La compétence universelle est l'un des principes les plus puissants et innovants du droit pénal international. Elle permet à tout État d'exercer sa juridiction sur certains crimes graves, indépendamment du lieu où ces crimes ont été commis ou de la nationalité de l'auteur ou de la victime. En d’autres termes, un État peut poursuivre et juger des individus accusés de crimes internationaux, même si ces crimes n'ont aucun lien direct avec cet État. Ce principe est principalement utilisé pour lutter contre l'impunité des auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide.
Cet article explore la compétence universelle en droit pénal international, son fondement juridique, ses implications, les mécanismes de sa mise en œuvre, ainsi que les défis qu’elle pose tant sur le plan juridique que politique.
1. Définition et Principes Fondamentaux de la Compétence Universelle
La compétence universelle repose sur l'idée que certains crimes sont d'une telle gravité qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale, et qu'aucun État ne devrait permettre à leurs auteurs d’échapper à la justice, peu importe où ces crimes ont été commis. Ce principe est basé sur un consensus mondial qui considère certains crimes comme des infractions universelles dont l’impact dépasse les frontières nationales.
Les crimes qui entrent sous le régime de la compétence universelle incluent :
- Le génocide,
- Les crimes contre l’humanité,
- Les crimes de guerre,
- La torture,
- Les actes de terrorisme international, dans certains cas.
Le fondement de la compétence universelle est souvent associé à l’idée que ces crimes constituent une menace pour l’humanité dans son ensemble et justifient ainsi une action pénale au-delà des juridictions nationales.
2. La Base Juridique de la Compétence Universelle
La compétence universelle est régie par plusieurs instruments internationaux, qui établissent la légitimité de cette compétence en droit pénal international. Parmi ces instruments, on peut citer :
a. Les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels
Les Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels définissent clairement les crimes de guerre et imposent l'obligation aux États de poursuivre et de juger les auteurs de tels crimes. L’Article 49 de la IVe Convention de Genève stipule qu’un État doit rechercher les responsables de violations graves de la convention, y compris des crimes de guerre, même si ces crimes ont été commis sur le territoire d’un autre État.
b. Le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI)
Bien que la Cour pénale internationale (CPI) n'exerce pas une compétence universelle directe, elle constitue un exemple clé de l'application de principes universels dans la poursuite des crimes graves. En vertu de l’Article 12 du Statut de Rome, la CPI peut exercer sa compétence sur des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, et du génocide, même si le crime a été commis en dehors de la compétence territoriale de l’État partie.
c. Les Traités relatifs à la Torture
Le Traité contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984, ratifié par la majorité des États, permet à tout État d'exercer la compétence universelle sur les auteurs de torture, même si l'infraction a été commise en dehors de son territoire. L’Article 5 de la Convention contre la torture dispose qu’un auteur présumé de torture doit être jugé par l’État où il se trouve, quelle que soit la nationalité de l’auteur ou de la victime.
d. La Législation nationale sur la Compétence Universelle
Certains États ont intégré la compétence universelle dans leur droit interne, en vertu de leur obligation de poursuivre certains crimes graves. Par exemple, la Belgique, l’Espagne et la France ont adopté des lois qui leur permettent de juger des individus accusés de génocide ou de crimes de guerre, même si ces crimes ont été commis à l'étranger, à condition que les accusés se trouvent sur leur territoire.
3. La Mise en Œuvre de la Compétence Universelle
L’application de la compétence universelle par un État nécessite plusieurs étapes procédurales :
a. L'Arrestation de l'Accusé
Lorsque l’accusé se trouve sur le territoire d'un État qui exerce la compétence universelle, cet État peut procéder à son arrestation, même si le crime n’a pas été commis sur son propre territoire. L'arrestation peut se faire sur la base d'un mandat d'arrêt international ou d’une demande de coopération d'un autre État ou d’une organisation internationale (par exemple, l’ONU ou la CPI).
b. L'Extradition ou la Jugabilité sur le Territoire de l'État
Une fois l'accusé arrêté, l'État peut soit procéder à son extradition vers un pays où il pourrait être jugé, soit exercer sa propre compétence et organiser un procès sur son territoire. En cas d'extradition, certains États exigent des garanties qu’un procès équitable sera mené dans le pays demandeur, ou qu’une peine de mort ne sera pas infligée.
c. Le Jugement et la Poursuite
Une fois l’accusé en possession des autorités judiciaires, un procès peut être entamé. L'État devra respecter les normes du droit international, garantissant un procès équitable et transparent. L'État qui exerce la compétence universelle peut choisir de juger l'individu selon les lois nationales ou selon les principes du droit international, en fonction de la gravité du crime et du contexte.
4. Les Défis et Controverses de la Compétence Universelle
Bien que la compétence universelle soit un instrument puissant pour lutter contre l’impunité, elle soulève plusieurs problématiques juridiques, politiques et diplomatiques :
a. Le Conflit avec la Souveraineté des États
L’un des principaux défis de la compétence universelle est qu’elle peut entrer en conflit avec le principe de souveraineté nationale. Certains États estiment qu'ils doivent avoir le contrôle exclusif sur les affaires judiciaires internes, et que l'intervention d'un autre État dans le système judiciaire national viole leur souveraineté. Ce dilemme est souvent mis en évidence lorsque des dirigeants ou des responsables d’État sont poursuivis sous le principe de compétence universelle.
b. L'Immunité des Chefs d'État et des Responsables Diplomatiques
Un autre obstacle majeur réside dans la question de l'immunité des chefs d'État et des responsables diplomatiques. Traditionnellement, les chefs d’État jouissent de l’immunité de juridiction pour les actes qu’ils accomplissent en vertu de leurs fonctions officielles. Cependant, cette immunité est contestée lorsqu'il s'agit de crimes internationaux graves tels que le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
c. Les Risques d’Abus Politique
La compétence universelle peut parfois être utilisée à des fins politiques. Par exemple, des poursuites judiciaires peuvent être engagées contre des individus considérés comme des ennemis politiques d’un État, ce qui peut créer des tensions diplomatiques entre États. L’utilisation de cette compétence à des fins politiques soulève des préoccupations concernant la neutralité et l’équité des procédures judiciaires.
d. La Difficulté d’Exécution et de Coopération Internationale
La mise en œuvre de la compétence universelle peut être entravée par le manque de coopération internationale. La coopération entre États, notamment en matière d’arrestation et d’extradition, est essentielle pour que la compétence universelle soit efficace. Sans une coopération solide, la mise en œuvre du principe peut échouer. De plus, certains États peuvent résister à l'extradition de suspects, invoquant des préoccupations relatives à l'équité du procès ou aux peines encourues.