Les tribunaux spéciaux internationaux jouent un rôle crucial dans le système de justice pénale internationale. Ils sont créés pour traiter des crimes graves commis dans des situations exceptionnelles, souvent dans le cadre de conflits armés ou de régimes autoritaires. Contrairement à des juridictions permanentes comme la Cour pénale internationale (CPI), ces tribunaux sont généralement établis ad hoc pour juger des violations spécifiques du droit international humanitaire ou des droits humains, dans des contextes géopolitiques ou historiques particuliers.
Cet article examine les différents types de tribunaux spéciaux internationaux, leur fondement juridique, leur fonctionnement, leurs exemples significatifs, et les défis qu’ils rencontrent.
1. Définition et Nature des Tribunaux Spéciaux Internationaux
Les tribunaux spéciaux internationaux sont des juridictions créées par un acte de la communauté internationale pour juger des individus accusés de crimes internationaux graves, notamment des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, et du génocide. Ils sont appelés "spéciaux" car ils sont généralement créés pour traiter des situations spécifiques, souvent à la suite de conflits armés ou de crises humanitaires, et ont une durée de vie limitée.
Ces tribunaux diffèrent des juridictions permanentes comme la Cour pénale internationale (CPI), qui a une compétence universelle sur les crimes internationaux. Les tribunaux spéciaux sont souvent formés en réponse à une situation particulière et ont une mission définie dans le temps et l’espace. Ils peuvent être créés par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, un accord entre l'ONU et un État ou une convention internationale.
2. Création et Mandat des Tribunaux Spéciaux
Les tribunaux spéciaux sont créés selon des procédures spécifiques et ont un mandat bien délimité. Leur création dépend généralement de l'accord entre la communauté internationale, représentée par des acteurs comme l'ONU, et les États concernés. En règle générale, leur mandat est axé sur la justice pénale internationale et concerne des violations massives des droits humains et des lois de la guerre, souvent dans des contextes de conflits armés.
a. Le Conseil de sécurité de l’ONU et la création des tribunaux
Les tribunaux spéciaux peuvent être institués par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies. Le Conseil de sécurité peut utiliser ses pouvoirs pour créer des juridictions ad hoc lorsque des menaces à la paix et à la sécurité internationales sont identifiées. Par exemple, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ont été créés par des résolutions du Conseil de sécurité.
b. Accords entre États et l’ONU
Dans certains cas, des tribunaux spéciaux sont créés par des accords bilatéraux ou multilatéraux entre les États et l’ONU. Par exemple, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a été créé à la suite d’un accord entre le Liban et l’ONU pour juger les responsables de l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri en 2005.
3. Exemples de Tribunaux Spéciaux Internationaux
a. Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY)
Le TPIY a été créé par la résolution 827 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en 1993, pour juger les responsables des crimes commis pendant la guerre en ex-Yougoslavie (1991-2001). Le tribunal avait pour mission de poursuivre les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide, qui avaient eu lieu dans cette région. Il a traité des affaires concernant des figures politiques et militaires de premier plan, comme Slobodan Milošević, Radovan Karadžić, et Ratko Mladić.
Le TPIY a eu un rôle pionnier dans le développement du droit pénal international, notamment en matière de génocide, et a établi des précédents importants, comme l’élargissement de la définition du génocide et la reconnaissance de la responsabilité pénale individuelle pour des crimes commis par des dirigeants d'État et des responsables militaires.
Le TPIY a été dissous en 2017, après avoir jugé 161 personnes et rendu 90 jugements. Son héritage est aujourd’hui étudié et intégré dans le fonctionnement de la Cour pénale internationale (CPI).
b. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)
Créé en 1994, à la suite du génocide au Rwanda, le TPIR a été institué par la résolution 955 du Conseil de sécurité de l'ONU pour juger les auteurs du génocide rwandais. Ce tribunal a jugé de nombreux responsables de ce génocide, y compris des dirigeants politiques, militaires et sociaux.
Le TPIR a été pionnier dans l’établissement de la jurisprudence sur le génocide, en particulier sur la définition du génocide et des crimes de guerre dans le cadre des conflits internes. Il a également été le premier tribunal à juger des crimes de viols massifs dans le contexte du génocide. Le TPIR a été fermé en 2015 après avoir jugé 93 accusés et rendu 61 verdicts.
c. Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL)
Créé en 2007 à la suite de l'assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, le TSL est un tribunal hybride, composé à la fois de juges libanais et internationaux. Ce tribunal a été mis en place pour poursuivre les responsables de l'attentat de 2005, mais il a également traité des affaires liées à la sécurité au Liban et à la justice pénale internationale. Le TSL a été un exemple de coopération internationale entre un État et l'ONU dans la création d'un tribunal spécifique à une situation géopolitique particulière.
d. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL)
Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a été créé en 2002, à la suite de la guerre civile sanglante qui a ravagé la Sierra Leone de 1991 à 2002. Le TSSL a été un tribunal hybride, avec des juges nationaux et internationaux, et a jugé des dirigeants des forces rebelles et des responsables militaires du gouvernement pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, y compris le recrutement d'enfants soldats et des violences sexuelles massives.
L’affaire la plus médiatisée a été celle de Charles Taylor, l'ex-président du Libéria, qui a été condamné en 2012 à 50 ans de prison pour son rôle dans les crimes commis en Sierra Leone.
4. Fonctionnement des Tribunaux Spéciaux Internationaux
a. Procédure judiciaire
Les tribunaux spéciaux internationaux suivent des procédures similaires à celles des juridictions nationales et internationales classiques. Le processus comprend la présentation des charges, la phase d’instruction, la présentation des preuves, les audiences et, enfin, le prononcé du jugement.
Les accusés sont jugés par des juges spécialisés, souvent issus de différents systèmes juridiques, garantissant ainsi une approche plus équilibrée. Ils peuvent faire appel des décisions, et les peines prononcées vont de la prison à perpétuité à des peines de prison à terme déterminé.
b. Structure hybride
Certains tribunaux spéciaux, comme le TSSL, sont hybrides, ce qui signifie qu'ils combinent des éléments du système juridique national et international. Ces tribunaux sont souvent créés pour renforcer la capacité des États à juger leurs propres citoyens tout en bénéficiant de l'expertise internationale dans le domaine du droit pénal international.
c. Limitations et défis
Malgré leur rôle crucial, les tribunaux spéciaux rencontrent plusieurs défis :
- L'absence de coopération : De nombreux tribunaux spéciaux ont rencontré des difficultés pour obtenir la coopération de certains États, notamment dans l’arrestation et l’extradition des accusés.
- La question de la justice réparatrice : Les tribunaux spéciaux se concentrent principalement sur la répression des criminels, parfois au détriment de la réparation pour les victimes et de la réconciliation nationale.
- La durée et les coûts : Les tribunaux spéciaux peuvent être extrêmement coûteux et prendre beaucoup de temps pour juger les affaires, ce qui soulève des questions sur leur efficacité.
5. L'Avenir des Tribunaux Spéciaux Internationaux
Avec l’existence de la Cour pénale internationale (CPI), les tribunaux spéciaux ad hoc sont de moins en moins utilisés, sauf dans des situations où des conflits ou des événements spécifiques nécessitent une attention particulière. Toutefois, les tribunaux hybrides et ad hoc continuent de jouer un rôle dans certaines régions du monde, et leurs résultats influencent la manière dont la justice internationale se développe.