Cour de cassation, Chambre civile 2, 8 juin 2017, 16-19.185, Publié au bulletin
"Mais attendu qu’ayant retenu que le préjudice d’établissement répare la perte de la faculté de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité d’un handicap, puis constaté que Mme Y…, qui réclamait réparation des conséquences de sa stérilité, avait adopté un enfant, ce dont il résultait qu’elle avait fondé une famille, la cour d’appel en a exactement déduit qu’elle n’avait pas subi un tel préjudice ;"
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Le préjudice d'établissement compte au nombre des postes de préjudices définis dans la nomenclature « Dintilhac », lesquels doivent tous être indemnisés de manière autonome.
Il se définit et vise à indemniser « la perte d'espoir, de chance ou de possibilité de réaliser un projet de vie familiale normal en raison de la gravité du handicap permanent ».
La jurisprudence s'attache ainsi à rappeler régulièrement que ce poste de préjudice tend à indemniser la perte d'espoir ou de chance, de la possibilité même de réaliser un projet de vie familiale « normal », en raison de la gravité du handicap permanent dont la victime reste atteinte après sa consolidation.
Concrètement, le préjudice d'établissement permet d'indemniser la perte de chance de pouvoir se marier, fonder une famille et élever des enfants.
Ce poste de préjudice possède donc une existence propre, justifiant une réparation intégrale et ne devant pas se confondre notamment avec le déficit fonctionnel permanent, tel que le rappelle la Cour de Cassation dans un arrêt rendu par la Deuxième Chambre Civile le 13 janvier 2012 (n° 11-10.224).
Plus récemment, la Cour de Cassation est venue d'avantage préciser les contours et l'étendue de la réparation de ce poste de préjudice, posant parfois difficulté, jugeant que le préjudice d'établissement ouvrait droit à réparation de la victime, quand bien même celle-ci avait déjà un foyer et des enfants avant l'accident.
La Haute Juridiction affirme en effet que le préjudice d'établissement recouvre également "la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale" (Cass, Civ 2, 15 janv. 2015, n°13.27.761)
C'est donc avec étonnement que la Cour de Cassation, par un arrêt du 8 juin 2017, (n° 16-19.185) refuse réparation du préjudice d'établissement sollicité par la victime, jeune femme souffrant d'infertilité pour avoir été exposée au distillbène, au motif que celle-ci aurait pu réaliser son projet de vie familiale en ayant recours à l'adoption.
La Cour considère en effet que la victime avait été en mesure, au travers de l'adoption, de fonder une famille.
S'il est vrai que l'adoption permet à grand nombre de familles de réaliser un projet de vie familiale, il est pourtant indéniable que le recours à ce procédé s'impose le plus souvent en cas de stérilité, et ne peut être assimilé à un projet de vie "normal", tel qu'il peut être entendu par une victime, fertile avant l'accident.
Il ne faut en outre pas oublier que l'adoption entraîne bien souvent des répercussions au sein même de la vie familiale, en ce que l'enfant adoptif se posera des questions, au regard de la particularité de sa filiation, auxquelles un enfant naturel aura toutes les réponses.
Enfin, aussi merveilleuse que soit l'adoption, tant pour le couple adoptant que pour l'enfant, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un processus long et douloureux, mettant indéniablement un couple à l'épreuve.
Il faudra donc attendre de nouvelles décisions, qui viendront peut-être infirmer cette position, quelque peu "simpliste" de la Haute Juridiction.