L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 28/05/08 contribue à nous informer des conditions d’application de la règle visée à l’article 1351 du Code Civil relative à la chose jugée.
En l’espèce, la Société G et A distribution a signé avec la Société Prodim un contrat de franchise pour l’exploitation d’un commerce de détail qui comportait une clause compromissoire.
La Société G et A distribution ayant rompu le contrat, la Société Prodim a décidé de recourir à la procédure d’arbitrage prévue par ce dernier.
Elle demande en l’espèce à la Société G et A distribution réparation du préjudice pour manquement à son obligation contractuelle de non réaffiliation et la dépose de l’enseigne.
La Société Prodim a désigné son arbitre, et a notifié à la Société G et A distribution la nécessité de nommer le sien afin de poursuivre la procédure.
Cette dernière ne s’est pas exécutée, aussi, La Société Prodim a obtenu du Président du Tribunal de commerce une ordonnance sur requête procédant à cette désignation.
Le tribunal arbitral a rendu une sentence contre laquelle la Société G et A distribution a formé un recours en annulation.
Mais, au cours de cette procédure, une Cour d’appel a rétracté l’ordonnance désignant l’arbitre de la Société G et A distribution.
La Cour d’appel de Caen dans un arrêt daté du 23/04/02 décide que la sentence arbitrale précédemment rendue est nécessairement anéantie par la décision de la Cour d’appel infirmant l’ordonnance rendue par la Président du Tribunal de commerce.
Un pourvoi est formé.
La Cour de cassation dans son arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 08/07/2004 casse et annule la décision des juges du second degré aux motifs que la Cour d’appel aurait dû statuer sur le fond du litige et renvoie pour y être fait droit le contentieux devant la Cour d’appel de Versailles.
Celle-ci accueille favorablement la demande en réparation de la Société Prodim, telle qu’elle avait été formée lors de la saisine de l’instance arbitrale et écarte la fin de non recevoir opposée par la Société G et A distribution.
Un pourvoi est formé.
La Cour de cassation en sa première chambre civile, casse et annule le 28/05/08 la décision rendue par la Cour d’appel de Versailles le 30/01/2007.
De ces faits simples et de cette motivation lapidaire, la Cour de Cassation confirme les obligations procédurales qui pèsent sur les plaideurs (I) et le renouvellement des critères de l’autorité de la chose jugée (II).
I - Les obligations procédurales qui pèsent sur les plaideurs
Chaque fois qu’une instance est introduite par le biais d’une assignation, elle doit contenir les moyens de fait et de droit qui fondent sa prétention (A), car, si ces derniers viennent à manquer, ils risquent d’obérer les chances de succès de la demande du plaideur (B).
A – L’obligation de l’exposé des moyens de fait et de droit par le plaideur
Le décret du 28/12/98, qui a modifié l’article 56- 2° du CPC impose au plaideur qui a introduit une demande à la suite d’une assignation par voie d’huissier de formuler expressément les moyens de droit qui fondent sa prétention.
C’est d’ailleurs ce que vient rappeler à l’occasion de cet arrêt la Cour de Cassation, confirmant ainsi une jurisprudence antérieure rendue par l’Assemblée plénière en date du 07/07/2006 relative à l’application de la fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée.
La volonté de l’institution judiciaire étant d’assurer la stabilité du système juridique, il apparait nécessaire à la Cour, afin d’éviter d’interminables procès de décider que la prétention nouvellement présentée doit être confrontée non à la demande précédente, mais au contenu du jugement.
Cette obligation n’est cependant pas anecdotique, et en cas de négligence ou de manquements graves, elle entraîne un risque d’échec de la prétention défendue par le plaideur.
B – Le manquement à l’obligation de présenter dans la même instance toutes les demandes au soutien de sa prétention obère les chances de succès de la prétention du plaideur
Le procès est gouverné par un impératif de loyauté, et le moyen qui n’a pas été soulevé soit par une manœuvre dilatoire, soit par un manquement grave est réputé avoir été jugé en raison de son omission.
Il revient au juge selon la théorie défendue par MOTULSKY de réputer ces fondements omis faire parti de la matière litigieuse.
C’est cette interprétation que conteste la Cour d’appel de Versailles dans son arrêt du 30/01/07, suivant en cela, la décision de l’Assemblé plénière datée du 03/06/1994, dans lequel, cette dernière énonçait que le changement d’un fondement juridique suffisait à faire obstacle à l’autorité de la chose jugée attachée à la décision.
Néanmoins, les conflits de jurisprudence entre les différentes chambres de la Cour de Cassation sur le sens à donner au silence gardé par une partie sur un fondement juridique, et sur la portée de la chose jugée implicitement ont conduit à une nouvelle saisine de l’assemblée plénière en date du 07/07/2006, afin de renouveler les critères de l’autorité de la chose jugée.
II – Le renouvellement des critères de l’autorité de la chose jugée
La Cour de cassation consacre à la suite de son précédent arrêt de principe, la théorie de MOTULSKY (A), tout en écartant les risques d’une contradiction de sa décision avec l’article 6 §1 de la CEDH (B).
A – La consécration de la théorie de MOTULSKY
La Cour avait précédemment opéré un renouvellement des critères de l’autorité de la chose jugée en consacrant la théorie de MOTULSKY « Cass.Civ 1ère 08/03/05 » concluant à une identité d’objet par rapport à sa finalité.
Ce dernier proposait de substituer le critère de la triple identité à celui de la « simple identité litigieuse », entendu comme tout point qui a été contradictoirement débattu devant le juge et véritablement tranché par lui.
Or, en l’espèce, le moyen qui n’a pas été soulevé est réputé tranché par le simple fait qu’il a été omis.
Il revient dès lors au juge de le réputer faire partie de la matière litigieuse dans la première procédure, or, c’est ce que conteste la Cour d’appel de Versailles, considérant que le tribunal arbitral n’avait pas statué sur cette demande en réparation.
Cependant, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond et considère que les plaideurs doivent donc évoquer dès l’introduction de l’instance un maximum de fondements juridiques au soutien de leurs prétention, car si le juge a la faculté au regard de l’article 12 du CPC de relever d’office une qualification qui aurait été négligée par les parties, il n’est pas possible de lui reprocher de ne pas l’avoir fait, si elle supposait l’existence d’éléments factuels non débattus.
Cette solution risque t’elle cependant d’être infirmée par l’article 6 § 1 de la CEDH ?
B – L’absence de risque d’une contradiction de cette décision avec le droit d’accès à un tribunal
L’article 6§1 de la CEDH peut s’accommoder de limitations dès lors que celles-ci sont proportionnées avec le but recherché.
C’est pourquoi, la stabilité juridique que pose l’exigence de concentration des moyens est suffisamment importante pour justifier une telle décision.
En effet, le plaideur qui entend recommencer son procès sur un autre fondement, a déjà exercé son droit d’accès à une juridiction, et la voie de l’appel lui est toujours ouverte pour permettre l’évocation d’un nouveau fondement qu’il entendrait conférer à sa prétention.
Le moyen doit cependant être présenté pour la première fois en appel pour être recevable « article 563 du CPC », et l’intérêt de cet arrêt est de tendre à promouvoir une certaine loyauté des parties dans l’exercice de leur droit d’action, en même temps qu’une certaine efficience procédurale garante d’une meilleure efficacité de la justice.
Il appartient désormais au plaideur de remplir la lourde obligation d’exhaustivité des fondements qu’ils soumettent.