'incrimination est manifestement contraire aux principes énoncés plus haut, donc inapplicable.
Je craignais le fâcheux ;) qui viendrait me contredire(on trouve toujours plus fort que soi), toutefois, je me dois de vous remercier de m'avoir aidé à perfectionner ce texte puisque je vais y intégrer
En définitive, merci beaucoup et bon week end
La violation de cette obligation de respecter le confinement est désormais passible d’une amende de 135,00 €
Or, pour infliger une sanction pénale, il faut une infraction préexistante et l’amende est une sanction pénale.
Cette infraction doit être créée par une loi et un simple décret me paraît insuffisant, ce n’est pas une loi ni une ordonnance habilitant le gouvernement à légiférer.
Cela, en vertu de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.
L’article 7 de la convention européenne des droits de l’homme ne dit as autre chose.
Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international.
La seule base juridique à cette contravention me semble être de ce décret qui dispose en son article 1er que
Afin de prévenir la propagation du virus covid-19, est interdit jusqu'au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile à l'exception des déplacements pour les motifs suivants, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes :
1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés ;
2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique ;
3° Déplacements pour motif de santé ;
4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance des personnes vulnérables ou pour la garde d'enfants ;
5° Déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie.
Les personnes souhaitant bénéficier de l'une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d'un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l'une de ces exceptions.
Le pouvoir de Police dévolu au Préfet est certes large mais reste limité à la fonction de police administrative (réglementation, prospective) et non judiciaire (constatation des infractions).
Si un spécialiste en droit administratif me trouve un autre fondement, je l’en remercie.
II) LE DELIT DE MISE EN DANGER AU PERIL DU PRINCIPE DE LEGALITE
L’article 223-1 définit clairement le délit de mise en danger délibéré de la vie d’autrui.
C’est le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement »
Toutefois, la jurisprudence a balisé cette infraction en rappelant des principes essentiels de notre droit.
Un élément intentionnel (article 121-3 du code pénal) qui dit que la personne doit savoir qu’elle commet une infraction.
Et tout comme pour le recel, le texte insiste particulièrement sur le caractère délibéré de la violation.
Pour cela, il faut que le danger soit certain et imminent.
La Cour de Cassation a rajouté l’exigence qu’un texte législatif ou réglementaire doit poser l’obligation de sécurité.
Cour de Cassation, Criminelle, 18 mars 2008, pourvoi n° 07-83067.
On trouve ce délit à tous les étages de la société aujourd’hui et il semble qu’il risque de connaître une vigueur insoupçonnée.
- Dans la France d’en haut, des médecins ont déposé plainte contre certains ministres et le premier ministre sous cette qualification
- Concernant la France d’en bas, les vacanciers COVID 19 qui se sont égaillés dans nos vertes provinces ou nos parcs.
La France d’En haut
Deux périodes sont à distinguer : avant le confinement et après.
Avant le confinement, Il faudra démontrer que les Ministres étaient informés de la situation réelle de la pandémie et qu’une obligation légale ou réglementaire n’aura pas été respectée.
Selon ce que les médias disent (les seuls éléments du dossier dont je dispose comme tout le monde), il y aurait eu une débudgétisation des masques bien avant l’arrivée de ce gouvernement, ce qui tendrait à expliquer la situation de pénurie qui nous paraît plus criminelle à ce jour.
Toutefois, paraître n’est pas être.
Si aucun danger n’existait lors de cette funeste décision, on ne pourra pas le reprocher juridiquement au décideur de cette restriction.
La fenêtre de tir de la qualification s’en trouve temporellement réduite à la période ouverte par l’apparition du COVID 19 en Chine, en Iran puis en Italie.
Selon les déclarations de madame Agnès BUZYN, la gravité serait devenue mesurable dès janvier 2020 date à laquelle, elle indique avoir averti le premier ministre pour prendre les dispositions nécessaires et suspendre les élections municipales.
Si ouverture d’information par un juge d’instruction il devait y avoir, la période de prévention serait très probablement ouverte de décembre 2019 jusqu’en mars 2020 pour pouvoir analyser ce qui s’est passé dans la chaîne de commandement.
Cette période à priori courrait jusqu’au discours à la Nation dans lequel le Président nous informait des mesures de confinement.
Il est probable qu’elle pourrait être ramenée à plus tôt, sachant que le gouvernement a probablement pris des précautions auparavant pour préparer l’état d’urgence sanitaire même si les effets d’une impréparation totale se révèlent à l’usage (insuffisance des masques pour les soignants ou encore pour les policiers).
Le temps judiciaire n’est pas le temps des médias.
Des mises en examen seront très probables, sachant que les faits qui apparaissent sont des indices graves et concordants.
En revanche, les indices graves et concordants ne sont pas des preuves et on ne peut encore préjuger du reste, sachant qu’on n’a pas les éléments sur les mesures prises par les dirigeants avant la déclaration du Président.
Des mauvais choix stratégiques ne seront pas non plus nécessairement sanctionnés sachant que prévoir l’avenir est compliqué face à une situation aussi inédite.
En revanche, des abstentions alors qu’un lanceur d’alerte aura prouvé avoir averti le décideur seront plus dangereuses.
C’est une infraction où le « ne rien faire » sera plus condamnable que le mal faire.
On ne peut donc préjuger de la prévisibilité de condamnations dans quelques années, le temps de l’instruction judiciaire étant loin d’être celui de l’urgence qui prévaut actuellement.
L’histoire le dira.
La période prise après le confinement me semble plus dangereuse.
On a tous entendu les cris d’alarme des médecins et maintenant des policiers sur l’absence de masques ou de la fourniture de masques inadaptés à la situation.
Le Ministre de l’intérieur à cet égard regrettera longtemps sa phrase selon laquelle il a dit que les masques n’étaient pas obligatoires pour les policiers, sachant qu’en sa qualité d’employeur il dispose d’une obligation légale de sécurité.
Les demandes aux policiers de ne pas mettre de masques si elles sont avérées seraient un acte positif de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, en les exposant en conscience au risque de contamination.
Le cafouillage imputable au caractère inconnu de cette pandémie risque donc de les exposer à rencontrer ceux qu’ils ont dénoncé pour leur imprudence pour les mêmes raisons juridiques.
La sévérité sera donc d’autant plus mal vécue par la France d’en bas à qui on n’aura pu reprocher que quelques jours de retard et non des mois.
Les estivants du mois de mars
Qui n’a pas entendu les rodomontades de nos dirigeants contre les « imbéciles » (selon notre ministre de l’intérieur) qui vont se balader pour profiter de l’arrivée des beaux jours ou encore de ceux qui désertent la capitale pour rejoindre des lieux plus hospitaliers sous le regard circonspect des autochtones.
Le texte fixant l’obligation de sécurité existe, ainsi, la violation de l’obligation de sécurité existe.
Le décret du 17 mars 2020 pour le coup, pourrait servir de base à la qualification, un règlement suffisant pour établir l’obligation de sécurité préexistante.
En revanche, la connaissance du danger sera probablement très discutée concernant les premiers prévenus.
Tout le monde n’était pas obligé de croire le Président de la République et les médias sur parole à ce moment-là.
Il n’a par ailleurs échappé à personne que l’audience du journal officiel de la République Française où les lois apparaissent n’a pas le même tirage qu’un quotidien régional ni l’audience de BFM TV….
En outre, ainsi que précisé plus haut, la légalité des amendes dressées sur les contrevenants me parait douteuse, sachant qu’il faut une loi pour créer une infraction.
Une infraction pour asseoir une sanction pénale et qu’il est à parier que l’exception d’illégalité soit soulevée sur ces amendes.
Sur la violation délibérée, là encore, l’élément intentionnel semble faire défaut.
Je souhaite du courage au Procureur chargé de requérir contre ces estivants du mois de mars
Ils auront beau jeu de soulever que le gouvernement a mis des mois pour prévoir l’ampleur de ce désastre inédit et qu’on ne peut leur reprocher d’avoir tardé de quelques jours pour mesurer l’ampleur du danger.
En revanche, au fil du temps et des messages de prévention, il est à parier que la jurisprudence des tribunaux sera plus sévère.
Au-delà de l’indignation et de la dictature de l’émotion, demeure le droit qui a notamment en charge de freiner les passions, un texte adopté dans la précipitation et une qualification interprétée largement ne résisteront pas à l’examen judiciaire dans la sérénité d’une salle d’audience.
En effet, même en comparution immédiate, on fait encore du droit, même si ce n’est pas toujours facile.
De cette urgence legislative me vient en mémoire la phrase d'un ancien premier ministre qui disait que c'est dans la précipitation que l'on perd du temps....