Conditions d’application des garanties disciplinaires du Code du travail

Publié le 12/03/2014 Vu 2 214 fois 0
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CA Paris, 2e ch., 16 janv. 2014, no 13/00661

CA Paris, 2e ch., 16 janv. 2014, no 13/00661

Conditions d’application des garanties disciplinaires du Code du travail

La suspension d'un avantage tarifaire, dont le bénéfice avait été maintenu au titre d’une transaction pour la période postérieure à la cessation du contrat de travail, relève de la compétence du conseil de prud’hommes. La réglementation du contrat de transport étant seule applicable, l’ancien salarié bénéficiaire ne peut utilement réclamer la mise en œuvre des garanties disciplinaires du Code du travail.

CA Paris, 2e ch., 16 janv. 2014, no 13/00661
[…] Sur les dommages et intérêts sollicités par Monsieur Michel C.

Considérant que Monsieur Michel C. sollicite des dommages et intérêts, aux motifs que la SA AIR FRANCE n'a pas respecté la procédure disciplinaire prévue par le Code du travail et lui a infligé une sanction injuste et disproportionnée ; qu'il ajoute que l'acquisition et la détention d'une arme de 7e catégorie ne sont ni prohibées ni soumises à une quelconque déclaration et que son transport en soute est autorisé ; […]

Considérant que, si la juridiction prud'homale est compétente pour trancher le litige relatif à la suspension de l'accès aux billets à tarifs soumis à restrictions, au motif que le droit d'accès à ces billets est un avantage en nature né à l'occasion de la conclusion du contrat de travail, cette compétence n'implique, nullement, que les conditions d'acquisition et d'utilisation de ces billets, telles que fixées par le contrat de transport qui lie tout transporteur à ses passagers, soient inapplicables aux salariés et aux anciens salariés de la SA AIR FRANCE et que la procédure disciplinaire prévue par le Code du travail doive être respectée en cas de suspension de l'accès à ces billets ;

Considérant que l'article L. 1331-1 du Code du travail définit la sanction disciplinaire prise par un employeur à la suite d'un agissement du salarié qu'il considère comme fautif, comme la sanction de nature à affecter la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ;

Que la suspension du droit à bénéficier de facilités de transport n'affectait ni la présence de Monsieur Michel C. dans l'entreprise, ni sa fonction, ni sa carrière, ni sa rémunération, alors qu'il était retraité depuis plus de 17 ans, mais concernait uniquement ses voyages d'ordre privé ;

Qu'en conséquence, Monsieur Michel C. qui effectuait un voyage d'ordre strictement privé à destination de la Guadeloupe, ne peut se prévaloir des dispositions des articles L. 1331-1 et suivants du Code du travail, relatifs aux seules sanctions disciplinaires prises par un employeur dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail ; […]

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Un retraité d’Air France avait conservé, ainsi que deux de ses ayants droits, le bénéfice de billets à tarif préférentiel, en vertu d’un accord transactionnel de 1991. Ce droit avait été suspendu, l’ancien salarié ayant prétendu embarquer, le 12 juillet 2009, avec des armes chargées dans ses bagages (!). Il ne justifiait pour cela d’aucun motif légitime, comme l’exigeait l’article 111 du décret du 6 mai 1995 (abrogé au 6 septembre 2013 par l’article 186 du décret n° 2013-700 du 30 juillet 2013), relatif à l'application du décret du 18 avril 1939, fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions. Le commandant de bord s'était logiquement opposé à l’embarquement du retraité et de son arsenal en vertu de l’autorité conférée par l’article L. 6522-3 du Code des transports lorsqu'est en cause « un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef ». De son côté, la société avait fait application de l’article 22 du règlement du personnel prévoyant une mesure de suspension de 24 mois.

Saisi par le retraité deux ans plus tard aux fins d'indemnisation, le conseil de prud'hommes de Bobigny s'était déclaré incompétent aux motifs combinés que le contrat de travail avait cessé, et qu’une transaction était intervenue entre les parties. La cour d'appel de Paris, statuant sur le contredit de l’ex-salarié, l’avait rejeté par arrêt du 4 juillet 2013 et avait usé de sa faculté d’évocation, estimant qu'il était de bonne justice de vider le litige définitivement. Elle y était autorisée par l'article 89 du Code de procédure civile, qui déroge au principe posé par l'article 86, en vertu duquel la cour d'appel doit normalement se borner à designer la juridiction qu'elle estime compétente (S. Guinchard, C. Chainais et Fr. Ferrand, Procédure civile, droit interne et droit de l’Union européenne, Précis Dalloz, 2012, n° 1741 s.). Affirmant la compétence du conseil de prud'hommes, la cour rappelle en substance, dans son arrêt du 16 janvier 2014, que la qualification de sanction disciplinaire et l’application des garanties correspondantes supposent un contrat de travail qui n'a pas cessé. Dès lors, l’ex-salarié ne pouvait utilement revendiquer l'application des dispositions légales du Code du travail. Tel est l’enseignement élémentaire de l’arrêt, en forme de double rappel ; l’un, procédural, tenant à la compétence du conseil de prud'hommes, l’autre, plus substantiel, tenant à l’exigence d'un contrat de travail en cours pour faire application des dispositions disciplinaires du code du travail.

Droit procédural

L'occasion était, en premier lieu, d’affirmer la compétence – l’on n’ose dire résiduelle, s’agissant d’une compétence d’attribution – du conseil de prud'hommes, dont on sait qu'elle présente un caractère exclusif et d'ordre public (Cass. soc., 17 déc. 2013, n° 12-26938 : à paraître au Bulletin). Grâce aux dispositions très compréhensives de l’alinéa 1er de l’article 1411-1 du Code du travail, qui prévoit que « Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient », la compétence prud'homale s'étend en effet aux faits postérieurs à la rupture du contrat de travail, pour peu qu'ils puissent être rattachés à son exécution. Le rattachement exigé est largement compris. Il est vérifié, typiquement, en cas de violation par le salarié d'une clause de non-concurrence ; l'exécution de la clause, différée postérieurement à la rupture du contrat de travail ne fait pas échec à la compétence du juge prud'homal (v. par ex., Cass. soc., 16 janv. 2008, n° 05-21757. Comp., pour l’affirmation de la compétence de la juridiction commerciale, s'agissant d'une action fondée sur la complicité dans la violation de la clause par le salarié, cette dernière question devant toutefois être préalablement tranchée par le conseil de prud'hommes : Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-71313 et n° 09-72558). Même des faits de concurrence déloyale postérieurs à la rupture peuvent ainsi relever de la compétence du conseil de prud'hommes, s'ils ne sont pas dépourvus de tout lien avec le contrat (Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-67496).

Selon la cour d'appel de Paris, la compétence du juge prud'homal tenait au caractère – originel, car leur bénéfice, selon le règlement du personnel, cesse normalement à la rupture du contrat, sauf pour les billets régulièrement achetés avant cette date (Cass. soc., 3 mai 2000, n° 98-41759) – d’avantage en nature des facilités de transport. Il était un autre facteur de rattachement, peut-être plus évident, quoiqu’il ne nourrisse pas spécialement la motivation de l'arrêt : l'avantage avait été maintenu par l'effet de la transaction des parties. Or on sait que le conseil de prud’hommes est compétent pour connaître de la transaction conclue par le salarié et l’employeur, même si celle-ci doit désormais nécessairement l’être après la notification du licenciement selon les formes légales, à peine de nullité (Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45115 : Bull. civ. V, n° 215 – Cass. soc., 28 mai 2002, n° 99-43852, 99-43853 : Bull. civ. V, n° 182 – Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 00-40301 : Bull. civ. V, n° 249 – Cass. soc., 14 janv. 2003, n° 01-43676 : Bull. civ. V, n° 6 – Cass. soc., 18 févr. 2003, n° 00-42948 : Bull. civ. V, n° 61 – Cass. soc., 16 nov. 2004, n° 02-43427 : Bull. civ. V, n° 291 – Cass. soc., 14 juin 2006, n° 04-43123 : Bull. civ. V, n° 215). Il demeure en effet que le conseil de prud’hommes connaît de la transaction lorsqu’il s’agit de discuter sa validité (Cass. soc., 28 févr. 2007, n° 06-42005 : Bull. civ. V, n° 35 – Cass. soc., 29 sept. 2010, n° 09-42084, 09-42085 : Bull. civ. V, n° 207). Sa compétence est de même affirmée lorsqu’est en cause l’inexécution d’une obligation que renferme la transaction (Cass. soc., 13 mars 2007, n° 05-13169. Adde, Cass. soc., 10 juin 1992, n° 88-42988). Pour autant, l'affirmation de la compétence prud'homale ne suffisait pas à entraîner l’application des garanties du droit disciplinaire.

Droit substantiel

Identifiant le seul droit applicable,la cour d'appel de Paris rappelle que la compétence du juge prud'homal n'avait pas pour effet de soustraire l'ancien salarié à l’empire des dispositions réglementant le contrat de transport, lesquelles ne prévoient aucune garantie particulière en cas de violation. Celles-ci s'appliquaient dans toute leur rigueur, sans qu’il soit nécessaire de respecter la procédure disciplinaire du Code du travail. D’où le rappel, par la cour d’appel, des dispositions de l’article L. 1331-1 du Code du travail, qui définit la sanction disciplinaire comme la « mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. » La suspension de l’avantage n’avait pas un tel effet, pour la simple raison que l’intéressé, de longue date retraité, n’était plus salarié. Si l'aptitude du droit disciplinaire à se propager au sein du droit du travail est avérée (G. Couturier, « Le risque du tout disciplinaire », in Le droit social - Le droit comparé, Études dédiées à la mémoire de P. Ortsheidt, Université R. Schuman, PU Strasbourg, 2003, p. 84 et s.), par exemple en s’appliquant, de proche en proche, à la rupture de l’essai (Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44750 : Bull. civ. V, n° 80 – Cass. soc., 20 oct. 2010, n° 08-40822 : Bull. civ. V, n° 239), l'application des garanties disciplinaires suppose a minima un contrat de travail qui soit en cours.

Si tel avait été le cas, nul doute que la suspension de l’avantage tarifaire prévu par un accord d’entreprise, en considération d’une faute du salarié, aurait été analysée comme une sanction pécuniaire illicite. La cour d’appel de Paris en a du reste déjà jugé ainsi (CA Paris, pôle 6, ch. 2, 11 févr. 2010, n° 09/08071, Trolliet c/ Sté Air France : Revue de droit des transports, oct. 2010,n° 10, comm. 195, S. Carré – CA Paris, pôle 6, ch. 2, 18 nov. 2010, n° 09/08789, Doucouré c/ Sté Air France). Mais il était insuffisant, pour retenir une telle solution, que l’avantage tenant aux facilités de transport ait initialement sa source dans le contrat de travail, et qu’il ait été prolongé par l’effet de la transaction qui avait été conclue. La circonstance justifiait certainement la compétence du conseil de prud’hommes, mais n’impliquait nullement l’application des dispositions légales du droit disciplinaire, les « conditions mentionnées dans le contrat de transport étant [seules] applicables ». Toute référence à la matière disciplinaire étant hors de propos en l’espèce, celle par ailleurs faite, dans l’arrêt, à la vie privée de l’ancien salarié – l'arrêt relève que le voyage était de l'ordre privé – paraît ici curieusement surabondante. Certes, c’est une fonction usuelle de la notion, ou de ses avatars, que de soustraire le salarié aux manifestations les plus intrusives du pouvoir de direction de l’employeur (v. entre autres, Cass. soc., 7 avr. 2010, n° 08-44865 à n° 08-44.869, FS-P+B : Bull. civ. V, n° 86 ; JCP S 2010, 1218, note G. Loiseau – Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-18036, FS-P+B+R+I : Bull. civ. V, n° 247 ; JCP S 2012, 1054, note G. Loiseau – Cass. soc., 28 févr. 2012, n° 10-18308, FS-P+B : Bull. civ. V, n° 78 ; JCP S 2012, 1244, note G. Loiseau – Cass. soc., 10 mai 2012, n° 11-11252). Mais, précisément, nulle prérogative exorbitante n’était ici à refouler. Point n’était donc besoin d’une telle référence ; le pouvoir de sanction de l’employeur n’étant pas en cause, le constat de la cessation du contrat de travail se suffisait à lui-même, d’autant mieux qu’elle était fort ancienne (17 ans). En somme, la notion de vie privée – qui n’en est pas à sa première manifestation instrumentale –, n'est ici mobilisée… que pour souligner le caractère non professionnel des relations considérées. Finalement, en mettant ainsi à l'écart la réglementation correspondante du Code du travail, l'arrêt illustre en creux que le droit privé contractuel, à l'exception remarquable du contrat de travail, ne connaît guère la sanction disciplinaire (Cass. 1re civ., 21 févr. 1995, n° 92-22108 : Bull. civ. I, n° 85 ; JCP G 1995, 3880, obs. G. Virassamy, l’arrêt approuvant les juges du fond d’avoir analysé le refus de délivrance d’un label comme une conséquence de l’inexécution contractuelle, et non comme une sanction disciplinaire).

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