Clause de non-concurrence et situation de concurrence au sein d'un réseau de distribution

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Clause de non-concurrence et situation de concurrence au sein d'un réseau de distribution

« Qu'en se déterminant ainsi, alors que l'intégration dans un même réseau de distribution ne suffit pas en elle-même à exclure l'existence d'un état de concurrence entre les entreprises qui en font partie, la cour d'appel, à laquelle il appartenait de vérifier concrètement l'existence d'une situation de concurrence entre les deux magasins concernés, a privé sa décision de base légale ».

M. X. est embauché par une société exploitant un magasin Leclerc, en qualité de directeur salarié, au titre d'un contrat comportant une clause de non-concurrence lui interdisant, pendant une période limitée à la durée égale à son ancienneté, plafonnée à deux ans, « de travailler dans toute entreprise, d'une surface de vente comprise entre 1 000 m² et 10 000 m², ayant pour objet la vente au public de produits ou marchandises concurrençant directement ou indirectement les nôtres et ce, dans un rayon de 100 kilomètres à vol d'oiseau autour de notre magasin ». Cinq ans plus tard, il démissionne pour être aussitôt engagé par une société exploitant un autre magasin Leclerc, situé à 30 km du premier, afin d'occuper les mêmes fonctions de direction. Par la suite, il saisit la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de l'indemnité de non-concurrence. L'ancien employeur s'y oppose, estimant que, par son nouvel emploi, M. X. avait violé l'obligation de non-concurrence.

Toute la difficulté était de savoir s'il existait une situation de concurrence entre les deux magasins Leclerc puisque, dans la négative, aucune violation de l'obligation de non-concurrence ne pouvait évidemment être constatée. Infirmant le jugement du premier degré, la cour d'appel accueillit la demande d'indemnité au motif que l'ancien salarié n'avait pas manqué à l'obligation de non-concurrence car les magasins de l'enseigne Leclerc ne sont pas concurrents entre eux en raison des liens, sinon juridiques du moins économiques, qui les unissent(1). L'arrêt est censuré par la Cour de cassation, qui, au visa de l'article 1134 du Code civil, considère « qu'en se déterminant ainsi, alors que l'intégration dans un même réseau de distribution ne suffit pas en elle-même à exclure l'existence d'un état de concurrence entre les entreprises qui en font partie, la cour d'appel, à laquelle il appartenait de vérifier concrètement l'existence d'une situation de concurrence entre les deux magasins concernés, a privé sa décision de base légale ».

Si la Cour de cassation apporte des éléments de réponses sur la question immédiatement posée de savoir si la relation particulière qui unit les magasins de l'enseigne Leclerc exclut ou non une éventuelle situation de concurrence (I), l'arrêt soulève des interrogations (II).

I. - Les précisions
Alors que la cour d'appel écarte toute possibilité d'une situation de concurrence entre les magasins d'une même enseigne (A), la Cour de cassation se montre beaucoup plus nuancée, estimant que l'intégration au sein d'un même réseau n'exclut pas, en elle-même, toute situation de concurrence (B).

A. - Selon la cour d'appel, les liens qui unissent les magasins Leclerc sont de nature à exclure toute concurrence entre eux. Plus précisément, les juges relèvent que tous les magasins de l'enseigne ont une centrale d'achat nationale commune et des centrales d'achat régionales, que chaque adhérent participe à des groupes de travail chargés en particulier de piloter les achats dans les différentes catégories de produits devant être commercialisés et de définir les modalités de commercialisation, que l'association des centres distributeurs Leclerc définit les orientations générales de l'enseigne, sa stratégie commerciale et veille au respect par les adhérents des politiques définies par elle. Ils en déduisent que le « mouvement Leclerc » (sic.) constitue un ensemble structuré destiné à faire en sorte que tous les magasins de l'enseigne disposent de moyens importants communs afin de leur permettre d'exercer efficacement, selon une politique commerciale commune et des orientations communes, leur activité en concurrence avec les autres enseignes de la grande distribution en France. Ils en concluent l'absence de concurrence entre les magasins de l'enseigne.

C'est donc ce que l'on pourrait désigner par « l'esprit de communauté », animant les membres du réseau Leclerc et concrétisé par une politique et une stratégie commerciales communes, qui empêcherait toute concurrence entre eux. Peu importe, précisent les juges, « que chacune des sociétés exploitant un magasin à l'enseigne Leclerc constitue une entité juridiquement et économiquement autonome et qu'il n'existe pas à proprement parler un groupe Leclerc au sens capitalistique de ce terme ». En définitive, la situation de concurrence entre les magasins s'apprécierait au regard, non de l'objet de l'activité ou la structure juridique de ceux qui l'exploitent, mais des modalités de cette exploitation.

L'analyse est à rapprocher d'un avis de l'Autorité de la concurrence rendu le 7 décembre 2010, relevant que « si, théoriquement, les magasins indépendants opérant sous une même enseigne sont à même de se concurrencer les uns les autres en exploitant leur autonomie en matière de définition de leur politique commerciale, plusieurs facteurs sont susceptibles de limiter l'intensité de cette concurrence »(2) tenant, précisément, à une politique commerciale et tarifaire commune ainsi qu'un approvisionnement auprès de la même centrale d'achat.

B. - L'analyse de la cour d'appel est trop abrupte. Il n'est pas contestable que le « mouvement Leclerc » est, comme le souligne la cour d'appel, un ensemble structuré, organisé autour d'une politique et de moyens communs, en vue de permettre à chacun des membres d'exercer efficacement son activité en concurrence avec les autres enseignes. C'est la contribution du mouvement Leclerc à la concurrence inter-enseignes qui est ici soulignée, dans un secteur d'activité, celui de la grande distribution alimentaire.

Or une telle communauté d'objectifs, de moyens et d'action face aux enseignes concurrentes n'implique pas pour autant la disparition de toute concurrence intra-enseigne, entre les membres réseau. Il est d'ailleurs habituel, pour chaque réseau de distribution exclusive ou sélective, de prendre en compte la réalité de la concurrence inter-marques, entre les réseaux et celle intra-marque, au sein du réseau(3), ce qui souligne que l'appartenance à un même réseau n'exclut pas la concurrence entre ses membres.

Au demeurant, l'Autorité de la concurrence, dans son avis précité, ne constate pas l'absence de concurrence au sein des réseaux de distribution alimentaire, mais relève seulement certaines limitations de concurrence. Il a d'ailleurs été admis, pour l'appréciation de l'existence d'une entente, que les membres d'un regroupement de commerçants indépendants puissent être « des concurrents effectifs ou potentiels, [de sorte que] leur participation à une entreprise commune risque d'entraver la concurrence qu'ils se font, et cela que l'accord comporte ou non des dispositions restrictives expressément prévues à cet égard »(4).

Le fait que la seule appartenance au même réseau soit inapte à écarter toute situation de concurrence n'exclut toutefois pas qu'il puisse en être ainsi. La cassation intervient d'ailleurs sur le seul fondement d'un défaut de base légale, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir concrètement vérifié l'existence d'une situation de concurrence entre les deux magasins. La solution ainsi précisée soulève alors des interrogations.

II. - Les interrogations
La Cour de cassation s'étant contentée de répondre au moyen soulevé et ayant cassé pour défaut de base légale, des interrogations subsistent sur l'existence en l'espèce d'une situation de concurrence (A) et incidemment sur la clause de non-concurrence en cause (B).

A. - Quels indices permettent d'établir une situation de concurrence entre les membres du réseau ? L'exercice d'une activité rigoureusement identique par les deux magasins paraît évidemment déterminant. En revanche, le fait que chaque magasin soit exploité par une société juridiquement distincte semble insuffisant car la situation de concurrence doit s'apprécier au regard de l'activité réellement exercée et non de la structure juridique de celui qui l'exerce. Il convient à ce titre de distinguer les questions d'autonomie décisionnelle et d'activité concurrente. La concurrence entre deux succursales est, par exemple, envisageable.

En toute hypothèse, doit être prise en considération la localisation géographique des magasins en cause, qui, pour être en situation de concurrence, doivent occuper une même zone de chalandise, laquelle est appréciée en fonction du temps maximal de déplacement entre deux points de vente concurrents(5).

Il faut toutefois reconnaître que, ce faisant, nous procédons à un glissement sémantique en ne visant plus une situation de concurrence, comme le fait la Cour de cassation, mais une activité concurrente. Au demeurant, la clause de non-concurrence litigieuse ne retient aucune de ces formules, mais vise une « entreprise [...] ayant pour objet la vente au public de produits ou marchandises concurrençant directement ou indirectement les nôtres », ce qui appelle d'autres interrogations.

B. - La clause de non-concurrence interdit en l'espèce au salarié de travailler dans une entreprise qui vend des produits directement ou indirectement concurrents de ceux de son ancien employeur.

On pourrait d'abord s'interroger sur la teneur de la clause. Vise-t-elle les produits qui concurrencent ceux de l'employeur dans l'absolu ou concrètement ? La première interprétation, extensive, interdit au salarié de travailler dans toute entreprise qui vend le même type de produit que l'ancien employeur, quel que soit le lieu de leur commercialisation, alors que la seconde interprétation, restrictive, conduit à limiter l'interdiction aux seules entreprises dont les produits viennent effectivement concurrencer ceux de l'ancien employeur en raison de leur localisation géographique. Cette dernière solution paraît s'imposer pour au moins deux raisons : d'une part, au regard du principe d'interprétation restrictive des clauses de non-concurrence comme de toute clause qui porte atteinte aux libertés fondamentales et, d'autre part, parce que la première solution conduirait à protéger l'employeur contre une entreprise qui, concrètement, n'est pas susceptible de lui faire concurrence.

Se pose alors la question de la validité de la clause, eu égard à son étendue. Celle-ci s'appliquant sur un rayon de 100 kilomètres autour du magasin de l'ancien employeur, on peut se demander si elle est suffisamment limitée. En effet, si la clause vise seulement à empêcher que le salarié travaille pour une entreprise vendant des produits qui concurrencent effectivement ceux de l'ancien employeur, on peut douter qu'un tel objectif nécessite que l'obligation de non-concurrence couvre un tel territoire. Peut-on ainsi soutenir que les ventes réalisées par le magasin situé, par exemple, à plus de 80 kilomètres de celui de l'ancien employeur concurrencent effectivement ce dernier(6) ? Il est vrai qu'en l'espèce, la validité de la clause n'était pas contestée.

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