La Cour de cassation continue d’affiner sa définition du harcèlement moral, plus exactement sa définition probatoire, c’est-à-dire les éléments constitutifs que le salarié doit nécessairement établir afin de renverser sur l’employeur la charge de la preuve.
Dans cet arrêt du 15 janvier 2014, une salariée est licenciée pour absences répétées désorganisant le fonctionnement de l’entreprise. Elle saisit le juge prud’homal d’une demande d’annulation du licenciement, considérant que ses absences répétées étaient la conséquence d’un harcèlement moral dont elle était l’objet. La salariée est déboutée de sa demande devant les juges du fond. La cour d’appel retient qu’elle ne produisait aucune pièce, tels un certificat médical ou une attestation, démontrant que des faits répétés de harcèlement étaient la cause de ses absences répétées ou participaient au processus qui les avait générées. L’arrêt est cassé au visa des articles L. 1152-1, L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1, soit les articles relatifs à la notion de harcèlement moral, à ses effets en matière de licenciement et à ses modalités probatoires. La Cour de cassation juge en effet que la salariée doit uniquement établir des agissements susceptibles d’altérer sa santé physique ou mentale et permettant de présumer l’existence d’un harcèlement, à charge ensuite pour l’employeur de démontrer que le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Depuis qu’elle a affirmé son contrôle sur la notion de harcèlement moral (Cass. soc., 24 sept. 2008, n° 06-45747 : Bull. civ. V, n° 175), la Cour de cassation a apporté une série de précisions importantes. Elle a ainsi jugé que le harcèlement moral pouvait être constitué indépendamment de l’intention de son auteur (Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 08-41497 : Bull. civ. V, n° 248) et s’évincer de méthodes de gestion (Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 07-45321 : Bull. civ. V, n° 247). Elle a par ailleurs précisé que les agissements constitutifs de harcèlement moral devaient être répétés (Cass. soc., 9 déc. 2009, n° 07-45521 : Bull. civ. V, n° 280 – Cass. soc., 6 oct. 2010, n° 09-40087) mais pouvaient se dérouler sur une brève période (Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-43152 : Bull. civ. V, n° 111). La Cour a enfin confirmé ce qui semblait évident à la lecture de l’article L. 1152-1 du Code du travail, à savoir que les conséquences de la dégradation des conditions de travail inhérentes au harcèlement moral prévues par ce texte sont alternatives (Cass. soc., 10 mars 2010, n° 08-44394), le salarié devant prouver soit une atteinte à ses droits ou sa dignité, soit une altération de sa santé physique ou mentale, soit une compromission de son avenir professionnel. Dans cet arrêt, la Cour de cassation apporte également une précision sur les éléments que doit établir le salarié pour laisser présumer le harcèlement moral et faire peser ainsi le risque de la preuve sur l’employeur. Plus exactement, lorsque le salarié invoque une altération de sa santé physique ou mentale, il n’a pas à en rapporter la preuve, indépendamment des autres éléments. Ainsi, la preuve des agissements répétés suffit à faire présumer le harcèlement moral et à renverser la charge de la preuve pour l’employeur. La preuve de l’altération de la santé physique ou mentale s’induit de celle des éléments matériels (v déjà : Cass. soc., 7 juill. 2009, n° 07-44590). Ce raisonnement s’appuie sans doute sur le terme « susceptible de » de l’article L. 1152-1 du Code du travail qui semble indiquer que, contrairement aux deux éléments matériels qui doivent être établis de manière tangible – les « agissements répétés de harcèlement moral » et la « dégradation des conditions de travail » – les trois conséquences alternatives n’ont pas à être systématiquement démontrées.
La Cour continue enfin, dans cet arrêt, de reprendre, à propos de l’exonération de l’employeur, l’expression tirée de l’article L. 1154-1 du Code du travail relative à des « éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ». Il a pourtant été souligné l’incohérence entre la nécessité –légale – d’établir une justification objective des faits dont il est question et la suppression – prétorienne – du caractère intentionnel (v. not. P. Adam, « Le harcèlement moral est mort, vive le harcèlement moral ? », Dr. ouv. 2010, n° 740, p. 117). Comment en effet exiger la justification objective de faits, qui soit donc extérieure à une volonté de harcèlement, lorsque les faits peuvent être non-intentionnels ? La Cour de cassation devrait, comme elle semblait l’avoir esquissé dans deux décisions (v. not. Cass. soc., 12 mai 2010, pourvoi n° 08-70382 : « les défendeurs n’établissaient pas que ces agissements n’étaient pas constitutifs de harcèlement » – Cass. soc., 12 mai 2010, pourvoi n° 09-40910 : « l’employeur ne produisait aucun élément établissant que le harcèlement n’était pas constitué »), abandonner ce critère, en permettant une exonération par tout fait de nature à nier l’existence du harcèlement. Ce serait à la fois plus conforme à la logique juridique et plus juste pour l’employeur.