L’essor des cryptomonnaies et des technologies associées, telles que la blockchain, a entraîné des réponses législatives variées à travers le monde. Cet article analyse les principaux régimes juridiques applicables aux cryptomonnaies en distinguant les approches adoptées par différents pays, en mettant en avant les spécificités techniques, les références juridiques précises et les implications pratiques.
1. Union Européenne : vers une harmonisation législative
L’Union européenne (UE) a adopté le règlement (UE) 2023/1114 sur les marchés de crypto-actifs, connu sous le nom de MiCA (Markets in Crypto-Assets). Ce cadre juridique repose sur plusieurs piliers clés :
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Classification des actifs numériques :
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Article 3 : distingue les "jetons utilitaires", les "jetons adossés à des actifs" (asset-referenced tokens) et les "jetons monétaires électroniques" (e-money tokens).
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Les stablecoins (article 40) doivent maintenir des réserves équivalentes à leur valeur de marché et faire l’objet d’audits réguliers.
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Obligations des émetteurs :
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Articles 6 à 11 : les émetteurs doivent publier un "whitepaper" contenant des informations techniques, financières et juridiques détaillées, et le soumettre à l’autorité compétente.
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Exigences pour les PSAN (prestataires de services sur actifs numériques) :
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Articles 59 à 63 : les PSAN doivent obtenir un agrément, respecter les règles de lutte contre le blanchiment d’argent (directive AMLD5), et garantir la protection des portefeuilles numériques.
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2. États-Unis : une mosaïque de régulations
Le cadre réglementaire américain est fragmenté, avec des responsabilités réparties entre diverses agences fédérales et étatiques :
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Supervision par la SEC (Securities and Exchange Commission) :
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La SEC applique le test de Howey (arrêt Howey, 328 U.S. 293, 1946) pour déterminer si un actif numérique est une "security". Les émetteurs doivent se conformer au Securities Act de 1933 pour les offres publiques.
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Rôle de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) :
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La CFTC considère le Bitcoin et l’Ether comme des "commodities" au sens du Commodity Exchange Act (CEA). Elle supervise les marchés dérivés, tels que les futures et options.
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Initiatives étatiques :
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Le Wyoming a adopté la Digital Asset Law (2020), qui reconnaît juridiquement les DAO (Decentralized Autonomous Organizations) et autorise la création de banques spécialisées dans la garde des actifs numériques, comme les Special Purpose Depository Institutions (SPDI).
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3. Asie : un contraste entre interdiction et innovation
Chine
La Chine maintient une approche stricte, avec des bases juridiques explicites :
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En septembre 2021, la Banque populaire de Chine (BPC) a interdit toutes les transactions en cryptomonnaies par avis conjoint (Notice [2021] No. 237).
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Le yuan numérique (DCEP) est soutenu par la loi sur la Banque populaire de Chine, révisée en 2020, qui consacre son rôle central dans l’émission de monnaies numériques.
Japon
Le Japon a mis en place une réglementation avancée basée sur la Payment Services Act (PSA) :
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Les plateformes doivent être enregistrées auprès de la Financial Services Agency (FSA) et respecter des exigences strictes en matière de protection des utilisateurs et de capitalisation (article 63-11 PSA).
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Les stablecoins sont régis par la loi sur les institutions de dépôt modifiée en 2022.
Singapour
Singapour utilise la Payment Services Act (2019) pour encadrer les cryptomonnaies :
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Les prestataires doivent obtenir une licence auprès de la Monetary Authority of Singapore (MAS), avec des obligations de LCB-FT (section 23 PSA).
4. Amérique Latine : entre adoption massive et flou juridique
Salvador
Le Salvador a adopté la loi Bitcoin (Ley Bitcoin, 2021), qui établit des obligations spécifiques :
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Article 7 : les entreprises doivent accepter le Bitcoin comme moyen de paiement, sauf impossibilité technique.
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Un fonds de stabilisation géré par BANDESAL assure la conversion Bitcoin/USD pour les commerçants.
Brésil
La loi 14.478/2023 encadre les actifs numériques :
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Article 6 : les prestataires doivent s’enregistrer auprès de la Banque centrale du Brésil ou de la CVM (équivalent de la SEC) selon la nature de l’actif.
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La loi prévoit également des sanctions pour les violations, définies dans son chapitre V.
5. Afrique : une régulation embryonnaire
Nigeria
Le Nigeria combine interdiction et innovation :
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La circulaire CBN/GEN/DIR/01/027 interdit les transactions en cryptomonnaies via les institutions financières (2021).
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L’eNaira, créé sous le cadre de la loi de 2007 sur la Banque centrale du Nigeria, vise à moderniser les paiements numériques.
Afrique du Sud
En 2022, l’Afrique du Sud a modifié le Financial Advisory and Intermediary Services Act (FAIS Act) :
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Les cryptomonnaies sont classées comme "produits financiers", soumis aux exigences d’enregistrement auprès de la FSCA.