Devoir de vigilance : le Tribunal judiciaire de Bordeaux condamne le Crédit Agricole

Publié le Modifié le 12/01/2023 Vu 3 904 fois 0
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Le Tribunal judiciaire de Bordeaux a condamné le Crédit Agricole à indemniser son client pour de nombreux manquements à son devoir de vigilance en présence d'anomalies apparentes dans le compte bancaire.

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Devoir de vigilance : le Tribunal judiciaire de Bordeaux condamne le Crédit Agricole

Rappel des faits

Entre 2016 et 2017, Monsieur W a été démarché par une plateforme frauduleuse d'investissements boursiers avec d'une part, la promesse de gains importants et d'autre part, une rentabilité rapide et certaine de son investissement.

Depuis son compte bancaire ouvert au Crédit Agricole, Monsieur W a émis, à la demande de la plateforme frauduleuse, plusieurs virements à destination de comptes bancaires de sociétés étrangères pour un montant total de 36.447 euros. 

Très rapidement, la plateforme frauduleuse est devenue injoignable et Monsieur W n'a jamais pu récupérer ses fonds.

Dans ces circonstances et estimant que le Crédit Agricole n'avait pas respecté son devoir de vigilance à l'égard du fonctionnement manifestement inhabituel de son compte bancaire, Monsieur W a assigné sa banque, le Crédit Agricole, afin d'obtenir réparation de son préjudice financier.

 

En ne décélant pas de nombreuses anomalies, le Crédit Agricole a manqué à son devoir de vigilance

Le Tribunal judiciaire de Bordeaux a, avant toute chose, rappelé que :

"Dans le cadre de ses obligations contractuelles, pèse sur le banquier une obligation générale de vigilance qui l’oblige à tenter de déceler les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, sur les opérations bancaires de son client. Ces anomalies doivent être inhabituelles au regard du fonctionnement habituel du compte. Il est vrai que le devoir de non-ingérence interdit au banquier de s’immiscer dans les affaires de son client mais celui-ci ne saurait dédouanner la banque d’un devoir de vigilance et de mise en garde en cas d’opérations qui apparaissent anormales."

1) Sur l'activité inhabituelle et anormale du compte bancaire de Monsieur W

Les juges ont énuméré plusieurs anomalies intellectuelles apparentes qui affectaient le compte bancaire de Monsieur W :

  • Première anomalie intellectuelle relevée : le fonctionnement inhabituel du compte bancaire. En effet, les relevés de comptes du client du Crédit Agricole, sur les mois précédents l'escroquerie, faisaient apparaître des dépenses et encaissements ne dépassant jamais le millier d'euros. Monsieur W percevait une retraite raisonnable et procédait généralement à quelques dépenses courantes très modestes ; 

 

  • Deuxième anomalie intellectuelle relevée : le montant important des virements exécutés. Le plus petit virement réalisé dans le cadre de l'escroquerie s'élevait à 2.000 euros et deux virements supérieurs à 10.000 euros ont été réalisés vers des banques slovaques ;

 

  • Troisième anomalie intellectuelle relevée : la destination des virements. L'ensemble des virements ont été exécutés vers des comptes bancaires domiciliés dans des banques polonaises et slovaques alors que Monsieur W n'avait jamais, par le passé, effectué de virements vers de telles destinations ;

 

  • Quatrième anomalie apparente relevée : la fréquence d'exécution des virements. Les virements ont été exécutés par le Crédit Agricole en seulement trois mois et pour un montant total de 36.447 euros ce que le Tribunal judiciaire de Bordeaux a qualifié de "court laps de temps".

Malgré l'existence de ces nombreuses anomalies apparentes, le Crédit Agricole n'a jamais exercé son devoir de vigilance à l'égard du fonctionnement manifestement inhabituel du compte bancaire de son client.

 

2) Sur la non-prise en compte d'une alerte du service risque et conformité du Crédit Agricole

Après l'analyse d'échanges internes au sein du service risque et conformité du Crédit Agricole, il apparaît que le deuxième virement dirigé vers la Slovaquie n'a pas pu aboutir puisque le compte bénéficiaire était "blacklisté". 

Le préposé du Crédit Agricole a alors contacté Monsieur W par téléphone pour lui indiquer qu'il y avait un fort risque de fraude ou d'arnaque. 

Le Tribunal judiciaire de Bordeaux a également relevé que le Crédit Agricole avait accordé un prêt d'un montant de 20.000 euros à Monsieur W qui a servi à financer les investissements litigieux.

Le service risque et conformité du Crédit Agricole avait pourtant préalablement interrogé le conseiller bancaire de Monsieur W sur le sort des fonds issus du prêt accordé.

Malgré ces interrogations du service risque et conformité, le Crédit Agricole a laissé son client réalisé postérieurement deux autres virements pour des montants de 4.000 euros et 13.473 euros sans jamais alerter Monsieur W. 

 

Condamnation du Crédit Agricole à indemniser son client pour son préjudice financier

Au regard de ces nombreux manquements, le Tribunal judiciaire de Bordeaux a alors déclaré que le Crédit Agricole avait commis une faute en ne respectant pas son devoir de vigilance :

"L’absence de toute mise en garde postérieure alors que Monsieur Y a à nouveau réalisé par la suite deux autres virements d’un montant de 4.000 euros et de 13.473 €, ce qui était une nouvelle anomalie apparente, constitue une faute de la banque."

Le Crédit Agricole a par conséquent été condamné à indemniser son client à hauteur de 10% des deux virements réalisés postérieurement aux interrogations du service risque et conformité du Crédit Agricole :

"la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE a engagé sa responsabilité contractuelle du fait des manquements à son devoir général de vigilance sur les comptes de Monsieur W et à son devoir de mise en garde ce qui a entrainé une perte de chance de 10 % de renoncer aux virements du 2 décembre 2016 et du 31 janvier 2017 "

Décision commentée : TJ Bordeaux, 8 novembre 2021, n°18/11284

 

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Me Céline CHAPMAN / Me Gaël COLLIN


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