Ce critère de lieu d’émission du connaissement présente un intérêt particulier du fait de sa répercussion sur la désignation de la loi qui sera appliquée au contrat de transport.
En effet, plusieurs textes maritimes font référence à ce critère. La convention Internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement connue sous le nom de règles de La Haye s’applique selon son article 10 à tout connaissement crée dans un État contractant. La convention de 1924 a été modifiée par le protocole du 23 Février 1968, protocole nommé dans la pratique maritime Règles de Visby. L’article 5 des règles de Visby stipule : « Les dispositions de la présente convention s’appliqueront à tout connaissement relatif à un transport de marchandises entre ports relevant de deux États différents, quand : a) Le connaissement est émis dans un État contractant ou b) Le transport a lieu au départ d’un port d’un État contractant, ou c) Le connaissement prévoit que les dispositions de la présente convention ou de toute autre législation les appliquant ou leur donnant effet régiront le contrat, quelque soit la nationalité du navire, du transporteur, du chargeur, du destinataire ou toute autre personne intéressée… ». Ce qui découle de ces conventions, c’est que l’émission du titre conditionnera leur application. Cependant, la distinction n’est pas facile compte tenu de la rédaction de l’article 1.b.commun aux deux conventions et définissant en ces termes le contrat de transport : « celui constaté par un connaissement ou tout document similaire formant titre pour le transport de marchandises par mer ». Ce critère de similarité a été également adopté par les règles de Hambourg dans leur article 2.d qui prévoit que la convention s’applique : « lorsque le connaissement ou autre document faisant preuve du contrat de transport par mer est émis dans un État contractant ».
Par ailleurs, ce critère de l’émission du titre de transport n’a aucune répercussion quant à la loi applicable au sens du DCCM et de la loi Française de 1966. En effet, l’article 16 de la loi Française de 1966, comme l’article 267 du DCCM, imposent leur application respective chaque fois que le transport est en provenance ou au départ d’un des ports de ces États sans tenir compte du lieu d’émission du connaissement.
En droit Français, le connaissement ne détermine pas le régime juridique applicable au contrat de transport, contrairement aux règles de La Haye. La loi Française de 1966, comme le DCCM marocain, dans leurs articles 16 et 267 imposent leur application respective chaque fois que le transport est en provenance ou au départ d’un des ports de ces États sans tenir compte du lieu de l’émission, donc quelque soit le titre de transport et même en l’absence de connaissement.
Les règles de La Haye / Visby par contre, ne sont applicables au transport maritime que lorsqu’il y a émission d’un connaissement ou d’un document similaire (titre représentatif des marchandises prises en charge à bord et ayant une valeur bancable et négociable). Les règles de Hambourg ont élargi ce champ d’application à tous les contrats de transport de marchandises quelque soit l’appellation du titre le constatant et quelque soit la valeur négociable.
Le connaissement est le document le plus important en matière de transport maritime international de marchandise. Il n’a pas d’équivalent dans les autres modes de transport. Cela a conduit les rédacteurs de la convention de Bruxelles à l’intituler « Convention pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, sans toutefois définir le mot connaissement. En revanche, la convention des Nations Unies sur les transports de marchandises par mer, « les règles de Hambourg » ont défini le connaissement dans leur article 1er, Paragraphe 7 ; « le terme « connaissement » désigne un document faisant preuve d’un contrat de transport par mer et constatant la prise en charge ou la mise à bord des marchandises par le transporteur ainsi que l’engagement de celui-ci de délivrer les marchandises contre remise de ce document ».
A partir de cette définition, le connaissement constitue le document constatant le contrat de transport.
Au 14ème siècle, lorsque le connaissement apparaît, il est un simple reçu délivré par le capitaine au chargeur qui cesse d’accompagner sa marchandise. Outre la réception il va bientôt faire foi de l’état dans lequel la marchandise a été reçue par le capitaine. Au fil des siècles, son rôle s’accroît et se diversifie. Il établit les obligations des parties aux contrats de transport. Surtout, il devient négociable : sa transmission transfère les droits attachés à la marchandise, ce qui permet de la vendre ou de la donner en gage, alors qu’elle est en mer.
Dans la pratique, on n’achète plus une marchandise embarquée, on achète un connaissement. Le rôle principal de ce document va conduire le législateur à organiser autour de lui la réglementation du transport de marchandises. D’ailleurs, les conventions internationales font du lieu d’émission du connaissement un critère qui a des incidences sur la loi applicable au contrat. Mais ce critère n’est pas récent. Cet indice de localisation trouve son origine dans la doctrine du 12ème siècle lorsque les juristes canonistes décidèrent que le contrat était régi par la loi du pays où il fut conclu.
Cette règle est restée longtemps obligatoire sans aucune distinction entre la forme et le fond de l’acte. Par la suite, la règle ne concernait plus que la forme du contrat.
Malgré l’importance de cette règle, la doctrine a été divisée entre partisans et adversaires de la loi du lieu d’émission du contrat. Or dans ce domaine, ce critère a toujours gardé une place plus ou moins importante.
Pour les partisans de ce critère, il paraît logique de dire que c’est la loi du lieu d’accomplissement d’un acte, qui doit recevoir application, la loi du for, c’est à dire du lieu de conclusion qui demeure prioritaire du fait de la causalité directe du contrat. Pour ses partisans, cela se justifie par la facilité à pouvoir déterminer la loi du lieu de conclusion du contrat. C’est un critère territorial qui évite le morcellement du contrat et sa soumission à plusieurs lois. Ajoutons à cela, la connaissance à l’avance par les contractants de l’entendue et du contenu de la loi en vigueur du lieu de conclusion du contrat.
La loi du lieu d’exécution du contrat par contre, demeure difficilement déterminable dans la pratique car il arrive que le connaissement comporte une clause donnant droit au chargeur de décharger sa marchandise dans plusieurs ports ou de choisir le port qui lui convient. De plus, il serait plus difficile pour les contractants de connaître la loi du lieu d’exécution par hypothèse éloignée.
A contrario, pour les adversaires du critère du lieu d’émission du connaissement, le lieu de conclusion du contrat est considéré comme un incident, sans relation effective avec les contractants, notamment lorsque le contrat a été conclu par un intermédiaire (courtier ou commissionnaire) résidant dans un pays autre que celui des cocontractants, ce qui arrive fréquemment en matière de transport international, le chargeur s’adressant à un intermédiaire de transport pour organiser l’opération. Ce dernier, s’il est étranger ou si le contrat est international, se posera alors le problème du droit applicable. De même, le destinataire, se trouvant dans un pays autre que celui où le connaissement a été émis, ne bénéficie d’aucune protection juridique. Ajoutons à cela que les connaissements sont souvent émis par les représentants des transporteurs dans les différents ports qui n’ont aucun rapport avec le domicile réel du transporteur. La conclusion du contrat par téléphone, télex et télécopie pose également problème quant à la détermination de la loi du lieu d’émission du connaissement. A ce sujet les avis sont partagés ; certains considèrent que c’est la loi du lieu de la manifestation de l’acceptation, d’autres pensent que c’est la loi du lieu ou le destinataire de l’offre en a été informé. En droit marocain, l’article 24 du DOC est clair à ce sujet, c’est la loi du lieu de manifestation de l’acceptation qui s’applique. Le contrat est également valable s’il a été conclu par un messager ou un intermédiaire.
D’autre part, il est à souligner que le DCCM est d’ordre public, donc d’application impérative, ainsi, l’article 264 stipule : « est nulle et de nul effet toute clause du connaissement…. Créé au Maroc ou à l’étranger ayant directement ou indirectement pour objet de soustraire l’armateur à sa responsabilité. Une telle règle risque d’entrer en conflit avec la loi du pays du lieu d’exécution du contrat où le régime du contrat de transport n’est pas d’ordre public.
Enfin, cette doctrine considère qu’aujourd’hui le critère du lieu d’émission se trouve dépassé du fait de la prise en considération de nouveaux critères de formation des contrats tel que le contrat par correspondance ou par intermédiaires, d’où la nécessité de soumettre le contrat à la loi du lieu de son exécution.
En somme, le critère du lieu d’émission du connaissement garde une place prépondérante dans le domaine du transport international des marchandises et reste plus ou moins compatible avec la loi du pays où le connaissement a été émis, sans oublier le critère de la primauté des textes internationaux sur les lois nationales malgré leur caractère d’ordre public. C’est le cas au Maroc et France notamment où la jurisprudence a plutôt tendance à privilégier les textes internationaux en la matière.
Docteur Karim Adyel
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