Le droit pénal international est un domaine du droit qui vise à lutter contre l’impunité des auteurs de crimes graves, tels que les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide. Il repose sur l'idée que certaines infractions transcendent les frontières nationales et que leur persécution est d'intérêt universel. Cependant, l'application du droit pénal international rencontre de nombreux obstacles, notamment des défis géopolitiques qui compliquent son efficacité. Ces défis sont liés aux rapports de pouvoir entre les États, aux intérêts nationaux, à la politique internationale, ainsi qu'à la question de la souveraineté des États face aux impératifs de justice internationale.
Cet article se propose d'explorer les principaux défis géopolitiques auxquels le droit pénal international est confronté, en analysant l’interaction complexe entre la justice internationale et les réalités géopolitiques mondiales.
1. La Souveraineté des États vs. L'Autorité de la Justice Internationale
L’un des défis majeurs auxquels le droit pénal international se heurte est la tension entre la souveraineté des États et la juridiction de la Cour pénale internationale (CPI) et autres tribunaux internationaux. Le droit international consacre le principe de souveraineté des États, qui leur accorde une autorité exclusive sur leurs territoires. Cependant, ce principe entre souvent en conflit avec les objectifs du droit pénal international, qui vise à garantir que les auteurs de crimes graves soient jugés et que la justice soit rendue, indépendamment des frontières.
a. Les États réticents à la coopération avec la CPI
Le Statut de Rome (1998), qui a établi la CPI, a été ratifié par plus de 120 pays, mais certains États, principalement les grandes puissances, n'ont pas adhéré au traité ou ont exprimé leur réticence à coopérer avec la Cour. Par exemple, des pays comme les États-Unis, la Chine, la Russie et l'Inde n'ont pas ratifié le Statut de Rome. D’autres pays, comme le Soudan, ont refusé d'exécuter les mandats d'arrêt émis contre leurs dirigeants, comme dans le cas d'Omar al-Bashir, ex-président du Soudan, contre lequel la CPI a émis un mandat d'arrêt pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Cette réticence à la coopération met en lumière le dilemme central du droit pénal international : la justice universelle se heurte à des considérations politiques et à la souveraineté des États qui sont parfois réticents à se soumettre à une juridiction internationale.
b. Les exceptions à la souveraineté nationale
Les tribunaux internationaux, comme la CPI, sont parfois contraints d’agir dans des situations où l’État concerné est réticent à traduire en justice ses propres citoyens. L’un des exemples les plus notables est la Côte d'Ivoire, où Laurent Gbagbo, l’ancien président, a été poursuivi par la CPI pour des crimes contre l’humanité après les violences liées aux élections de 2010. Toutefois, Gbagbo a été acquitté en 2019, soulevant des questions sur l'efficacité de l'interface entre le droit pénal international et les réalités internes des États.
2. La Politisation du Droit Pénal International : Un Défi Géopolitique Constant
La politisation de la justice pénale internationale est l'un des obstacles géopolitiques majeurs à son efficacité. L’influence des grandes puissances sur les institutions internationales joue un rôle crucial dans la façon dont les procès sont menés et dans le choix des affaires à poursuivre. Les grandes puissances, comme les États-Unis, la Russie et la Chine, ont parfois été accusées de manipuler le droit pénal international en fonction de leurs intérêts géopolitiques.
a. Le double standard dans les poursuites internationales
Un exemple de politisation du droit pénal international est le biais perçu de la CPI. De nombreux pays africains ont exprimé des critiques selon lesquelles la CPI se concentrerait disproportionnellement sur l'Afrique, en poursuivant principalement des dirigeants et des groupes africains, tout en laissant de côté des crimes commis par des puissances occidentales ou d'autres acteurs internationaux. Cette critique s’est intensifiée après les enquêtes sur les crimes commis en République Démocratique du Congo (RDC), en Centrafrique et dans d’autres États africains.
Cette situation a créé un fossé de méfiance entre l’Afrique et la CPI, avec certains pays qui ont annoncé leur intention de se retirer du Statut de Rome. L'absence de poursuites contre des figures politiques occidentales, notamment en ce qui concerne des conflits comme la guerre en Irak en 2003, a renforcé cette perception d’un double standard.
b. La question de l’immunité des dirigeants
Un autre aspect de la politisation du droit pénal international est la question de l’immunité des chefs d’État. Traditionnellement, les chefs d’État jouissent d’une forme d’immunité dans leur propre pays, et même au niveau international, l'immunité diplomatique leur confère une certaine protection contre les poursuites. La CPI a cependant affirmé que l’immunité ne protège pas les dirigeants des poursuites pour des crimes graves de droit international, mais cette position est contestée par certains pays, qui estiment que les dirigeants d'États souverains devraient être protégés contre les accusations en raison de leur statut.
3. La Sélection des Cas et la Crise de Légitimité
L'un des défis géopolitiques les plus notables en droit pénal international est la question de la sélection des cas. La CPI est souvent critiquée pour son incapacité à enquêter sur tous les conflits de manière égale, et pour la sélectivité de ses enquêtes, ce qui soulève des préoccupations sur sa légitimité en tant qu'institution impartiale.
a. La crise de légitimité de la CPI
L'Arabie saoudite, par exemple, n'a pas été poursuivie par la CPI malgré les violations de droit international humanitaire présumées dans sa guerre au Yémen. Cette absence d’enquête a été perçue comme une manifestation de la faiblesse de la CPI à enquêter sur les crimes commis par des puissances régionales riches ou influentes. La sélectivité des enquêtes a donc alimenté des critiques sur la légitimité de la CPI, qui, selon certains observateurs, semble ne juger que les États plus faibles ou les groupes rebelles dans des conflits asymétriques, tout en épargnant les grandes puissances ou les États alliés.
b. Les enjeux géopolitiques dans la sélection des cas
Le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU), composé de cinq membres permanents disposant du droit de veto (les États-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni et la France), joue un rôle majeur dans l’action de la CPI. Cependant, l'utilisation du droit de veto par ces puissances peut bloquer l'engagement de la CPI dans des situations de conflits où leurs intérêts sont en jeu, ce qui constitue un défi majeur pour la neutralité et l'indépendance de la justice pénale internationale.
4. Le Rôle des Organismes Internationaux et la Coopération
La coopération internationale est essentielle pour la mise en œuvre du droit pénal international, mais elle est souvent rendue difficile par des tensions géopolitiques. L’efficacité des tribunaux comme la CPI dépend de la capacité des États à exécuter les mandats d’arrêt, à fournir des preuves et à coopérer pleinement avec les enquêtes internationales. Lorsque les États refusent de coopérer, la CPI se trouve limitée dans sa capacité à juger efficacement les responsables de crimes graves.
a. Les limites de la coopération internationale
Des exemples notables de non-coopération incluent les Émirats arabes unis, qui ont soutenu des gouvernements en guerre, tels que celui de Hadi au Yémen, tout en échappant à l’application de la justice internationale en raison de leur influence régionale. Le manque de coopération de certains pays, notamment les États-Unis et la Chine, avec des institutions comme la CPI a mis en lumière l’impossibilité de rendre une justice véritablement universelle sans une participation active et obligatoire des États puissants.