Pour lire mon commentaire sur l'arrêt de 1ère instance qui avait validé cette demande, vous pouvez lire l'article suivant : "Mariage annulé pour cause de non virginité : analyse juridique"
La Cour d'Appel de Douai a rendu une décision surprenante en ce qu'elle a invalidé le jugement de 1ère instance et a débouté l'époux de sa demande demande d'annulation du mariage.
Vous pouvez retrouver l'intégralité de cet arrêt en vous rendant sur le lien suivant : Arrêt du 17 novembre 2008
Retour sur l'histoire d'un couple marié malgré lui...
De nouveaux faits éclaircis en cause d'appel
Avant d'analyser le détail de cet arrêt, il convient de revenir sur les nouveaux faits invoqués en appel.En 1ère instance, l'époux invoquait dans ses conclusions la non virginité de son épouse. En appel, il a reformulé sa demande en précisant qu'il invoquait le mensonge sur sa vie sentimentale passée et sa virginité, et non l'absence de virginité elle-même.
Alors que l'épouse avait purement et simplement acquiescé à la demande de son conjoint, elle conteste devant la Cour d'Appel avoir menti sur sa vie passée. Elle précise qu'aucune question ne lui avait été posée à ce sujet, indiquant par là qu'il n'y a pas eu mensonge.
Par ailleurs, l'arrêt d'appel nous apprend que le soir de la nuit de noce, Monsieur X aurait fait preuve de violence et a fait reconduire Madame Y chez ses parents, ce qui explique l'absence de vie maritale qui a suivi cet évènement et la réaction de l'épouse qui a dû quitter le domicile conjugal.
Le rejet des arguments de l'époux pour absence de preuve : rejet logique de l'annulation
Devant la contestation des faits par l'épouse, la Cour d'Appel retient souverainement que Monsieur X n'a pas établi avec suffisemment de certitude que Madame Y lui avait délibérément menti sur son passé.Cette dernière a ainsi précisé que sa vie sentimentale passée n'avait pas été abordée.
Dans son pouvoir souverain, la Cour d'Appel doit être approuvée en ce que la charge de la preuve du prétendu mensonge reposait bien sur Monsieur X et que compte tenu des contestations sur ces faits, le mensonge ne pouvait être constaté avec suffisemment de certitude.
Au delà de cette question de preuve, les précisions sur les circonstances entourant le mariage laissent à penser qu'il s'agissait d'une union pour laquelle la question de la virginité n'avait pas été mise au coeur de l'intention matrimoniale.
Monsieur Y précisait d'ailleurs dans ses conclusions qu' "il n'a jamais été "posé comme condition" la virginité de son épouse. Il ne s'agissait chez lui que d'une espérance et non d'une exigence". Bien que cette citation mériterait d'être replacée dans le contexte des conclusions, force est de constater que la modification de l'argumentation de Monsieur Y signifiait implicitement que la question de la virginité n'était pas centrale, mais qu'il s'agissait plutôt d'un espoir déçu.
L'adage "en mariage, trompe qui peut" prend ici tout sens.
Toutefois, l'arrêt ne s'est pas contenté de constater l'absence de preuve mais a apporté une précision qui mérite réflexion.
La vie sentimentale passée et la virginité n'est pas une qualité essentielle pour la Cour d'Appel : question de point de vue...
Laconiquement, la Cour ajoute à son argumentation que :"le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n'est pas un fondement valide pour l'annulation d'un mariage.
Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité, qui n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale".
Il s'agit là d'un point qui n'est pas sans soulever une certaine discussion.
On peut s'interroger vivement sur l'opportunité de ce revirement. La volonté matrimoniale est par nature une volonté personnelle, intime, qui touche à l'essence des personnes et à leur vie privée.
La Cour, en considérant que le mensonge sur la vie sentimentale passée est par nature une qualité secondaire, tend à fixer un critère à l'institution du mariage civil et à déterminer ainsi les raisons qui doivent fonder un mariage.
Pour préserver la volonté libre des époux, il convient au contraire de s'intérroger sur leurs démarches personnelles, et non sur les raisons légalement établies qui valideraient l'institution du marige.
A la différence du mariage religieux qui repose sur l'adhésion à un ensemble de règles préétablies, le législateur a entendu proposer un mariage civil reposant sur une intention propre aux individus.
Cette jurisprudence va à l'encontre des souhaits de la société et du législateur, qui tendent à élargir le mariage civil à des volontés de plus en plus large.
Plus loin dans l'arrêt, la Cour évoque que l'intention matrimoniale suppose la volonté de fonder une famille, de s'unir durablement. Que dire des couples qui ne souhaitent ou ne peuvent avoir d'enfant ? Quelle est la notion de "famille" ou d' "union durable" à l'heure des familles recomposées et de l'augmentation des divorces ?
Si la réflexion sur les raisons légitimes de se marier doit être menée, la Cour prend ici une position ferme qui apparaît contestable en ce qu'elle laisse entendre que les tribunaux peuvent se faire juges de la légitimité de l'intention matrimoniale.
La Cour va même jusqu'à considérer qu'un tel mensonge n'a pas d'impact sur la vie matrimoniale.
Il est bien présomptueux de raisonner ainsi. L'affection, la confiance et la considération que l'on peut avoir pour une personne est évidemment impactée par le passé sentimental de cette personne en ce que ce passé est révélateur d'une personnalité, d'un comportement.
Il est bien péremptoire de contredire ainsi les nombreuses approches psychologiques du domaine qui établissent avec certitude qu'une partie de ce que l'on est dépend de ce que l'on a vécu.
L'erreur qui porterait ainsi sur le passé d'une personne peut affecter légitimement l'appréciation poussant au mariage.
La cour en ne réservant aucune exception ou réserve à son jugement semble s'écarter de la vision réelle des couples modernes. C'est à regretter.
Une décision qui va à l'encontre des règles juridiques admises jusqu'ici
Sur un plan plus juridique, les contestations demeurent.Premièrement, par sa formulation, la Cour adopte ici une appréciation in abstracto de la qualité essentielle alors que l'ensemble des décisions dans le domaine vise une approche in concreto, selon la vision des parties concernées.
Le commentaire du jugement de 1ère instance que je vous propose sur ce même blog détaille l'état de cette jurisprudence qui, d'une manière générale, retient l'approche in concreto, c'est à dire qui considère que la valeur "essentielle" de la qualité concernée s'apprécie en fonction du ressenti et de la perception de l'époux floué.
Deuxièmement, cette décision va à l'encontre de la Jurisprudence de la Cour de Cassation qui a pu admettre l'annulation d'un mariage alors que l'époux avait caché à sa conjointe qu'il avait eu un 1er mariage religieux et qu'il était divorcé (Arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation du 2 décembre 1997).
Quand bien même la solution de refuser l'annulation pour cause de mensonge sur le passé pourrait être appuyée par certains arguments, la Cour d'appel aurait dû appliquer l'esprit dégagé par cette jurisprudence, au moins pour une question de cohérence juridique.
Enfin, aucune règle légale ne vient à l'appui d'une décision de principe telle qu'énoncée par la Cour. Les règles relatives au mariage laissent au contraire aux époux la libre détermination de leur volonté matrimoniale dès lors qu'elle est "libre et éclairée".
De plus, certains auteurs font remarquer avec justesse que les règles applicables au mariage doivent s'inspirer des règles relatives au contrat de droit de commun du code civil (Article 1101 et suivant du code civil)
Le "contrat de mariage" est en effet une formulation parfaitement adaptée à l'intention du législateur qui a entendu laisser aux époux la possibilité de "contractualiser" leurs rapports, au moins sur les aspects patrimoniaux.
Aussi, on peut s'interroger sur la réaction qu'aurait eu la Cour si Monsieur X avait eu un important patrimoine qui, par contrat de mariage, aurait bénéficié à Madame Y. Supposons fictivement que cette Madame Y aurait délibérément menti sur sa virginité en vue de s'assurer le consentement matrimonial de Monsieur Y.
La Cour aurait elle alors été aussi laconique en posant comme principe que le mensonge sur la virginité n'est pas invocable ?
Il apparait dès lors qu'une certaine analogie doit être conservée avec les règles traditionnelles du contrat, dès lors que la mariage relève lui même de la contractualisation de rapport privés.
L'ensemble de ces éléments ont améné de nombreux juristes et citoyens à s'interroger sur les qualités enssentielles que peut légitimément s'accorder un époux dans sa volonté matrimoniale.
Si les commentaires du jugement de 1ère instance portait essentiellement sur le caractère culturel de l'époux (celui-ci étant de religion musulmane), l'arrêt d'appel à interpeller sur les droits de la femme.
A mon sens, les réactions et les débats que nous avons entendu sur ce sujet sont déplacés et ne porte pas sur le véritable problème de ce cas. Il ne s'agit pas de savoir si une femme à le droit de ne pas être vierge (il s'agit évidemment d'un droit incontestable...) mais de savoir si l'époux dispose d'un recours efficace lorsque son épouse lui ment.
A titre personnel, j'approuve les approches précédentes des tribunaux.
Cet arrêt est regrettable arrêt ce qu'il apparaît plus pertinent de déterminer les possibilités d'annulation non selon la nature du mensonge, mais selon son impact sur le couple, cet impact devant être apprécié par rapport à l'importance qu'avait mis l'époux dans certaines qualités de celle qui va partager plus que son patrimoine....
Après tout, s'il apparait important pour un époux que sa future épouse soit vierge, quelle que soit son origine ethnique, est-il si inconcevable d'admettre qu'il puisse s'être irrémédiablement senti trahi par un mensonge à ce sujet ?
Comme dans de nombreux domaines, il apparait que l'intervention du législateur semble nécessaire pour préciser si l'institution du mariage civil repose sur une volonté matrimoniale imposée par la loi, ou librement définie par les époux.
Cette seconde solution semble plus compatible aux évolutions de la société qui émet parfois le souhait que le mariage soit ouvert à d'autres populations, homosexuelles par exemple.
Vous pouvez lire les nombreux commentaires et l'analyse de cet arrêt sur le site de Maître EOLAS ou sur Wikipedia.