La liberté d'expression est un droit fondamental reconnu à tout individu, y compris au salarié dans le cadre de son activité professionnelle. Inscrite à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi qu'à l'article L1121-1 du Code du travail, elle est cependant soumise à certaines limitations dans le cadre de la relation de travail. En effet, l'exercice de cette liberté ne doit pas porter atteinte aux intérêts légitimes de l'entreprise. Dès lors, le dénigrement public ou privé de l'employeur par un salarié peut poser la question de savoir si ces agissements peuvent justifier un licenciement.
Cet article explore les contours de la liberté d'expression du salarié et les risques juridiques liés à des propos dénigrants.
La liberté d'expression dans le cadre professionnel
En principe, le salarié jouit d'une liberté d'expression tant dans l'entreprise qu'en dehors. Ce droit se manifeste par la possibilité pour le salarié d’exprimer librement ses opinions, critiques ou désaccords à l’égard de l’entreprise, de sa gestion ou de ses dirigeants. Cependant, cette liberté connaît des limites dictées par la nécessité de respecter les intérêts de l'entreprise.
L'article L1121-1 du Code du travail prévoit en effet que les restrictions aux libertés du salarié doivent être "justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché". Par conséquent, un employeur ne peut sanctionner un salarié que si les propos de ce dernier excèdent le cadre de l'exercice normal de sa liberté d'expression et causent un préjudice à l'entreprise ou à son image.
Récemment, la question s’est posée de savoir si un cadre qui critique la politique de l’entreprise et les méthodes de management use de sa liberté d’expression ou manque à ses obligations ?
La cour de cassation a rappelé en premier lieu, les principes selon lesquels, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, pour par la suite confirmer le caractère illicite du motif du licenciement prononcé. (Cass. soc., 9 nov. 2022, n°21-15.508)
Dénigrement public de l’entreprise : un risque pour le salarié
Le dénigrement de l’entreprise par un salarié, que ce soit à travers des propos publiés sur des réseaux sociaux, des blogs, dans des articles de presse ou lors d'interviews, peut constituer un abus de la liberté d’expression. En effet, le salarié est tenu à une obligation de loyauté envers son employeur, même en dehors de ses heures de travail (article L1222-1 du Code du travail). Les propos publics dévalorisant l’entreprise peuvent donc être considérés comme un manquement à cette obligation et, dès lors, constituer une faute susceptible d’entraîner un licenciement.
Les réseaux sociaux : un terrain risqué
Le développement des réseaux sociaux a multiplié les cas où des salariés ont été licenciés pour avoir tenu des propos dénigrants à l’égard de leur employeur. Les juges considèrent souvent que des propos injurieux et malveillants tenus sur des réseaux sociaux accessibles à un large public peuvent nuire à l'image de l'entreprise et excéder la liberté d'expression.
Dès lors que l’abus de la liberté d’expression est caractérisé, le salarié encourt le licenciement. Il a été jugé ainsi des propos excessifs qu’un salarié avait publié sur un site accessible à tout public et dont les termes étaient à la fois déloyaux et malveillants à l’égard de l’employeur. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 11 avril 2018, 16-18.590)
A l’inverse, dans une affaire où le salarié avait tenu des propos qui n’étaient ni injurieux, ni diffamatoires, ni excessifs, il a été considéré par les magistrats que l’abus de liberté d’expression n’était pas caractérisé et le salarié n’a pas été sanctionné. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 30 septembre 2020, 19-10.123)
Propos privés et conversations : un contexte à nuancer
Au-delà de la caractérisation de l’abus, les propos tenus doivent également avoir un caractère public.
Les propos tenus dans un cadre privé, par exemple lors de conversations entre collègues ou amis, bénéficient en principe d’une protection plus grande. La jurisprudence considère que des propos tenus dans un cercle restreint, où ils sont uniquement accessibles à des interlocuteurs connus du salarié, ne constituent pas nécessairement une faute justifiant un licenciement, sauf s’ils sont particulièrement injurieux ou diffamatoires.
Ainsi, lorsque le salarié publie sur un compte restreint, limité à des personnes autorisées et peu nombreuses, ses propos relèvent d’une conversation de nature privée et ne peuvent être qualifiés de faute grave. La notion de groupe restreint reste à apprécier au cas par cas, étant précisé que la Cour d’appel a considéré qu’un groupe de « 179 amis » n’étaient pas un groupe restreint.
À l’inverse, un salarié qui publie sur son mur Facebook accessible à tous des critiques à l’égard de son entreprise et de sa hiérarchie, excède son droit à la liberté d’expression et peut être licencié pour cause réelle et sérieuse (CA Lyon, ch. soc., 24 mars 2014, n°13/03463).
le seul fait de « liker » le commentaire d’une autre personne, quand bien même ce commentaire serait constitutif d’un abus de la liberté d’expression, ne peut être sanctionné dans la mesure où les propos ne sont pas attribuables à celui qui a utilisé la fonction « j’aime » (CA Douai, 24 avr. 2015, no 14/000842).
Les conséquences du dénigrement pour le salarié
Licenciement pour faute
En droit du travail, le dénigrement public ou la diffusion de propos calomnieux peut constituer une faute grave, voire une faute lourde, si les propos sont particulièrement injurieux et nuisent gravement à l'entreprise. La faute grave justifie une rupture immédiate du contrat de travail sans indemnités, alors que la faute lourde, qui suppose l'intention de nuire, entraîne la perte des indemnités légales de licenciement.
Le cas du licenciement pour motif personnel
Si les propos tenus ne justifient pas un licenciement pour faute grave, l’employeur peut néanmoins licencier le salarié pour motif personnel. Ce type de licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire que les propos dénigrants doivent être objectivement établis et démontrer un manquement aux obligations du salarié.
Ainsi, si un salarié critique l'entreprise de manière répétée, par exemple en remettant en cause ses pratiques commerciales devant des clients ou en tenant des propos désobligeants lors de réunions publiques, cela peut constituer un motif de licenciement pour cause réelle et sérieuse.
La protection du salarié en cas d’abus de l’employeur
Si la liberté d’expression est limitée, les juges veillent toutefois à ce que les sanctions infligées au salarié soient proportionnées. Un employeur qui chercherait à sanctionner un salarié pour des critiques anodines ou légitimes, par exemple dans le cadre de son droit de grève ou de revendications syndicales, pourrait se voir reprocher une atteinte à la liberté d’expression. Dans ce cas, le salarié pourrait contester son licenciement devant le conseil de prud’hommes et demander sa requalification en licenciement nul.
Conclusion
La liberté d’expression du salarié, bien que fondamentale, connaît des limites dans le cadre de la relation de travail. Le dénigrement public ou privé de l’entreprise peut justifier un licenciement, notamment s’il porte atteinte à l’image ou aux intérêts de l'employeur. Toutefois, la gravité de la sanction dépendra du contexte, de la nature des propos et de leur diffusion. Il appartient aux employeurs de faire preuve de prudence et de proportionnalité dans l’application de sanctions disciplinaires, tandis que les salariés doivent être conscients des risques liés à l’expression publique de critiques envers leur entreprise.
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SOURCES :
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900858
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046555948
https://www.doctrine.fr/d/CA/Lyon/2014/REA433650EE0AA03924F5