Clarifier le cadre juridique de la lutte contre les discriminations au travail

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Clarifier le cadre juridique de la lutte contre les discriminations au travail

La lutte contre les discriminations au travail mérite un paysage juridique clarifié. Il n'est bien sûr pas possible ni souhaitable d'éliminer toute possibilité d'interprétation. Le droit français souffre toutefois d'un décalage entre le niveau d'interprétation national et communautaire, préjudiciable à sa compréhension. Il fait l'objet d'arrangements, unilatéraux et souvent négociés, dans les entreprises. Le droit national subit également certaines pressions, visant à reconnaître des procédés qui ne relèvent pas de sa culture.

Il résulte de ces mouvements la difficulté d'identifier (I) et de lutter contre les discriminations au travail (II).

I. - L'identification d'une discrimination illicite


Les employeurs doivent bien cerner la notion de discrimination. Or, celle-ci est encore en discussion dans le contentieux. Les motifs illicites de discrimination au travail sont limitativement énumérés par le Code du travail et le Code pénal. La définition des discriminations n'est toutefois pas encore clairement établie.

Avant tout, il faut avoir identifié le motif prohibé, qui détermine le champ couvert par le dispositif anti-discrimination. Le domaine des discriminations n'est pas encore entièrement éprouvé, comme le montre par exemple l'absence de contentieux sur l'ethnie.

La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 donne des définitions des discriminations, auxquelles renvoie le Code du travail. La discrimination directe consiste à traiter une personne de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable et pour un motif prohibé. Le législateur transpose ainsi les directive 2000/78 (cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail) et 2000/43 du 29 juin 2000 (race et ethnie). Le législateur français a choisi l'expression « l'aura été », et non « ne le serait », comme l'énoncent ces directives. Le Parlement a souhaité éviter tout litige fondé sur des éléments « par trop fictifs ».

Il l'a fait en contradiction flagrante avec le droit de l'Union européenne. La Cour de justice de l'Union européenne a considéré dans un contentieux relatif à une discrimination raciale à l'embauche que la discrimination est constatée alors qu'il n'existe aucun plaignant soutenant avoir été victime d'une telle discrimination (CJCE, 10 juill. 2008, Feryn, aff. C-54/07, D. 2008. Pan. 3038, obs. F. Muller et M. Schmitt ; RSC 2009. 197, obs. L. Idot). Cet état du droit français peut paraître plus favorable à l'employeur. Il n'en est pas moins en contradiction avec le droit de l'Union européenne et source d'insécurité juridique. Cette incompatibilité entre le droit national et le droit de l'Union européenne est d'autant plus contestable qu'elle brouille l'identification des règles juridiques applicables dans l'entreprise.

Autre source d'incertitude, la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît la discrimination par association (CJCE, 17 juill. 2008, Coleman, aff. C-303/06, AJDA 2008. 2327, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; D. 2008. Pan. 3038, obs. F. Muller et M. Schmitt ; RDT 2009. 41, obs. M. Schmitt ; RDSS 2008. 865, note A. Boujeka ; RTD civ. 2008. 653, obs. J. Hauser), conception non reprise par la Cour de cassation.

La frontière entre la discrimination directe et indirecte n'est pas clairement fixée. La Cour de justice de l'Union européenne opère une curieuse qualification de discrimination directe dans le contentieux relatif l'orientation sexuelle. En principe, la discrimination directe est celle qui s'exprime dans l'énoncé de la règle de droit. Or, dans deux arrêts, les réglementations nationales mises en cause ne distinguaient pas selon l'orientation sexuelle mais selon le statut matrimonial (CJCE, 1er avr. 2008, Maruko, aff. C-267/06, AJDA 2008. 871, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; D. 2008. Jur. 1873, note C. Weisse-Marchal ; ibid. Pan. 1786, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. Pan. 3038, obs. F. Muller et M. Schmitt ; AJ fam. 2008. 215, obs. F. C. ; RDT 2008. 458, obs. M. Schmitt ; RTD civ. 2008. 458, obs. J. Hauser; CJUE, 10 mai 2011, Römer, aff. C-147/08, D. 2011. 1485). Si cette jurisprudence se limite sans doute à des cas où un motif neutre conduit avec certitude à une discrimination, la question a de multiples conséquences sur le régime des justifications. En droit français, la discrimination indirecte est une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs prohibés, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, « à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriées ». La définition de la discrimination directe n'intègre pas ce type de justification.

Les partenaires sociaux ont promu le terme de diversité, issu de la Charte de la diversité en entreprise proposée aux entreprises en 2004 par l'Institut Montaigne, puis repris dans l'Accord national interprofessionnel du 11 octobre 2006 sur la diversité dans l'entreprise. La notion de diversité viendrait en complément du dispositif légal, en agissant davantage sur la conviction des acteurs et sur une approche plus qualitative que quantitative. La référence à la diversité permettrait une meilleure effectivité de la loi. Pourtant, il n'est pas certain que dans les entreprises, ce concept soit toujours compris en ce sens. Il peut être aussi entendu comme un moyen de privilégier dans l'entreprise la lutte contre certains motifs de discrimination, au détriment d'autres. Le concept de diversité peut diluer les obligations légales, en dispensant l'entreprise d'appliquer tout le Code du travail. La diversité peut être à l'origine d'une culture d'entreprise laissant à celle-ci le soin de définir ses propres contraintes et accroissant les risques de divergence avec la loi.

Le discours managérial sur les performances économiques des femmes, privilégiant celles-ci sur les postes gérant des risques financiers, n'est pas nécessairement légal. Le critère de la performance économique liée au sexe serait a priori de nature à rétablir l'égalité des chances mais il n'est pas certain que le postulat sur lequel il repose soit conforme à la conception communautaire de l'égalité entre les sexes qui admet strictement les différences de traitement entre les sexes. Le débat pourrait également se porter directement sur les exigences professionnelles et déterminantes mais il est peu probable qu'il soit déplacé sur ce terrain. Pour l'instant, mise à part l'arrêt Wolf (CJCE, 12 janv. 2010, aff. C-229/08, AJDA 2010. 248, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RTD eur. 2010. 673, chron. S. Robin-Olivier ; ibid. 2011. 41, étude E. Bribosia et T. Bombois) sur les discriminations en raison de l'âge, il n'y a pas de contentieux sur ce point. Il est peu probable que les juges admettent ce type de postulat faisant le lien entre la performance économique et les femmes. Les accords d'entreprise y font toutefois souvent référence dans le préambule de leurs accords sur l'égalité professionnelle. Le simple constat de la disproportion entre les sexes sur les potes à responsabilité permet pourtant de mettre en place des procédures destinées à rétablir l'égalité.

II. - La difficulté de lutter contre la discrimination au travail


Les entreprises ne sont pas certaines de trouver dans le droit positif des instruments cohérents de lutte contre les discriminations. Par ailleurs, certaines expérimentent des dispositifs dont la légalité est suspecte.

Les choses s'éclaircissent du côté de la validité d'un dispositif d'alerte professionnelle consacré aux discriminations, notamment depuis la délibération de la CNIL n° 2011-064 du 3 mars 2011 autorisant la société Randstad à mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour finalité la mise en place d'un dispositif d'alerte. Mais l'appréciation de cette dernière ne garantit pas la validité du dispositif, notamment au regard du Code du travail (V., R. de Quénaudon et M.-J. Gomez-Mustel, RDT 2012. 39).

Lorsqu'elles émanent de l'entreprise, la légalité de statistiques ethnico-raciales est douteuse. Les directives de l'Union européenne sont silencieuses sur ce point, un accord entre Etats étant bien improbable. Le Conseil de l'Europe, les Nations unies, et certains rapports nationaux (F. Heran, Rapport présenté au COMEDD, 2010) incitent à en reconnaître la légalité. L'information sur « les engagements sociétaux...en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités » (C. com., art. L. 225-102-1), que doivent présenter les grandes entreprises dans leurs rapports de gestion y mènera-t-il ?

D'autres pratiques de recrutement et de promotion professionnelle reposent sur des fondements fragiles. Il en va ainsi des entreprises qui décident de pratiquer une politique de discrimination positive, en fixant une priorité à l'embauche ou à l'accès à certains postes à responsabilité. Si l'on s'en tient au droit français, cette démarche n'est reconnue que pour les discriminations en raison du sexe (C. trav., art. L. 1142-4, al. 1er). Ces possibilités d'actions positives peuvent-elles s'étendre aux autres motifs de discrimination étudiés, alors qu'elles sont consacrées par les directives 2000/78 et 2000/43 ?

La Cour de justice de l'Union européenne condamne les systèmes de priorité absolue en faveur du sexe sous-représenté (CJCE, 17 oct. 1995, Kalanke, aff. C-450/93, AJDA 1996. 376, chron. J.-F. Flauss ; D. 1996. Jur. 221, note J.-L. Clergerie ; RTD eur. 1996. 281, étude L. Charpentier ; CJCE, 6 juill. 2000, Abrahamsson et Anderson, aff. C-407/98, D. 2000. IR 243 ; AJFP 2001. 20, et les obs. ; ibid. 21, et la note ; CJCE, 30 sept. 2004, Briheche, aff. C-319/03, AJDA 2004. 1845 ; D. 2005. Jur. 347, note J.-L. Clergerie ; ibid. 2004. IR 2689 ; AJFP 2005. 29). Elle valide toutefois des dispositifs flexibles, notamment dans le cadre d'avancements de carrière (CJCE, 11 nov. 1997, Marschall, aff. C-409/95, D. 1998. Somm. 211, obs. J. Rideau ; CJCE, 28 mars 2000, Badeck, aff. C-158/97, AJDA 2000. 808, chron. H. Chavrier, H. Legal et G. de Bergues ; D. 2000. IR 120). Les directives 2000/43 et 2000/78 ouvrent clairement la possibilité d'avantages spécifiques. Puisque l'égalité de traitement entre hommes et femmes a servi de modèle, il est fort probable que le raisonnement sur l'égalité professionnelle entre les sexes soit transposable aux autres motifs. Là encore, l'indétermination française peut mettre les entreprises en porte-à-faux, en faisant douter de la validité d'accords d'entreprise.

Le droit français doit se mettre en compatibilité avec le droit de l'Union européenne. Certes, il n'y est pas toujours aidé par la Cour de justice de l'Union européenne qui fait preuve d'une grande liberté d'interprétation. Par ailleurs, certains procédés, comme la mise en place de statistiques ethniques en entreprise, peuvent être contestés. Les autorités françaises sont tenues de faire clairement un choix, afin que tout le monde y voie plus clair.

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