La jurisprudence a opéré un revirement récemment en admettant la recevabilité de vidéos prises à l'insu d'un salarié, comme mode de preuve permettant de justifier son licenciement.
Allons nous vers une reconnaissance de l'utilisation du détective privé comme mode de preuve permettant de sanctionner ou de licencier un salarié ?
Une jurisprudence constante d'atteinte à la vie privée du salarié
De prime abord, il convient de rappeler que la jurisprudence de la Cour de Cassation, en matière de reconnaissance d'une vidéo prise à l'insu du salarié comme mode de preuve justifiant la sanction ou le licenciement du salarié, était constante, depuis l'arrêt "NEOCEL" N°8843.120 Soc 20/11/1991.
En effet, en l'espèce, le gérant d'un supermarché avait dissimulé une caméra dans l'une des caisses de l'établissement. Ainsi, les vidéos avait permit à l'employeur de constater le vol d'une de ses salariés, conduisant à son licenciement pour faute grave.
Cependant, l'arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation "NEOCEL" est venu casser la décision de la Cour d'Appel de Colmar (Cour d'appel Colmar 1987-12-17), qui reconnaissait cette vidéo comme mode de preuve admissible permettant de justifier le licenciement pour faute grave. C'est ainsi, que la jurisprudence a reconnu depuis lors que l'utilisation d'une vidéo prise à l'insu d'un salarié est un mode de preuve illicite et déloyale, ne permettant pas de sanctionner ou de licencier le salarié.
D'ailleurs, vingt ans plus tard, l'Assemblée Plénière de la Cour de Cassation est venue réitérer cette décision,( Ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316 et n° 09-14.667), en indiquant que l'enregistrement effectué à l'insu du salarié était un mode de preuve illicite.
Revirement d'une jurisprudence au nom du droit de la preuve
Cependant, en fin d'année 2023, la jurisprudence de la Cour de Cassation est venue effectuer un revirement à sa jurisprudence installée depuis 20 ans.
En effet, dans se décision rendue par l'Assemblée Plénière (Ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20-648 et 21-11.330), la Cour de Cassation, vient remettre en cause l'irrecevabilité absolue des modes de preuves obtenus à l'insu du salarié. De la même manière, cette décision a été confirmée par l'arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 février 2024.
Ainsi, la Cour de Cassation reconnait que l'enregistrement d'un salarié à son insu pouvait servir comme mode de preuve pour le sanctionner et/ou le licencier, en mettant en balance le respect à la vie privée du salarié et l'intérêt légitime de l'employeur à la reconnaissance de ses droits.
En l'espèce, l'employeur ayant constaté des écarts de stocks dans sa pharmacie, avait décidé de consulter les vidéos de surveillance de son établissement pour suivre les mouvements de ces produits. Grâce à ces images, il avait pu constater 19 anomalies en lien avec sa salariée, en deux semaines.
Par conséquent, la Cour de Cassation a confirmé l'arrêt de la Cour d'Appel qui admis que le licenciement de la salarié justifiée par les images de vidéo surveillance prise à son insu était valable.
Cependant, la reconnaissance de l'utilisation d'enregistrements pris à l'insu du salarié, comme mode de preuve d'une faute grave, est conditionnée à un contrôle a postériori par le juge.
La reconnaissance d'un mode de preuve laissé à l'appréciation du juge
Bien que les juges de la Cour de Cassation ont retenu comme recevable les enregistrements de la salarié à son insu, comme mode de preuve permettant de justifier son licenciement, leur recevabilité est laissée à l'appréciation du juge.
En effet, la Cour de Cassation est venue conditionner la reconnaissance de ce mode de preuve illicite, en précisant que le juge doit :
- S'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci
- Rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié
- Apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi
Par conséquent, bien que la reconnaissance de l'enregistrement d'un salarié à son insu comme mode de preuve admissible par le juge fut opérée par la Cour de Cassation, cette dernière limite sa recevabilité à l'appréciation du juge, à posteriori.
Ainsi, le contrôle judiciaire postérieur opéré par le juge laisse les parties (employeur et salarié) dans le floue quant à l'aboutissement et à la sanction de l'enregistrement du salarié réalisé à son insu, voire à l'engagement de la responsabilité de l'employeur pour atteinte à la vie privée.
Vers la reconnaissance du rapport du détective privé comme mode de preuve d'une faute grave du salarié
De prime abord, la jurisprudence constante de la Cour de Cassation appréciait l'utilisation du rapport du détective privé, constatant la faute grave d'un salarié, comme un mode de preuve illicite et déloyale, rendant la preuve irrecevable.
En effet, en matière de droit social, la jurisprudence constante estimait que les constatations réalisées par détective privé, dont les investigations visaient à démontrer les manquements d'un salarié, ne pouvaient servir de preuves à la sanction ou au licenciement du salarié. Car elles portaient atteinte à la vie privée du salarié, même en cas de graves atteintes au droit de l'employeur.
Cependant, les investigations réalisées par un détective privé pouvaient néanmoins servir au licenciement du salarié, mais sous certaines conditions extrêmement restrictives.
Jusque lors, les constatations du détective privé pouvaient uniquement permettre d'obtenir les informations permettant par la suite la constatation du manquement du salarié par un huissier ou via une procédure d'ordonnance sur requête.
Par conséquent, l'arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 14 février 2024, annonce la possibilité pour l'employeur de recourir à l'emploi d'un détective privé, à l'insu du salarié, pour démontrer directement une faute grave.
Cette possibilité sera néanmoins soumise au contrôle à posteriori du juge qui estimera si les investigations réalisées portent atteinte à la vie privée du salarié et ne sont pas disproportionnées vis à vis de l'intérêt légitime de l'employeur.
Julien Coulon, le 18/03/2024