Entretien de la tenue de travail : « La boucle est bouclée ! »

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Entretien de la tenue de travail : « La boucle est bouclée ! »

« ...Attendu qu'ayant constaté que le port de la tenue de travail était obligatoire pour les salariés et qu'il était inhérent à leur emploi, ce dont il résulte que leur entretien devait être pris en charge par l'employeur, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que le conseil de prud'hommes a fixé le coût d'entretien de ces tenues

(...) Le conseil de prud'hommes n'ayant pas caractérisé pour les salariés l'existence d'un préjudice indépendant du retard au paiement apporté par l'employeur et causé par sa mauvaise foi, a violé l'article 1153, alinéa 4, du Code civil... ».

1. - Réglementation des conditions de travail, l'apport du droit prétorien. - Progressivement et sûrement, la jurisprudence façonne les règles relatives à la détermination comme aux modalités des conditions de travail. Les exigences relatives à la tenue vestimentaire des salariés figurent au nombre des sujétions que l'employeur, au titre de son pouvoir de direction, peut imposer aux travailleurs(1). De telles normes, cependant, peuvent venir heurter les libertés individuelles des travailleurs. Que décider en pareille situation ? L'arrêt rendu par la Chambre sociale le 19 janvier 2012 apporte une contribution décisive à l'édifice jurisprudentiel en construction. Trente-trois salariés de l'entreprise Carrefour, astreints au port d'une tenue de travail, ont saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement d'indemnités en remboursement des frais d'entretien y relatifs ; ils ont également sollicité l'octroi de dommages et intérêts en raison des préjudices causés par le retard de l'employeur dans l'exécution de son obligation.

Le conseil de prud'hommes de Chartres fait droit à toutes leurs demandes. La Haute juridiction, quant à elle, l'approuve d'avoir fixé forfaitairement le montant de la participation patronale (20 € par mois) ; mais casse son jugement en ce qu'il a attribué des dommages et intérêts sans avoir caractérisé l'existence d'un préjudice distinct et causé par la mauvaise foi de l'employeur, conformément aux dispositions de l'article 1153, alinéa 4, du Code civil. Sur ces deux points, l'arrêt suscite l'intérêt, soit qu'il apporte une touche inédite au droit des conditions de travail, soit qu'il confirme le domaine et le régime des dommages et intérêts dus en raison du retard dans l'exécution.

2. - Liberté de se vêtir et port obligatoire d'une tenue de travail. - Si le salarié a la liberté de se vêtir à sa guise dans le cadre de son activité professionnelle(2), il en va néanmoins différemment lorsque le port d'une tenue vestimentaire est imposé par l'employeur pour des raisons de sécurité le plus souvent, - ainsi du port d'un vêtement isolant par exemple(3) - ou lorsque les salariés sont en contact avec la clientèle. Il importe en ces hypothèses de vérifier si les restrictions imposées sont « justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché »(4).

Lorsque le port d'une tenue est obligatoire, le Code du travail ne prévoit pas d'obligation formelle à la charge de l'employeur relativement à la prise en charge financière du vêtement de travail. La jurisprudence est intervenue afin de pallier cette lacune législative. Ainsi, à la suite des juridictions du fond(5), la Chambre sociale a jugé que l'employeur qui impose à son personnel le port d'une tenue de travail doit prendre en charge l'entretien des vêtements professionnels que les salariés sont contraints de porter pour des raisons d'hygiène, de sécurité ou de stratégie commerciale(6). Dès lors que le port d'une tenue de travail est obligatoire et lié à l'exercice de l'activité professionnelle, il revient donc à l'employeur et non aux salariés de supporter le coût de l'entretien de ces tenues.

3. - Une avancée réalisée ... sans compter : fixation forfaitaire du montant de la participation patronale. - Ancré sur l'évolution déjà largement amorcée, l'arrêt retenu pour étude franchit une étape supplémentaire. Son intérêt essentiel vient de ce qu'il fixe le coût de l'entretien mensuel de la tenue de travail de manière forfaitaire et indépendamment de son coût réel. Ainsi, au pourvoi qui revendiquait l'établissement d'une correspondance entre le montant des dépenses effectuées et celui de la participation devant être versée(7), la Cour de cassation « botte en touche », si l'on nous pardonne cette familiarité, répliquant sèchement que « c'est dans l'exercice de son pourvoir d'appréciation que le conseil de prud'hommes a fixé le coût d'entretien de ces tenues », vingt euros mensuels en l'occurrence. Mais ne nous y trompons pas, en arrière-plan de la libre fixation du montant de la participation, est admis le principe du versement forfaitaire de l'employeur. Voilà qui ne sera pas sans retombées en droit de la négociation collective.

4. - Retombées de la décision du 19 janvier 2012. - En premier lieu, la fixation d'une somme déterminée change-t-elle la nature juridique de la participation patronale ? Celle-ci constitue-t-elle un accessoire du salaire ou représente-t-elle le remboursement des frais inhérents à l'entretien de la tenue de travail ? L'hésitation est permise, compte tenu du caractère forfaitaire attribué à la participation patronale ainsi que du versement périodique de celle-ci (mensuellement) ; ces deux traits ne sont-ils susceptibles de lui conférer la nature d'un élément de salaire ? L'enjeu attaché à la qualification retenue est important ; il n'est que de songer par exemple, aux sommes qui doivent être prises en compte dans le calcul du SMIC.

Il est aussi possible d'imaginer que le montant fixé servira de base aux négociations (individuelle ou collective) futures(8) et qu'il opèrera à la façon de l'ordre public social, même si, le plus souvent, les conventions collectives ou/et le contrat de travail sont muets à ce sujet.

Un autre intérêt réside en deuxième lieu, - à un degré moindre il est vrai -, dans le jeu de la prescription applicable et de la durée du délai prévu pour agir. Avant la réforme du droit de la prescription (extinctive), les salariés disposaient d'un délai de cinq ans (prescription applicable aux créances périodiques de salaire), ou de trente ans (délai de droit commun), voire de dix ans (en matière mixte), selon qu'il s'agissait d'un accessoire du salaire ou d'un remboursement de frais. La durée du délai de droit commun étant désormais ramenée, en principe, à cinq ans, le salarié devra, en tout hypothèse agir pendant ce laps de temps. En outre, compte tenu de l'effet rétroactif des revirements, l'employeur devra, à notre sens, verser à chaque salarié concerné la participation mensuelle de vingt euros multipliée par le nombre d'années concernées, mais dans la limite de cinq ans, naturellement.

Enfin, s'agissant de l'exécution de la prestation d'entretien, la généralité des termes de la solution incline à penser que, lorsque cela est possible, l'employeur pourra honorer son engagement en nature. La Chambre sociale impose à ce dernier de « prendre en charge l'entretien ». Rien ne semble ainsi s'opposer à ce que l'employeur exécute en nature la prestation due. À vingt euros par mois et par salarié, dans les grandes entreprises, l'employeur a tout intérêt à passer un marché avec une blanchisserie(9)...

5. - Retard et conséquences du retard dans le paiement des indemnités d'entretien. - Outre la participation patronale à l'entretien des tenues de travail, les salariés, considérant qu'ils ont été lésés du fait du non-paiement de l'entretien de celles-ci, revendiquent l'octroi de dommages et intérêts. Comme le prescrit l'article 1153, alinéa 4(10), ils doivent rapporter la preuve de l'existence d'un préjudice indépendant du retard au paiement apporté par l'employeur et causé par sa mauvaise foi. C'est cette solution, classique, s'il en est(11), que réitère la Chambre sociale.

Il convient à cet égard de rappeler que les dommages et intérêts auxquels peut prétendre le créancier lésé sur le fondement de l'article 1153, alinéa 4, du Code civil se distinguent des intérêts moratoires prévus par le même article aux alinéas 1 à 3. Ces derniers trouvent leur fait générateur dans le simple retard du débiteur dans l'exécution de son obligation monétaire. Ils sont dus automatiquement, sans qu'il soit nécessaire que le créancier rapporte la preuve d'un quelconque préjudice. Ils commencent à courir du jour de la sommation de payer ou de tout autre acte équivalent, sauf si la loi en dispose autrement. Leur montant est déterminé par référence au taux légal en vigueur. Ainsi, lorsque la créance d'entretien des tenues vestimentaires s'exécute par le versement d'une somme d'argent, le salarié est fondé à demander, en cas de défaillance de l'employeur, le paiement de l'indemnité d'entretien augmentée des intérêts légaux calculés depuis le jour de la sommation de payer.

Les dommages et intérêts prévus à l'article 1153, alinéa 4, ont une nature bien différente : ils ne sont pas des intérêts moratoires. Leur fait générateur n'est pas le retard dans le paiement mais les conséquences de ce retard. Ils n'indemnisent pas l'exécution tardive mais les éventuels préjudices subis par le créancier du fait de celle-ci. Il s'ensuit que leur régime juridique répond à des règles différentes. Afin d'obtenir réparation, le créancier lésé doit rapporter non seulement la preuve de la mauvaise foi du débiteur mais encore la preuve de la réalité du préjudice allégué.

C'est ce que vient rappeler, au cas particulier, la Cour de cassation. Pour obtenir réparation, les salariés doivent démontrer la mauvaise foi de l'employeur et caractériser un préjudice distinct du simple retard.

S'agissant de la première condition, et en dépit de la présomption dont bénéficie l'employeur, il semble possible de retenir sa mauvaise foi. L'obligation d'entretien des tenues vestimentaires a été dégagée voilà quatre ans. L'employeur aurait dû adopter un comportement conforme à l'état du droit positif. En refusant de suivre les principes de solution dégagés par la Haute juridiction, l'employeur manque délibérément à son obligation(12). On peut certes rétorquer qu'en 2008 le caractère forfaitaire et périodique de l'entretien n'avait pas été consacré. Qu'importe, l'entretien était dû ! L'employeur qui, en connaissance de cause, n'exécute pas cette prestation peut-il être considéré de bonne foi ?

S'agissant de la seconde condition, celle relative à la preuve d'un préjudice distinct du simple retard, il convient de reconnaître qu'elle est beaucoup plus difficile à établir. Sauf hypothèse exceptionnelle, c'est le caractère certain du préjudice allégué qui risque de poser des difficultés. Comment s'assurer, a posteriori, que si l'employeur avait versé en temps et en heure les indemnités dues, le salarié n'aurait pas subi le prétendu préjudice. Comment être sûr que le salarié aurait affecté les sommes à tel ou tel dessein qui, pour une raison ou une autre, ne pourrait plus être réalisé aujourd'hui ? Il s'agit là de droit-fiction. La preuve d'un tel préjudice pourrait bien être diabolique et ce d'autant plus que le montant des sommes en jeu est minime. La responsabilité de l'employeur, sur le fondement de l'article 1153, alinéa 4, semble en raison de ces circonstances particulières, bien difficile à engager. Il en résulte, in fine, que la mauvaise foi du débiteur pourrait être non sanctionnée.

6. - Préjudice et présomption de préjudice. - Semblable conclusion, contestable, ne saurait satisfaire. La solution retenue ne va-t-elle pas inciter les employeurs à ignorer l'obligation d'entretien qui leur est imposée et cela jusqu'à une éventuelle sommation de payer ? L'employeur n'a rien à perdre ! Dans le pire des cas, au jour de la sommation, il versera l'indemnité d'entretien (y compris les arriérés). Le résultat sera équivalent à celui obtenu si l'obligation d'entretien avait été spontanément respectée. Dans le meilleur des cas, en l'absence de réaction des salariés, il pourra violer, sans risque de sanction, l'obligation pesant sur sa tête.

Pour ne pas inciter certains employeurs peu diligents à de tels abus, la Cour de cassation n'aurait-elle pas pu avoir recours à une présomption de préjudice ? Le conseil de prud'hommes, qui avait considéré que les salariés étaient légitimes en leur demande de dommages et intérêts, avait sans doute à l'esprit les hypothèses où la Cour de cassation et, la Chambre sociale particulièrement(13), reconnaît l'existence de « préjudices automatiques »(14). Pourquoi ne pas suggérer que le paiement tardif de l'indemnité d'entretien par l'employeur cause nécessairement un préjudice aux salariés ? Semblable raisonnement permettrait de renforcer la sanction en cas de défaillance de l'employeur en facilitant la mise en oeuvre de sa responsabilité. À défaut d'admettre une telle proposition fondée sur un assouplissement des conditions de la responsabilité prévue à l'article 1153, alinéa 4, du Code civil, il est encore possible d'emprunter une autre voie afin de renforcer les garanties d'exécution de l'obligation d'entretien.

L'article 1153, alinéa 3, prévoit que les intérêts moratoires courent du jour de la sommation. La règle édictée par ce texte ne relevant pas de l'ordre public absolu, rien ne semble s'opposer à ce que les partenaires sociaux et leurs interlocuteurs prévoient, dans le cadre des négociations collectives, des dispositions plus favorables; par exemple que les intérêts moratoires commencent à courir du jour de la défaillance de l'employeur ...

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1 Publié par Visiteur
24/07/2013 10:52

Bonjour,

Je suis technicien informatique et je travaille dans un open-space qui fournit des prestations de services en holtine informatique (helpdesk).Des clients viennent visiter de temps à autres(non régulier)l'open space. Nous ne communiquons pas avec le prospect, contrairement à nos chefs. Cependant nos dirigeants veulent nous interdire le port du bermuda, malgré que nos objectifs visent seulement à être opérationnel au niveau téléphonie. Je voulais donc savoir qu'entendez-vous par "en contact avec la clientèle" ? Est-ce le fait de communiquer avec lui ou le simple fait de pouvoir être aperçu en bermuda derrière nos bureau ?

Merci d'avance pour vos réponses.

Cordialement

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