LA VENTE COMMERCIALE EN DROIT OHADA : APPORTS ET EMPRUNTS

Publié le 25/03/2011 Vu 29 205 fois 0
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L’introduction d’une réglementation spéciale et uniforme du droit de la vente des marchandises dans les seize Etats membres composant aujourd’hui l’OHADA, profondément inspiré de la Convention sur la vente internationale des marchandises, suscite une invitation à rechercher laquelle des deux législations l’emporte en cas de vente intervenant entre les parties établies soit dans deux Etats parties de l’espace OHADA soit dans deux Etats appartenant, l’un à cet espace et l’autre non. En outre, le pointillisme de la réglementation du droit OHADA sur toutes les phases de la vente de marchandises conduit à se demander si les règles ainsi conçues pour assurer la meilleure réalisation possible de la formation, de l’exécution et du dénouement de ce contrat ne peuvent inspirer le législateur ou le juge pour transposer leur contenu dans le régime d’autres contrats présentant des similitudes avec la vente relativement à l’obligation de transférer une chose moyennant l’acquittement d’un prix. C’est à ces deux questions que s’est attelé l’auteur dans cette communication.

L’introduction d’une réglementation spéciale et uniforme du droit de la vente des marchandises dans les

LA VENTE COMMERCIALE EN DROIT OHADA  : APPORTS ET EMPRUNTS

 

Le droit uniforme de l’OHADA réglemente quelques contrats spéciaux des affaires : le bail ; le courtage ; la commission ; le mandat de l’agent commercial ; la société commerciale ; le transport des marchandises par route ; la vente commerciale. Hormis la société commerciale, seule la vente entre commerçants est longuement régie par 87 articles de l’acte uniforme relatif au droit commercial général[1] dans tous les détails de sa formation, son exécution, son dénouement. L’intérêt du législateur OHADA pour ce contrat se comprend pour, soit plusieurs raisons [2]:

- la plupart des systèmes juridiques des Etats de l’espace OHADA en était restée à la vente telle qu’elle était conçue et organisée par le code civil français en 1804[3], c'est-à-dire pour constituer un droit commun de la vente (et non spécialement celle des marchandises) largement dépassé et inadapté au monde actuel [4];

- la volonté de consacrer dans un texte en les y intégrant toutes les solutions de la jurisprudence et des usages professionnels apportées, de façon durable, aux problèmes nés de l’expansion internationale de la vente, des pratiques multiples que la modernité des moyens de communication et la complexité technique des marchandises circulantes avaient fait surgir ;

- la volonté d’offrir aux acteurs économiques de tout l’espace OHADA un instrument juridique unique pour faciliter la circulation des biens (la vente étant le contrat qui illustre le mieux ce mouvement), à l’imitation de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises de 1980 (CVIM dite également Convention de Vienne sur la vente internationale des marchandises[5]) qui n’a été ratifiée que par neuf Etats africains alors que 70 pays sont parties à cette convention[6].

La double volonté de faciliter les échanges économiques sur le plan régional ou mondial, d’une part, et de proposer des solutions au plus grand nombre de difficultés ou péripéties pouvant surgir dans la naissance, la vie et la disparition du contrat de vente se perçoit parfaitement dans le droit de la vente commerciale de l’OHADA. Mais son irruption dans le droit interne de chacun des Etats membres de cette organisation et, également, dans l’espace régional que ces Etats constituent, amène les juristes, enseignants ou praticiens du droit, à se poser deux questions essentielles :

- quels sont aujourd’hui les rapports (apports ou emprunts) du droit OHADA de la vente commerciale avec la CVIM qui l’avait précédée dans cette voie ;

- quels sont les rapports (apports ou emprunts) du droit OHADA de la vente commercial avec les droits internes des contrats et des obligations ?

I. DROIT OHADA DE LA VENTE COMMERCIALE ET CONVENTION INTERNATIONALE DE LA VENTE DE MARCHANDISES

Sans nier l’influence de la CVIM sur le droit OHADA de la vente des marchandises[7], la comparaison, voire la confrontation entre les deux législations est inévitable dès que se pose la question de déterminer leur champ d’application respectif sur le plan territorial et sur le plan matériel.

A. Application territoriale

Une vente internationale implique qu’on ait affaire à un élément d’extranéité entre les parties. Dans quels termes l’élément d’extranéité se présente-t-il?

Selon l’article 1er de la CVIM, celle-ci s’applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des Etats différents :

a) lorsque ces Etats sont des Etats contractants ou

b) lorsque les règles du droit international privé mènent à l'application de la loi d'un Etat contractant ; dans ce dernier cas, la loi interne de l’Etat contractant désignée par la solution du conflit de lois s’efface au profit de la CVIM.

Il convient alors d’envisager toutes les hypothèses possibles d’extranéité.

1) Si les parties ont leurs établissements respectifs dans deux Etats de l’espace Ohada, également signataires de la CVIM, il faut se demander, en préalable, si l’uniformisation du droit par l’OHADA et l’intégration juridique qui en résultent font disparaître l’extranéité. A priori, la réponse doit être négative puisque les Etats de la zone OHADA ne sont pas fusionnés en un seul Etat ou en une fédération « uninationale » ; il résulte de cette conclusion que l’on peut raisonner sur trois réponses possibles :

- si les parties ont décidé de recourir à la CVIM, celle-ci s’appliquera à la vente, sous

réserve des cas dans lesquels la CVIM est silencieuse, pour lesquels il faudra faire

appel au droit interne de la vente (OHADA) et des obligations ;

- si les parties n’ont rien prévu de ce qui précède, on peut dire que la CVIM, à caractère international, doit l’emporter sur le droit OHADA (droit interne) sauf à la compléter par le droit OHADA dans les cas où la CVIM est défaillante ou renvoie au droit interne (ce qu’est le droit OHADA) pour la compléter ;

- dans la même hypothèse de silence des parties sur l’application de la CVIM, peut-on dire que le droit interne OHADA de la vente s’applique, à l’exclusion de toute autre législation ou convention internationale ? ; une telle solution ne serait concevable que si les dispositions des articles 202 à 288 AUDCG étaient d’ordre public, ce qui n’est pas le cas[8] ; il faut en conclure que la CVIM s’appliquera donc ;

- enfin, les parties peuvent convenir que le droit OHADA s’applique sous réserve de se voir écarter totalement ou sur certains points seulement au profit soit de la CVIM, soit de toute autre législation choisie expressément par les parties.

2) Une autre hypothèse peut se présenter : les parties en présence ont leur établissement, l’une dans un Etat contractant de la CVIM et non partie au Traité OHADA, l’autre dans un Etat de l’espace OHADA. Elles peuvent convenir librement de la loi applicable en la choisissant lors de la formation du contrat ; à défaut, la solution classique des conflits de lois déterminera cette législation selon la nature du problème posé (lieu de formation du contrat ; lieu d’exécution du contrat…) alors que le recours exprès à la CVIM ou au droit OHADA eût pu être plus avisé.

La leçon à tirer de cette spéculation juridique est que le droit uniforme de l’OHADA n’élimine pas totalement les conflits de lois et qu’il serait probablement judicieux de suivre le conseil de la doctrine d’harmoniser le droit des contrats aux plans régional et mondial[9], notamment dans l’espace OHADA.

B. Application matérielle

1) Le Livre V de l’AUDCG ainsi que la CVIM concernent la vente dans la définir. La définition se déduit de l’analyse des droits et obligations qui y sont soigneusement décrits et permettent d’exprimer cette définition de façon concise mais essentielle : la vente est un contrat par lequel le vendeur s’engage à transférer la propriété de biens déterminés à l’acheteur en échange de l’obligation, pour ce dernier, de payer le prix convenu.

Cette première condition exclut de l’application de la CVIM et du droit de la vente commerciale, les contrats d’entreprise et de services.

2) La vente doit intervenir entre commerçants ; cette condition est expressément indiquée expressément dans l’AUDCG et non dans la CVIM. Il en résulte que la CVIM peut s’appliquer aussi bien quand les contractants sont commerçants ou non (l’acheteur étant une personne exerçant une profession libérale) tandis que le droit uniforme ne le peut que si les deux parties sont commerçantes[10].

Toutefois, les deux textes excluent la vente aux consommateurs, c'est-à-dire aux personnes qui achètent pour des fins non professionnelles (article 203 AUDCG ; article 2, a) CVIM)

3) Enfin, les deux législations s’accordent pour ne régir que les ventes de meubles corporels existants ou à fabriquer[11], ce qui exclut :

- par nature, les immeubles dont les navires, bateaux, aéroglisseurs et aéronefs et,

- par énumération expresse des articles 203 AUDCG, 2 et 3 de la CVIM :

* les ventes sur saisies ou par autorité de justice (qui ne résultent pas de mouvements économiques de circulation des biens meubles) ;

* les ventes de valeurs mobilières, effets de commerce, monnaies ou de devises (biens incorporels) ;

* les ventes dans lesquelles l’obligation de la partie qui fournit des marchandises consiste essentiellement dans une fourniture de main-d’œuvre ou d’autres services (nettoyage ; restauration ; entretien…accompagnés de la fourniture des équipements ou produits nécessaires à l’accomplissement du service).

De cet inventaire des exclusions, il ressort que la CVIM est seule à exclure expressément les ventes d’électricité si bien que l’intérêt pour les parties de choisir telle ou telle convention en fonction des exclusions est très réduit.

II. DROIT OHADA DE LA VENTE COMMERCIALE ET DROIT INTERNE

Une fois établi le principe d’application du droit OHADA de la vente à une relation contractuelle donnée, quel rôle exact celui-ci joue-t-il en droit interne ?

Le premier rôle qu’il peut être appelé à jouer est celui auquel l’invitent les articles 4 et 5 de la CVIM qui déclare régir exclusivement la formation du contrat et les droits et obligations que le contrat de vente fait naître entre le vendeur et l’acheteur sans toutefois concerner :

- la validité du contrat ni celle de chacune de ses clauses ni celle des usages en vigueur dans la profession des parties ou  entre elles [12];

- les effets du contrat sur la propriété des marchandises vendues (transfert de propriété ; transfert des risques);

- la responsabilité du vendeur pour décès ou lésions causés à quiconque par les marchandises ;

- les dérogations apportées par les parties à certaines dispositions de la CVIM[13] en vertu de la liberté contractuelle.

Le rôle supplétif du droit OHADA de la vente se dessine ainsi. Mais si l’on observe l’article 205 AUDCG, on remarque que la vente commerciale est soumise, outre les dispositions de cet Acte uniforme, aux règles du droit commun sur tous les points non réglés par le droit spécial de la vente. Ces points peuvent être ceux déjà cités par la CVIM comme tous ceux qui n’en font pas partie.

Même si les nombreux articles consacrés à la vente de marchandises semblent envisager tous les aspects du contrat, sa formation, les obligations des parties, les sanctions de leur inexécution, les effets du contrat sur la propriété et la prescription, il est difficile de faire la liste exhaustive des domaines dans lesquels le droit commun aurait vocation à compléter l’immense droit spécial de la vente. Cette liste serait longue et résulterait d’une longue et systématique recherche, ce qui rend l’exercice impossible dans le cadre d’une communication come celle-ci.

On tiendra donc pour acquis que le droit commun a vocation à combler les interstices du droit spécial de la vente commerciale sans pouvoir en mesurer l’étendue.

Par contre, une démarche inverse est plus tentante et fructueuse : peut-on considérer que le droit spécial de la vente commerciale est susceptible d’enrichir le droit général des contrats et des obligations et, dans l’affirmative, dans quelle mesure ? On peut, de façon empirique, mais non sans intérêt, procéder à ces investigations en envisageant, de manière pragmatique et non exhaustive, les différents plans sur lesquels le contrat de la vente commerciale de marchandises est réglementé en les rassemblant autour de deux axes essentiels : d’une part, la théorie de la formation et de l’interprétation des contrats et, d’autre part, celle de l’exécution des obligations.

A. Apports de la vente commerciale OHADA à la théorie de la formation et de l’interprétation des contrats[14]

* S’agissant d’un contrat commercial, la vente de marchandises se forme et se prouve librement ; il n’est soumis à aucun formalisme particulier et s’il est établi par écrit, celui-ci doit s’entendre de toute communication utilisant un support écrit y compris le télégramme, le télex ou la photocopie (articles 208 et 209 AUDCG). On s’étonnera que le support électronique n’ait pas été prévu ou envisagé alors qu’il a déjà conquis son caractère probatoire dans les droits UEMOA et CEMAC des instruments de paiement[15] et dans l’avant projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats et des obligations[16]. Il est dommage que l’OHADA n’ait pas introduit cette forme d’écrit dans le droit positif de la vente mais tout porte à croire qu’il le sera, sinon sur le plan législatif, du moins sur le terrain jurisprudentiel.

** S’agissant d’un contrat consensuel, l’AUDCG règle minutieusement la détermination du contenu et de la rencontre des volontés en définissant et réglementant respectivement et successivement l’offre et l’acceptation (articles 210 à 216). La précision et la pertinence de ces définitions inclinent à transposer ces règles dans tous les cas où les transactions se font entre personnes éloignées (même sur le plan interne) et usent de nombreuses correspondances écrites ou orales pour négocier et préciser leurs intentions respectives par des propositions et des contre propositions avant de conclure définitivement : contrats de location, de prêts, de services….Hormis le Sénégal qui a accompli cette innovation d’insérer de telles règles de négociation entre personnes éloignées dans son code des obligations civiles et commerciales[17], aucune autre législation interne des Etats de l’espace OHADA ne l’a fait. Il n’y a aucune raison de ne pas le faire aussi bien sur le plan législatif que sur le plan jurisprudentiel.

*** Les articles 206 et 207 AUDCG posent des règles d’interprétation de la volonté et du comportement des parties qui ne sont pas sans rappeler les dispositions des articles 1156 et suivants du code civil mais ils ajoutent aux suggestions (voire injonctions) d’interprétation de ces articles les pratiques qui se sont établies entre elles ou dans la profession[18] ; ces derniers éléments sont parfaitement transposables dans le monde des affaires quelle que soit le contrat envisagé entre les parties qui sont en relations d’affaires constantes  : prêt ; location ; prestation de service ; contrat d’entreprise.

B. Apports de la vente commerciale OHADA à la théorie des obligations.

La théorie générale des obligations peut s’enrichir des règles précises d’exécution de l’obligation de remettre une chose corporelle et celle de la recevoir qui est au cœur du contrat de vente qui transfère la propriété mais également de nombreuses autres conventions qui comportent l’obligation de transférer l’usage, la jouissance ou la détention d’un bien corporel (prêt, location, dépôt, gardiennage…).

1. Les obligations du vendeur.

a) L’obligation de livraison.

Le législateur OHADA a privilégié la volonté des parties sur toutes les modalités de la livraison. Mais, prévoyant leur silence, il a pris des dispositions supplétives quant au lieu et à la date de la livraison qui sont parfaitement transposables aux autres conventions génératrices de l’obligation de remettre ou de restituer une chose à autrui.

Concernant le lieu, le vendeur (ou tout autre contractant obligé de livrer) est tenu de remettre les marchandises à un transporteur si le contrat prévoit un contrat de transport ; dans les autres cas, il doit les mettre à la disposition de l’acheteur (ou de tout autre contractant) au lieu où elles ont été fabriquées, où elles sont stockées, ou au lieu où le vendeur (ou tout autre contractant obligé de la même manière) a son principal établissement (article 220 AUDCG).

Quant au moment de la livraison, s’il n’est pas précisé par le contrat, la marchandise doit être livrée par le vendeur ou toute personne obligée de même manière dans un délai raisonnable (déterminé sans doute par les usages ou la raison) (article 222 AUDCG).

Le vendeur est également tenu de délivrer, s’il y a lieu, tous les documents se rapportant aux marchandises (lettre de voiture, connaissement, fiches techniques, modes d’emploi ; certificat d’assurances et de conformité…) (article 219 UDCG). Dans ce cas, ces documents doivent être remis en même temps que la chose. Cette obligation accessoire est inhérente à toute obligation de délivrer une chose dont le cocontractant doit pouvoir user ou jouir sans trouble (louage ; prêt…).

b) L’obligation de conformité.

Le vendeur doit livrer les marchandises dans la qualité, la quantité, la spécification, le

conditionnement et l’emballage correspondant à ceux prévus au contrat. L’article 224 AUDCG décrit les conditions de cette conformité à défaut de stipulation contraire des parties[19].

Le vendeur est responsable de tout défaut de conformité même si ce défaut n’apparaît qu’après le transfert de propriété ; il devrait en être de même dans les contrats impliquant un transfert de jouissance, d’usage ou de détention (selon le contrat).Toutefois, il peut réparer le manquement à son obligation dans les conditions édictées par l’article 226 AUDCG également valable pour toute convention autre que la vente impliquant une mise à disposition de biens corporels.

L’AUDCG règle également les conditions dans lesquelles l’acquéreur doit vérifier la conformité des marchandises qui lui sont livrées, à peine de déchéance du droit de se prévaloir du défaut de conformité (article 227 AUDCG). Par analogie, cette obligation peut incomber à tout créancier d’une obligation de délivrance de biens corporels dans des contrats autres que la vente.

c) L’obligation de garantie.

Elle est double.

c-1) En premier lieu, elle consiste pour le vendeur, à livrer des marchandises libres de toute prétention ou droit d’un tiers sauf si l’acheteur accepte de prendre des marchandises dans ces conditions (article 230). Il n’y a aucune raison de ne pas étendre cette garantie juridique de paisible jouissance à tous ceux qui ont droit à une jouissance ou détention paisible de la chose générée par des contrats autres que la vente (location ; prêt ; dépôt…).

c-2) En outre, le vendeur doit garantir le vice caché de la chose vendue qui diminue tellement son usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou en aurait donné un prix moindre s’il l’avait connu (article 231 AUDCG). Cette garantie profite à l’acheteur et au sous-acquéreur contre le vendeur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire. Une clause limitative de garantie est possible. De la même façon, une telle garantie doit pouvoir bénéficier à tout créancier d’un droit de jouissance ou de détention de la chose faute de quoi, l’essence même du contrat de prêt, de location ou d’entreprise (par exemple) serait compromise.

2. Les obligations de l’acheteur.

L’acheteur s’oblige à payer le prix et à prendre livraison des marchandises. Il devrait en être de même, mutatis mutandis, de tous les débiteurs d’un prix contre transfert à leur profit de la jouissance, de la détention ou de l’usage d’un bien corporel. C’est du moins ce qu’il faut déduire de tout contrat à titre onéreux qui postule une remise de la chose contre un prix à acquitter.

a) Le paiement du prix.

A défaut de stipulation d’un lieu particulier, le paiement se fait : à l’établissement du vendeur ou au lieu de livraison des marchandises si le paiement doit être fait contre livraison (article 237 AUDCG).

A défaut de stipulation particulière sur le moment du paiement, celui-ci doit avoir lieu lorsque le vendeur met à la disposition de l’acheteur : soit les marchandises, soit les documents représentatifs des marchandises (si le vendeur n’a pas fait du paiement une condition de remise de ces choses).

Ces règles sur le lieu de paiement d’une somme d’argent (paiement quérable ou portable) et sur le moment dudit paiement peuvent parfaitement être retenues, de façon générale, en droit des obligations impliquant le paiement d’un prix contre remise d’une chose .

b) L’obligation de prendre livraison.

Cette obligation consiste pour l’acheteur à accomplir tous actes juridiques et matériels

de son ressort (autorisation d’importation, mise à disposition d’un lieu de livraison…) qu’on peut attendre de lui pour permettre au vendeur d’effectuer la livraison des marchandises (article 240 AUDCG). Une telle obligation est parfaite concevable à la charge de toute personne créancière d’une obligation de livraison, quel que soit le contrat.

A défaut de paiement du prix ou si l’acheteur tarde à prendre livraison, le vendeur est en droit de retenir la marchandise mais est obligé de prendre des mesures de conservation aux frais de l’acheteur. Il peut même les vendre et réclamer à l’acheteur le remboursement des frais de conservation et la différence de prix s’il y en a une en sa défaveur. Cette dernière règle (vente des marchandises) ne paraît pas pouvoir être transposée à des contrats n’impliquant pas un transfert de propriété alors que celle qui précède peut parfaitement l’être.

3. Le transfert de la garde et des risques

a) Le transfert de propriété.

En principe, le transfert de propriété s’opère dès la prise de livraison des marchandises

par l’acheteur. Mais les parties peuvent convenir d’une autre règle de transfert notamment reporter ce transfert jusqu’au paiement complet du prix au moyen d’une clause de réserve de propriété (articles 283 et 284 AUDCG). Les conditions de validité de cette clause entre les parties et de son opposabilité aux tiers sont réglées par les articles 284 et 59 et 60 AUDCG[20]. Ces règles ne sont pas transposables en dehors du contrat de vente.

En effet, pour d’autres contrats postulant la remise d’une chose à une personne qui n’en devient pas propriétaire, ce n’est que le problème du transfert de la garde qui se pose en matière de responsabilité délictuelle vis-à-vis des tiers et de responsabilité contractuelle vis-à-vis du propriétaire ou du remettant. Dans ces cas, la remise de la chose ne transfère la garde matérielle et juridique que dans les conditions convenues par les parties, la remise matérielle de la chose faisant présumer le transfert de la garde au récipiendaire..

b) Le transfert des risques.

Le transfert de propriété entraîne le transfert des risques, c'est-à-dire que la perte totale ou partielle de la chose est supportée par son propriétaire. Il en résulte que toute perte ou détérioration des marchandises survenue après ce moment ne dispense pas l’acheteur de payer le prix sauf si ces événements sont dus à un fait du vendeur (mauvais emballage ou conditionnement, par exemple) (article 285 AUDCG).

Lorsque le contrat de vente implique un contrat de transport, les risques sont transférés à l’acheteur à partir de la remise des marchandises au premier transporteur même si le vendeur est autorisé à conserver les documents représentatifs des marchandises (articles 286 AUDCG).

Les conditions dans lesquelles le transfert de propriété s’opère pour déterminer celui qui, du vendeur ou de l’acheteur doit en supporter la perte ne sont pas de mise dans tous les autres contrats que la vente, même s’ils impliquent une obligation de remettre la chose à autrui et à celui-ci de payer un prix.

C. Les apports au contentieux.

En fait, l’AUDCG prévoit deux catégories de règles pour organiser le contentieux entre les parties au contrat de vente : des règles générales et des règles spéciales, seules les règles générales étant transposables aux contrats autres que la vente.

Ces règles manifestent nettement la volonté du législateur OHADA de favoriser le maintien du contrat autant que possible ou d’en encadrer la résolution[21].

a) L’exception d’inexécution préventive

En plus de l’exception d’inexécution de rétorsion admise lorsque l’une des parties n’exécute pas ses obligations, l’article 245 AUDCG prévoit trois cas d’exception d’inexécution préventive au profit d’une des parties lorsqu’il apparaît que l’autre n’exécutera pas une partie essentielle de ses obligations du fait : d’une grave insuffisance dans sa capacité d’exécution ; ou de son insolvabilité ; ou de la manière dont elle s’apprête à exécuter ou exécute le contrat.

Cette exception d’inexécution préventive ne doit pas être réservée exclusivement au contrat de vente ; la crainte raisonnable et fondée de ne pas voir son partenaire respecter ses engagements dans les hypothèses évoquées plus haut peut parfaitement justifier une telle exception d’inexécution.

b) La résolution préventive

De la même façon que pour l’exception d’inexécution préventive, le législateur a institué, à côté de la résolution pour inexécution grave de ses obligations par l’une des parties, la résolution préventive si « avant l’exécution du contrat, il est manifeste qu’une partie commettra un manquement essentiel à ses obligations » (article 248 AUDCG).

Un manquement essentiel est celui qui cause un préjudice tel qu’il prive substantiellement le créancier des obligations inexécutées et de ce qu’il était en droit d’attendre du contrat sauf si ce manquement est dû au fait d’un tiers ou à la survenance d’un événement de force majeure (article 267 AUDCG)[22].

Les conséquences générales de la résolution et celles particulières à l’acheteur et au vendeur sont réglées par les articles 269 à 273 AUDCG et sont si particulières à la vente qu’elles ne sont pas transposables aux contrats n’emportant pas transfert de propriété..


ANNEXE

BREVE BIBLIOGRAPHIE SUR LA VENTE COMMERCIALE EN DROIT OHADA

- ADIDO Roch, Réflexion sur le transfert de propriété des marchandises vendues dans l’espace francophone à la lumière du droit français, Penant, octobre-décembre 2003, n° 845, p. 464 et s.

- ADJITA Akrawati Shamsidine, L’interprétation de la volonté des parties dans la vente commerciale Ohada, Penant, n° 841, octobre-décembre 2002, p. 473.

- BROU Mathurin Kouakou, La protection des vendeurs de biens avec clause de réserve de propriété dans les procédures collectives : l’apport du Traité OHADA, Penant n° 837, septembre – décembre 2001.

- BROU Kouakou Mathurin, La protection des vendeurs de biens avec clause de réserve de propriété dans les procédures collectives : l'apport du traité OHADA, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, 2001-1, p. 273 s.

- CASTELLANI Luca G., Assurer l’harmonisation du droit des contrats aux niveaux régional et mondial : la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente international de marchandises et le rôle de la CNUDCI, Revue de droit uniforme, UNIDROIT, 2008, n° 1/2, p. 101. OHDATA D-09-07

- CASTELLANI Luca G., Ensuring Harmonisation of Contract Law at Regional and Global Level : the United Nations Convention on Contracts for the International Sale of Goods and the Role of UNCITRAL. Actes du Colloque sur l’harmonisation du droit OHADA des contrats – Ouagadougou 2007. Revue de droit Uniforme, UNIDROIT, 2008, p. 101. Ohadata D-09-08

- DARANKOUM Emmanuel S., Le critère de privation substantielle, condition de la résolution dans la vente commerciale OHADA, Annales de la Faculté de droit de Dschang, 2002, Annales de la Faculté de droit de Dschang, 2002, p.177 Ohadata D-04-45.

- DARANKOUM Sibidi Emmanuel, La pérennité du lien contractuel dans la vente commerciale Ohada, Penant n° 853, p. 500.

- DIALLO Souleymane, La cession de fonds de commerce en droit ivoirien, Ecodroit, n° 5, novembre 2001, p. 11.

- FENEON Alain, L’influence de la CVIM sur le nouveau droit de la vente commerciale, Penant, n° 853, p. 464.

- FENEON Alain et GOMEZ Jean-René, « Le droit de la vente commerciale », Cahiers juridiques et fiscaux, CFCE, 1998, n° 2, p. 271.

- FERRARI Franco, International sales law in the light of the OHBLA (Organization for Harmonization of Business Law in Africa) uniform act relating to general commercial law and the 1980 Vienna sales convention , RDAI, 2001, n° 5, p. 599.

- GOMEZ Jean-René, « Un nouveau droit de la vente commerciale en Afrique », Recueil Penant 1998, n° 827, p. 145.

- ISSA-SAYEGH Joseph, Présentation des dispositions sur la vente commerciale Ohadata D-06-16

- MBA OWONO Charles, Non conformité et vices cachés dans la vente commerciale en droit uniforme africain, Juris Périodique n° 41, janvier-mars 2000, p. 107-127.

- MWEZE Murhulala, La vente commerciale en droits congolais et OHADA Ohadata D-05- 34

- NEVRY Roger, L’adaptation du prix dans une vente internationale de marchandises par l'arbitre international, Penant n° 838, p. 20.

- NSIE Etienne, La formation du contrat de vente commerciale en Afrique, Penant, n° 829, janvier-avril 1999, p. 5. (VENTE COMMERCIALE - FORMATION).



[1] Articles 202 à 288 AUDCG

[2] GOMEZ Jean-René, « Un nouveau droit de la vente commerciale en Afrique », Recueil Penant 1998, n° 827, p. 145.- FENEON Alain et GOMEZ Jean-René, « Le droit de la vente commerciale », Cahiers juridiques et fiscaux, CFCE, 1998, n° 2, p. 271

[3] Articles 1582 à 1673 du code civil soit 92 articles. Pour la majorité des articles, ceux de l’AUDCG sont plus longs que ceux du code civil.

[4] A notre connaissance, seuls le Sénégal en 1966 (articles 261 à 371 du code des obligations civiles et commerciales) et la Guinée en 1992 (articles 2243 à 2270 du code des activités économiques de 1992) avaient réformé le droit commun de la vente. Pour un exemple de droit comparé entre le droit OHADA et la législation de la RDC sur la vente, voir MWEZE Murhulala, La vente commerciale en droits congolais et OHADA. Ohadata D-05- 34

[5] CISG en anglais*

[6] Voir Luca G. CASTELLINI, Assurer l’harmonisation du droit des contrats au niveau régional et mondial : la convention des Nations Unies sur la vente internationale des marchandises et le rôle de la CNUDCI, Revue UNIDROIT, 2008, p. 101. - CASTELLANI Luca G., Ensuring Harmonisation of Contract Law at Regional and Global Level : the United Nations Convention on Contracts for the International Sale of Goods and the Role of UNCITRAL. Actes du Colloque sur l’harmonisation du droit OHADA des contrats – Ouagadougou 2007. Revue de droit Uniforme, UNIDROIT, 2008, p. 101. Ohadata D-09-08

Voir également Franco FERRARI, International sales law in the light of the OHBLA (OHADA) uniform Act relating to general commercial law and the 1980 Vienna Sales convention, RDAI/IBLJ, n° , 2001, p. 599; selon cet auteur, cette Convention est entrée en vigueur dans 57 Etats et couvre 2/3 du commerce mondial.

[7] Alain FENEON, L’influence de la CVIM sur le nouveau droit africain de la vente commerciale, Penant n° 853, p. 464. – Alain FENEON et Jean-René GOMEZ, Le droit de la vente commerciale », Cahiers juridiques et fiscaux, CFCE, 1998, n° 2, p. 271.

[8] Sauf pour les articles 275 à 280 AUDCG relatifs à la prescription. Cf article 281 AUDCG

[9] Voir Luca G. CASTELLANI, Assurer l’harmonisation du droit des contrats aux niveaux régional et mondial : la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises et le rôle de la CNUDCI, Revue UNIDROIT, 2008, p. 101

[10] Voir Franco FERRARI, op. cit., p. 601, n°4

[11] Les contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire sont réputés ventes, à moins que la partie qui commande celles-ci n'ait à fournir une part essentielle des éléments matériels nécessaires à cette fabrication ou production auquel cas, le contrat unissant les parties est un contrat d’entreprise. Il en serait ainsi, par exemple, d’une entreprise qui serait chargée d’assembler les divers éléments matériels apportés par la partie désireuse d’obtenir un produit fini (assemblage des pièces d’une machine ; d’un avion ; d’une voiture, d’un navire…).

[12] L’article 4 est consolidé par l’article 9 de la CVIM. La même disposition se trouve dans l’article 206 AUDCG.

[13] Sous réserve des dispositions de l’article 12 de la dite convention.

[14] - NSIE Etienne, La formation du contrat de vente commerciale en Afrique, Penant, n° 829, janvier-avril 1999, p. 5

[15] Articles 133 à 148 du Règlement UEMOA du 19 septembre 2002 sur les Instruments de paiement. Règlement CEMAC du 4 avril 2003 relatif aux systèmes de paiement

[16] Article 95 de l’avant-projet de la Fondation de droit continental.

[17] Articles 81 et suivants COCC

[18] - ADJITA Akrawati Shamsidine, L’interprétation de la volonté des parties dans la vente commerciale Ohada, Penant, n° 841, octobre-décembre 2002, p. 473

[19] - MBA OWONO Charles, Non conformité et vices cachés dans la vente commerciale en droit uniforme africain, Juris Périodique n° 41, janvier-mars 2000, p. 107-127.

[20] - ADIDO Roch, Réflexion sur le transfert de propriété des marchandises vendues dans l’espace francophone à la lumière du droit français, Penant, octobre-décembre 2003, n° 845, p. 464 et s

[21] - NSIE Etienne, La sanction de l’inexécution des obligations des parties dans le contrat de vente, Penant n° 850, Janvier-Mars 2005, p. 96.

[22] DARANKOUM Emmanuel S., Le critère de privation substantielle, condition de la résolution dans la vente commerciale OHADA, Annales de la Faculté de droit de Dschang, 2002, Annales de la Faculté de droit de Dschang, 2002, p.177 Ohadata D-04-45. Exemples de manquement essentiel : le défaut de l’acheteur de fournir, à la date prévue, le crédit documentaire irrévocable ou la garantie à première demande qu’il s’était engagé à obtenir ; le défaut du vendeur de livrer les marchandises prévues avant la date impartie dans le contrat pour être exposées dans une foire commerciale ; le défaut par l’acheteur de présenter les documents d’exonération des droits de douane ayant motivé le renvoi des marchandises à leur expéditeur…- DARANKOUM Sibidi Emmanuel, La pérennité du lien contractuel dans la vente commerciale Ohada, Penant n° 853, p. 500

Joseph ISSA SAYEGH

Professeur honoraire

Janvier 2011

UNIDA/OHADA.COM

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