Classeur de jurisprudence de la semaine du 21 mars 2025
I.1. Contrats administratifs
A. CAA de Lyon, 13 mars 2025, n°24LY02255 – Résiliation d’une concession de service public pour inexécution fautive
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la commune de Clermont-Ferrand avait conclu une convention de concession de service public portant sur l’exploitation et la gestion du marché couvert municipal avec la société Maki Nova et la société Les Halles du Marché Couvert.
Cette convention avait pour objet la mise à disposition, la gestion et l’animation du marché couvert situé au centre-ville, en contrepartie du versement d’une redevance domaniale par les concessionnaires. Dès les premières années d’exécution, la commune a reproché aux sociétés cocontractantes une série de manquements contractuels, parmi lesquels :
- le non-respect des horaires d’ouverture du marché,
- des carences graves dans l’animation et l’attractivité du site,
- l’absence d’entretien suffisant des équipements publics mis à disposition (sanitaires, parties communes),
- le non-paiement de plusieurs redevances dues à la commune,
- une gestion financière jugée opaque et déficiente par l’ordonnateur.
Face à ces inexécutions fautives et réitérées, la commune a adressé plusieurs mises en demeure aux concessionnaires sans obtenir d’améliorations notables.
Estimant que la bonne gestion du service public était compromise, la commune a décidé de résilier unilatéralement la convention avant son terme.
Les sociétés Maki Nova et Les Halles du Marché Couvert ont saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand en sollicitant l’annulation de la décision de résiliation, soutenant notamment que les griefs de la commune ne revêtaient pas une gravité suffisante et qu’aucun préjudice majeur pour le service public n’était caractérisé. Déboutées en première instance, elles ont interjeté appel devant la CAA de Lyon.
2 – Question de droit. La commune pouvait-elle légalement résilier la convention de concession de service public pour inexécution fautive, en invoquant les manquements constatés ?
3 – Solution juridique. La CAA de Lyon rappelle d'abord que, bien que la résiliation unilatérale d’une concession constitue une mesure grave, l’autorité concédante peut y recourir lorsque des manquements contractuels d’une particulière gravité compromettent la continuité ou la qualité du service public.
En l’espèce, la Cour constate que la pluralité et la récurrence des fautes commises par les concessionnaires (absence de règlement de la redevance, inexécution des obligations d’entretien, défaut d’attractivité commerciale) portaient atteinte à l’intérêt général et nuisaient directement au fonctionnement normal du marché couvert.
La Cour valide ainsi la résiliation prononcée par la commune de Clermont-Ferrand en considérant que les griefs invoqués sont établis et suffisamment graves pour rompre l’équilibre contractuel.
4 – Apport de l’arrêt. Cet arrêt illustre l’exigence de loyauté et d’efficacité dans l’exécution des conventions de concession de service public. Il rappelle que l’autorité concédante reste garante de l’intérêt général et peut sanctionner les manquements graves du concessionnaire par la résiliation anticipée de la convention. La CAA souligne également l’importance du suivi de la qualité du service rendu aux usagers et la faculté, pour la collectivité, de veiller au respect strict des engagements contractuels.
B. CAA de Lyon, 14 mars 2025, n°24LY02819 – Refus d’une rémunération complémentaire dans le cadre d’un marché public à prix forfaitaire
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Lifteam avait conclu avec la commune de Donzère un marché public à prix forfaitaire portant sur la construction d’une passerelle piétonne au-dessus d’une voie ferrée. Lors de l’exécution du marché, l’entreprise a réalisé un ensemble de prestations supplémentaires, qu’elle estimait non comprises dans le forfait initial, notamment :
- des adaptations de chantier pour répondre aux exigences de la SNCF relatives à la sécurité des circulations ferroviaires ;
- des renforcements imprévus de certains éléments de structure en raison de contraintes géotechniques non anticipées ;
- des interventions en heures non ouvrées en raison des conditions d'accès spécifiques au site (fenêtres de nuit imposées par la SNCF).
À la suite de ces travaux, la société Lifteam a présenté une réclamation visant à obtenir le paiement d’une somme complémentaire de 299 054,34 euros TTC, en se prévalant de prestations supplémentaires excédant le forfait du marché.
La commune ayant rejeté la demande, l’entreprise a saisi le tribunal administratif, qui a également rejeté sa requête. La société a alors formé appel devant la CAA de Lyon.
2 – Question de droit. Le titulaire d’un marché public à prix forfaitaire peut-il prétendre à une rémunération complémentaire pour des prestations qui ne résultent pas d’un ordre de service mais d’adaptations techniques inhérentes au chantier ?
3 – Solution juridique. La CAA de Lyon rappelle que, sauf stipulation contraire, le prix forfaitaire d’un marché couvre l’ensemble des prestations nécessaires à l’exécution complète de l’ouvrage, y compris celles rendues nécessaires par les sujétions normales du chantier ou par les conditions d’environnement connues ou prévisibles lors de la conclusion du contrat.
En l’espèce, la Cour relève que :
- les prestations supplémentaires invoquées résultaient d’obligations prévisibles (interventions en zone ferroviaire sous la coordination de la SNCF) ;
- aucun ordre de service n’a été délivré par la commune pour modifier le périmètre contractuel initial ou imposer des prestations nouvelles ;
- les adaptations techniques s’inscrivaient dans le champ normal des sujétions du chantier.
La CAA confirme ainsi le rejet de la demande de rémunération complémentaire de la société Lifteam.
4 – Apport de l’arrêt. Cet arrêt illustre l’application stricte du principe d’intangibilité du prix forfaitaire en matière de marchés publics. Il rappelle que les cocontractants doivent anticiper les sujétions normales d’exécution, y compris les contraintes liées à l’environnement spécifique du chantier, et que l’absence d’ordre de service formel prive le titulaire de tout droit à rémunération supplémentaire pour ces prestations.
C. TA de Poitiers, 7 mars 2025, n°2401772 – Référé précontractuel : irrégularité dans la passation d’un marché public
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Espace Libre, candidate évincée, a saisi le juge du référé précontractuel du TA de Poitiers sur le fondement de l’article L. 551-1 du CJA afin d’obtenir l’annulation de la procédure de passation lancée par la communauté urbaine de Grand Poitiers pour l’attribution d’un marché public portant sur la réalisation de prestations d’aménagement d’espaces publics.
La société requérante contestait principalement :
- l’absence d’indication précise dans le règlement de consultation des critères de notation des offres et de leur pondération ;
- l’impossibilité de comprendre les modalités d’application du critère prix ;
- une modification tardive du cahier des charges ayant conduit à une rupture d’égalité entre les candidats.
L’acheteur public soutenait que l’ensemble des critères et des méthodes de notation figuraient dans les documents de consultation et qu’aucun vice substantiel n’entachait la procédure.
2 – Question de droit. L’absence de précisions suffisantes sur les critères de sélection et les modalités d’évaluation des offres justifie-t-elle l’annulation d’une procédure de passation de marché public ?
3 – Solution juridique. Le TA de Poitiers rappelle que l’acheteur public est tenu de définir et de porter à la connaissance des candidats les critères d’attribution du marché et leurs modalités de mise en œuvre avant la remise des offres, afin de garantir l’égalité de traitement et la transparence de la procédure.
En l’espèce, le juge relève que :
- le règlement de consultation était silencieux sur la pondération des sous-critères techniques ;
- la modification tardive du cahier des charges avait privé certains candidats, dont la société Espace Libre, de la possibilité de présenter une offre optimisée en temps utile.
Estimant que ces manquements sont constitutifs d’une atteinte au principe d’égalité entre les candidats et qu’ils ont pu avoir une influence sur l’issue de la procédure, le TA fait droit à la requête et annule la procédure de passation.
4 – Apport de l’arrêt. Cet arrêt rappelle l’obligation pour l’acheteur public de définir de manière exhaustive et anticipée les modalités d’application des critères d’attribution d’un marché public. Il souligne également l’importance d’assurer l’égalité d’accès à l’information entre les candidats, sous peine de voir la procédure annulée par le juge du référé précontractuel.
D. TA de Montreuil, 3 mars 2025, n°2414894 – Action indemnitaire contre un OPH pour résiliation anticipée d’un marché public d’énergie
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Alterna Energie avait conclu avec l’Office Public de l'Habitat (OPH) de Plaine Commune un marché public de fourniture d’électricité à prix fixe et à quantité déterminée pour divers bâtiments de l’office.
Un an après le démarrage du marché, l’OPH a décidé d’y mettre un terme anticipé en invoquant des motifs d’intérêt général liés à la réorganisation de son parc immobilier, et a cessé tout règlement des factures restantes au titre du contrat.
La société Alterna Energie a saisi le TA de Montreuil pour demander la condamnation de l’OPH au paiement de plusieurs factures impayées et d’une indemnité forfaitaire au titre de la résiliation fautive du marché. Elle soutenait notamment :
- que la résiliation n’était pas motivée par un intérêt général mais par des considérations financières ;
- que l’OPH avait violé ses obligations contractuelles de bonne foi ;
- que l’absence de négociation préalable sur les conséquences financières de la rupture constituait une rupture abusive.
2 – Question de droit. L’OPH pouvait-il légalement mettre fin de manière anticipée à un marché public d’énergie sans indemniser le cocontractant pour la perte de chiffre d’affaires et les frais engagés ?
3 – Solution juridique. Le TA de Montreuil rappelle qu’un acheteur public peut résilier un marché public de manière unilatérale pour motif d’intérêt général. Toutefois, en pareil cas, le cocontractant a droit à la réparation intégrale du préjudice résultant de la résiliation, incluant la perte de marge nette sur la période résiduelle du marché.
En l’espèce, la Cour constate que :
- la réorganisation du parc immobilier de l’OPH est constitutive d’un motif d’intérêt général suffisant ;
- la résiliation était régulière mais l’OPH n’a pas indemnisé Alterna Energie de son manque à gagner sur la période non exécutée ;
- la société est fondée à obtenir le règlement des factures émises avant la rupture et une indemnisation partielle de son préjudice.
Le tribunal accorde donc une réparation partielle à Alterna Energie.
4 – Apport de l’arrêt. L’arrêt rappelle la faculté pour un pouvoir adjudicateur de résilier un marché public pour motif d’intérêt général mais souligne la nécessité d’indemniser le cocontractant évincé des dépenses utiles exposées et du manque à gagner sur le marché. Il confirme aussi la soumission des OPH, en tant que personnes publiques, au régime général de la responsabilité contractuelle en matière de contrats publics.
E. TA de Cergy-Pontoise, 6 mars 2025, n°2100485 – Marché public et refus de paiement de prestations par le ministère des Armées
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société ESIC avait conclu un marché public avec le ministère des Armées pour la fourniture et l’installation de matériel informatique dans divers locaux militaires.
Après l’exécution des prestations, le ministère a refusé de régler la somme de 10 080 euros TTC correspondant à des prestations accessoires non prévues explicitement dans le bordereau des prix unitaires, mais que la société considérait comme induites par la bonne exécution du marché (installation sur sites sensibles nécessitant des contraintes de sécurité spécifiques, interventions supplémentaires liées à l’accessibilité des locaux et aux exigences de traçabilité de l’équipement).
La société ESIC a sollicité du TA de Cergy-Pontoise la condamnation de l’État à régler le solde du marché, au motif que ces prestations relevaient des sujétions normales de chantier et qu’elles avaient été tacitement acceptées lors des réunions d’avancement du projet.
Le ministère des Armées contestait la créance, soutenant que :
- les prestations invoquées ne faisaient l’objet d’aucun bon de commande ou ordre de service supplémentaire ;
- aucune modification du marché initial n’avait été convenue ;
- la société ne pouvait invoquer une acceptation tacite des travaux supplémentaires.
2 – Question de droit. En l’absence d’ordre de service, une entreprise peut-elle obtenir le règlement de prestations supplémentaires dans le cadre d’un marché public à prix unitaires ?
3 – Solution juridique. Le TA de Cergy-Pontoise rappelle que, sauf stipulation contraire, toute modification du périmètre d’un marché public doit donner lieu à l’émission préalable d’un ordre de service ou d’un avenant régulier.
En l’espèce, le juge constate que :
- les sujétions évoquées par la société relevaient des conditions normales d’exécution du marché sur des sites sensibles ;
- aucune preuve d’un engagement exprès ou tacite du ministère pour rémunérer des prestations complémentaires n’est rapportée ;
- la société ne démontre pas que ces travaux étaient nécessaires à l’exécution conforme du marché et distincts de ses obligations initiales.
En conséquence, le tribunal rejette la demande de la société ESIC.
4 – Apport de l’arrêt. Cette décision réaffirme l’intangibilité du périmètre contractuel en l’absence de formalisation écrite par l’acheteur public. Elle rappelle que les contraintes liées à l’environnement particulier d’un chantier (ici un site militaire) doivent être anticipées par l’entreprise et incluses dans la tarification initiale, sauf ordre de service modifiant expressément le marché.
F. T.A. de Nantes, 17 mars 2025, n° 2503009 – Absence de dénaturation de l’offre et rejet d’un référé précontractuel
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la commune de Montrevault-sur-Èvre, agissant en groupement de commandes avec le GCSMS Evre et Divatte, a lancé une procédure de passation d’un marché public de travaux pour la rénovation et l’extension de la résidence Le Coteau, incluant la création de huit logements intermédiaires et d’une micro-crèche. La société MBM Finition, candidate au lot n°14 « peinture », a vu son offre rejetée au profit de la société Frémondière Décoration.
Contestant cette décision, la société MBM Finition a saisi le juge du référé précontractuel du T.A. de Nantes sur le fondement de l’article L. 551-1 du CJA, en invoquant :
· La dénaturation de son offre lors de l’analyse des sous-critères techniques.
· L’imprécision des conditions de mise en œuvre de trois sous-critères techniques.
La commune s’est défendue en soutenant la régularité de la procédure et l’absence de manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
2 – Question de droit. Le pouvoir adjudicateur a-t-il dénaturé l’offre d’un candidat évincé ou méconnu les règles relatives à la transparence et à l’égalité de traitement dans l’analyse des offres ?
3 – Solution juridique. Le T.A. rappelle que le juge du référé précontractuel ne contrôle pas l’appréciation de la valeur des offres mais vérifie l’absence de dénaturation manifeste et la régularité des critères d’attribution.
En l’espèce, le tribunal constate que :
· La commune a pris en compte l’ensemble des éléments de l’offre de la société MBM Finition, notamment les références des encadrants, l’organigramme et les autocontrôles proposés.
· Les remarques sur le caractère succinct de la méthodologie et les moyens humains relèvent d’une appréciation technique légitime du pouvoir adjudicateur.
· Les sous-critères retenus et leur application sont bien en lien avec l’objet du marché.
Le tribunal rejette donc la requête en considérant que la commune n’a ni dénaturé l’offre, ni violé les principes fondamentaux de la commande publique.
4 – Apport de l’arrêt
Cet arrêt rappelle que le contrôle du juge du référé précontractuel est centré sur la vérification de l’égalité de traitement et de la transparence des procédures, sans se substituer à l’acheteur dans l’évaluation technique des offres. Il confirme aussi que des critiques portant sur l’appréciation du contenu d’une offre, en dehors de toute dénaturation manifeste, ne suffisent pas à justifier l’annulation d’une procédure de passation.
G. Conseil d'État, 17 mars 2025, n° 490773 – Intérêts moratoires en cas de décompte contesté dans l'exécution d’un marché public de travaux
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la région Île-de-France a confié à la société Union Technique du Bâtiment (UTB) le macro-lot n° 3 relatif à la plomberie sanitaire, chauffage-ventilation et aspiration de copeaux dans le cadre de la restructuration et l’extension du lycée de Prony à Asnières-sur-Seine, pour un montant de 2 055 370,50 € HT. La durée globale d’exécution, initialement prévue à 41 mois à compter d’octobre 2009, a été prolongée six fois par ordres de service, conduisant à une réception des travaux de la phase 3 au 24 septembre 2017.
Postérieurement à ces prorogations, la société UTB a adressé un projet de décompte final réclamant 2 125 864,81 € HT supplémentaires pour les surcoûts engendrés par ces extensions de délais. La région a rejeté ces prétentions dans le décompte général notifié le 14 mars 2018. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté les demandes indemnitaires de l’UTB. La cour administrative d’appel de Versailles, saisie en appel, a partiellement fait droit à la société en condamnant la région à verser 264 699,84 € TTC majorés d’intérêts moratoires.
Tant l’UTB que la région ont formé un pourvoi devant le Conseil d’État, limité à la question des intérêts moratoires.
2 – Question de droit. À quelle date doivent courir les intérêts moratoires dus à un titulaire de marché public lorsque le décompte général est contesté ?
3 – Solution juridique. Le Conseil d’État rappelle qu’en vertu de l’article 98 du code des marchés publics (applicable à la date des faits) et du décret n° 2002-232 du 21 février 2002, les intérêts moratoires sur les sommes dues par la personne publique courent à compter du jour suivant l’expiration du délai de paiement fixé contractuellement ou, à défaut, par les textes applicables.
Il précise que la cour administrative d’appel de Versailles a commis une erreur de droit en fixant deux dates différentes pour le point de départ des intérêts moratoires sur les sommes dues au titre du décompte général sans se référer aux stipulations du marché ou au cadre réglementaire applicable. Le Conseil d’État casse donc l’arrêt sur ce point et renvoie l’affaire devant la cour.
4 – Portée. Cette décision est une illustration classique du contentieux de l’exécution financière des marchés publics, en particulier sur la gestion des intérêts moratoires lorsque le solde du marché est contesté. Elle rappelle l’importance d’une lecture rigoureuse des stipulations contractuelles et des délais légaux en matière de paiement.
H. Conseil d’État, 13 mars 2025, n° 498701 – Nullité d’un marché public signé prématurément après rejet d’un candidat lauréat
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la commune de Migennes a lancé une procédure de concours restreint de maîtrise d’œuvre pour la construction d’une médiathèque. Le jury de concours avait initialement classé en première position le projet du groupement mené par la société Nord Sud Architecture et en seconde position celui de la société AA Group Dijon. Toutefois, à l’issue de négociations engagées avec les deux groupements lauréats, la commune a attribué le marché à la société AA Group Dijon et notifié le rejet à la société Nord Sud Architecture.
Estimant que la signature du marché était prématurée, avant l’expiration du délai de standstill, la société Nord Sud Architecture a saisi le juge des référés précontractuels du TA de Dijon, qui a rejeté sa demande pour cause de signature intervenue avant l’introduction du référé. La société a ensuite formé un référé contractuel (L. 551-17 CJA) pour demander l’annulation du marché. Le TA ayant rejeté ce recours, la société a formé un pourvoi devant le Conseil d’État.
2 – Question de droit. Le contrat doit-il être annulé en cas de méconnaissance du délai de standstill imposé avant la signature du marché public ?
3 – Solution juridique. Le Conseil d’État rappelle que la signature prématurée d’un marché public avant l’expiration du délai minimal de 10 jours prévu à l’article L. 551-4 du CJA (transposition de la directive "recours" 89/665/CEE) est constitutive d’une irrégularité grave de nature à entraîner la nullité du contrat.
En l’espèce, le Conseil d’État relève que :
- la commune de Migennes a attribué le marché le 3 septembre 2024 sans respecter le délai de standstill après notification du rejet à la société Nord Sud Architecture ;
- la méconnaissance de ce délai a privé cette société de la possibilité de saisir utilement le juge du référé précontractuel ;
- cette irrégularité a porté atteinte à ses chances d’obtenir le marché.
Le Conseil d’État annule donc le marché public pour violation des règles de publicité et de mise en concurrence.
4 – Portée. Cette décision rappelle l’impératif de respecter scrupuleusement les délais de standstill prévus par le code de justice administrative et par la directive "recours" pour sécuriser la signature des contrats soumis aux règles de la commande publique. Elle souligne l’efficacité du référé contractuel comme voie de recours contre de telles irrégularités.
I. T.A. de Saint-Barthélemy, 14 mars 2025, n° 2500020 – Référé précontractuel : appréciation de la régularité d’une procédure de passation en matière de travaux publics
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Carenco, candidate évincée, a saisi le juge du référé précontractuel du TA de Saint-Barthélemy, sur le fondement de l’article L. 551-1 du CJA, afin de contester la procédure de passation lancée par la collectivité de Saint-Barthélemy pour l’attribution d’un marché de travaux de réfection de voirie et d’aménagement d’espaces publics.
La société Carenco soutenait que :
- la procédure était irrégulière faute de transparence dans l’application du critère prix ;
- l’offre retenue était anormalement basse ;
- le rejet de son offre avait été fondé sur des appréciations erronées portant atteinte à l’égalité entre les candidats.
La collectivité a contesté l’ensemble de ces moyens, en justifiant notamment la notation opérée et la régularité de la procédure.
2 – Question de droit. L’irrégularité dans l’application des critères de sélection ou l’absence de motivation du rejet peut-elle conduire à l’annulation de la procédure ?
3 – Solution juridique. Le juge des référés rappelle que son contrôle est limité à la vérification du respect des obligations de publicité et de mise en concurrence prévues aux articles L. 3 et suivants du code de la commande publique.
En l’espèce, le tribunal considère que :
- la pondération des critères et leur méthode d’application étaient suffisamment précisées dans les documents de la consultation ;
- le critère prix n’a pas été mis en œuvre de manière discriminatoire ;
- la société Carenco ne démontre pas l’existence d’une offre anormalement basse susceptible d’entraîner l’irrégularité de la procédure.
Le juge rejette ainsi la requête.
4 – Portée. Cette ordonnance illustre la vigilance exercée par le juge du référé précontractuel en matière de respect des règles de publicité et de mise en concurrence. Elle confirme également que la simple invocation d’une offre anormalement basse ou d’un grief sur l’appréciation technique n’est pas suffisante à elle seule pour obtenir l’annulation de la procédure.
I.2. Domaine public
A. CAA de Marseille, 14 mars 2025, n°24MA00320 – Recouvrement de redevances pour occupation irrégulière du domaine public fluvial
1 – Faits et procédure. En l’espèce, M. D A et Mme C B avaient été mis en demeure par l’établissement public Voies Navigables de France (VNF) de régler des redevances au titre d’une occupation irrégulière du domaine public fluvial, consistant en l’amarrage prolongé de bateaux sur des berges gérées par VNF, sans autorisation d’occupation temporaire (AOT).
Constatant l’absence de régularisation, VNF a émis des titres exécutoires pour recouvrer les sommes dues correspondant à plusieurs années d’occupation sans titre. Les intéressés ont contesté la régularité des titres, soutenant que la gestion des berges leur revenait en vertu de droits anciens ou de tolérances administratives, et que les montants réclamés excédaient les barèmes habituels de redevance.
Saisi par les requérants, le tribunal administratif a rejeté leur demande tendant à l’annulation des titres exécutoires. M. D A et Mme C B interjettent appel devant la CAA de Marseille.
2 – Question de droit. VNF pouvait-il légalement émettre des titres exécutoires pour recouvrer une redevance d’occupation du domaine public fluvial en l’absence d’autorisation d’occupation ?
3 – Solution juridique. La CAA de Marseille rappelle que toute occupation privative du domaine public fluvial sans autorisation constitue une occupation irrégulière, donnant lieu à la perception d’une redevance domaniale et à l’émission de titres exécutoires par l’établissement gestionnaire.
La Cour relève que les requérants n’avaient jamais bénéficié d’une AOT régulière, ni d’un droit acquis à occuper les berges. Elle confirme la légalité des titres de perception, en précisant que l’autorité domaniale dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour évaluer le montant des redevances en fonction de la nature et de la durée de l’occupation irrégulière.
4 – Apport de l’arrêt. Cet arrêt illustre la rigueur du régime juridique de la domanialité publique, notamment fluviale. Il rappelle que toute occupation sans titre entraîne la perception d’une redevance compensatoire. L’arrêt souligne également que les tolérances administratives tacites ou les usages locaux ne sauraient faire obstacle à l’application stricte du régime d’occupation du domaine public géré par un établissement tel que VNF.
B. CAA de Marseille, 14 mars 2025, n°24MA00445 – Responsabilité du grand port maritime de Marseille : rejet d’une demande indemnitaire
1 – Faits et procédure. En l’espèce, trois sociétés (SARL Le Bateau Feu, SCS Razzle et SARL Razzle), exploitant des activités commerciales sur le domaine public portuaire du grand port maritime de Marseille (GPMM), ont engagé une action indemnitaire contre le port. Elles invoquaient divers préjudices économiques subis au cours de l’exploitation de leurs locaux situés sur le domaine portuaire, en raison de manquements du GPMM à ses obligations contractuelles et domaniales.
Les requérantes soutenaient notamment que le GPMM avait :
- procédé tardivement à la réhabilitation des quais et des infrastructures mises à disposition ;
- maintenu les exploitants dans des conditions dégradées (accès aux quais obsolètes, dysfonctionnements des réseaux d’eau et d’électricité) ;
- omis de compenser le préjudice lié aux interruptions d’activité et aux pertes d’exploitation subies pendant les travaux de réhabilitation menés sur le domaine portuaire.
Elles demandaient solidairement plus de 900 000 euros à titre de réparation pour perte de chiffre d’affaires et troubles commerciaux.
Le tribunal administratif ayant rejeté la demande, les sociétés ont interjeté appel devant la CAA de Marseille.
2 – Question de droit. Le GPMM engage-t-il sa responsabilité à l’égard des occupants domaniaux en cas de défaillance dans l’entretien des infrastructures portuaires et d’interruptions de jouissance ?
3 – Solution juridique. La CAA rappelle d’abord que, bien que le gestionnaire du domaine public soit tenu d’entretenir les ouvrages portuaires mis à disposition des occupants, sa responsabilité n’est engagée que si la carence constatée présente un caractère fautif et anormal, ou si l’interruption de jouissance excède ce qui peut être raisonnablement attendu d’une gestion domaniale normale.
En l’espèce, la Cour constate que :
- les travaux engagés par le GPMM étaient justifiés par l’état de vétusté des quais et relevaient d’une démarche d’intérêt général ;
- le port a informé les exploitants des délais et a mis en œuvre des mesures transitoires pour limiter l’impact économique des travaux ;
- aucune faute lourde ou carence manifeste de l’établissement n’est démontrée dans la gestion des infrastructures portuaires.
La CAA rejette donc la requête et confirme l’absence de responsabilité du GPMM dans la survenance des préjudices allégués.
4 – Apport de l’arrêt. Cette décision rappelle la distinction entre l’obligation d’entretien du gestionnaire domanial et les contraintes inhérentes à l’exécution de travaux d’intérêt général sur le domaine public. La CAA précise que le simple fait de subir des désagréments liés à des travaux ne suffit pas à engager la responsabilité de l’établissement portuaire, à défaut de faute caractérisée ou de rupture d’égalité devant les charges publiques.
C. CAA de Nantes, 14 mars 2025, n°24NT00244 – Titre de perception émis pour occupation sans titre du domaine public communal
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Kendalia a occupé sans titre un espace public appartenant à la commune de Saint-Malo, à savoir une terrasse attenante à un local commercial, située sur le domaine public communal. La commune, constatant l’absence de régularisation de la situation par la société malgré plusieurs courriers de relance, a émis un titre de perception d’un montant de 302 400 euros TTC correspondant à plusieurs années d’occupation non autorisée de l’emprise publique.
La société Kendalia a contesté ce titre en invoquant :
- un défaut de base légale pour fonder l’émission du titre, arguant que la collectivité n’avait jamais formalisé de mise en demeure ou de mesure préalable ;
- l’absence de trouble à l’ordre public ou d’entrave à la circulation justifiant l’intervention de la commune ;
- une disproportion manifeste du montant réclamé par rapport à la superficie effectivement occupée.
Le tribunal administratif ayant rejeté ces moyens, la société Kendalia a interjeté appel devant la CAA de Nantes.
2 – Question de droit. La commune était-elle fondée à émettre un titre de perception d’une redevance pour occupation sans titre du domaine public communal, sans formaliser au préalable une procédure contradictoire ?
3 – Solution juridique. La CAA de Nantes rappelle que toute occupation privative d’une dépendance du domaine public sans autorisation constitue une situation d’occupation irrégulière, pouvant donner lieu à la perception d’une redevance compensatoire.
La Cour souligne qu’en l’absence d’AOT (autorisation d’occupation temporaire) formelle, la commune est en droit d’émettre un titre exécutoire au titre de la gestion de son domaine, sans qu’une mise en demeure préalable soit requise, dès lors que l’occupation a été constatée matériellement sur site par les services municipaux.
Concernant le quantum, la Cour relève que le montant de la redevance est cohérent avec les barèmes appliqués pour les occupations comparables sur le territoire communal, et qu’aucune erreur manifeste d’appréciation n’est démontrée par la société Kendalia.
4 – Apport de l’arrêt. L’arrêt confirme la prérogative des collectivités de recouvrer des redevances pour occupation sans titre de leur domaine public, sans formalité préalable particulière, dès lors que l’occupation est établie. Il rappelle que le régime de la redevance domaniale est détaché de la notion de faute ou de préjudice, et s’applique même en l’absence de gêne matérielle pour les usagers du domaine public.
D. CAA de Marseille, 12 mars 2025, n° 24MA02246 – Domaine public : refus d’autorisation d’occupation temporaire pour des motifs de sécurité
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société Les Docks Village exploitait un centre commercial situé sur le domaine public portuaire du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM). Elle avait sollicité du GPMM une autorisation d’occupation temporaire (AOT) complémentaire afin d’aménager un espace extérieur dédié à la restauration et à l’événementiel, sur une esplanade attenante à ses locaux commerciaux.
Le port a rejeté la demande, invoquant des motifs de sécurité liés à la proximité de voies de circulation et d’installations industrielles classées. La société a contesté ce refus devant le TA de Marseille, qui a rejeté sa requête, puis devant la CAA de Marseille.
2 – Question de droit. Le gestionnaire du domaine public portuaire peut-il refuser une AOT en se fondant sur des considérations de sécurité d’intérêt général ?
3 – Solution juridique. La CAA de Marseille rappelle que l’autorité gestionnaire du domaine public dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour accorder ou refuser une AOT, dès lors que sa décision est motivée par la nécessité de préserver la sécurité publique ou le bon fonctionnement des installations portuaires.
En l’espèce, la Cour retient que :
- le projet d’aménagement empiétait sur une zone située à proximité immédiate de zones à risques industriels et de voies logistiques essentielles pour l’activité portuaire ;
- les mesures proposées par la société (barriérage, contrôle d’accès) étaient insuffisantes pour garantir la sécurité des usagers et des installations.
Le refus opposé par le GPMM est donc jugé régulier et proportionné.
4 – Portée. Cet arrêt illustre la capacité pour les autorités gestionnaires du domaine public portuaire de refuser une occupation au nom de la protection de la sécurité publique et de l’intérêt général. Il rappelle également que le juge administratif exerce un contrôle restreint sur ce type de décision, en se limitant à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.
E. CAA de Paris, 7 mars 2025, n° 23PA04060 – Domaine public : responsabilité pour défaut d’entretien d’une dépendance portuaire
1 – Faits et procédure. En l’espèce, la société de transport maritime Corsica Ferries France a demandé réparation à l’établissement public du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) après la détérioration de la coque d’un de ses navires, survenue lors d’une opération d’accostage sur un quai du port. La société soutenait que l’accident résultait d’un affaissement partiel de la structure du quai, constituant un défaut d’entretien normal du domaine public portuaire.
Le GPMM a contesté sa responsabilité, invoquant une faute d’exploitation de la compagnie maritime dans la manœuvre d’amarrage du navire.
Le tribunal administratif de Marseille ayant rejeté la demande indemnitaire, Corsica Ferries France a interjeté appel devant la CAA de Paris.
2 – Question de droit. Le gestionnaire d’un port engage-t-il sa responsabilité en cas de défaut d’entretien d’une dépendance du domaine public portuaire ayant causé un dommage à un tiers ?
3 – Solution juridique. La CAA de Paris rappelle que le gestionnaire du domaine public portuaire est responsable, sur le fondement du défaut d’entretien normal, des dommages causés aux tiers par les ouvrages et équipements placés sous sa gestion.
En l’espèce, la Cour relève que :
- l’expertise technique démontre l’existence d’un affaissement du quai antérieur à l’incident ;
- aucune faute de manœuvre n’est établie à l’encontre de la société Corsica Ferries France ;
- le défaut d’entretien normal est directement à l’origine de l’endommagement de la coque du navire.
La Cour fait donc droit à la demande et condamne le GPMM à réparer le préjudice matériel subi.
4 – Portée. Cette décision rappelle la responsabilité classique du gestionnaire d’une dépendance du domaine public portuaire en cas de défaut d’entretien normal. Elle illustre également la vigilance accrue du juge administratif sur la sécurité des infrastructures affectées à des activités économiques essentielles, telles que le transport maritime.